Le business de la mort

Décorateurs, traiteurs, pleureuses… Enterrer un proche, ça peut coûter très cher. Ou rapporter gros. Enquête sur un marché très lucratif.

Clarisse

Publié le 26 novembre 2010 Lecture : 4 minutes.

Dans la cour intérieure d’une luxueuse villa, un groupe de femmes qui discutent âprement, malgré l’heure matinale. Nous sommes à Santa Barbara, l’un des quartiers chics de Yaoundé. On organise les obsèques du fils aîné de la famille, Olivier, 30 ans, décédé il y a deux semaines à Paris. Ici, Olivier est un « bon mort », un de ceux dont les familles sont prêtes à dépenser des fortunes. Et un de ceux dont les obsèques peuvent rapporter gros.

Décoratrices, traiteurs, maîtres de chœur et reporters gravitent jour et nuit autour des maisons endeuillées. « Il n’y a pas de honte à l’avouer, explique Charlotte, pleureuse professionnelle. Dès l’annonce d’un décès, je me précipite immédiatement dans la famille. Peu importe que je connaisse le défunt ou non. Mon rôle, lors des veillées, c’est d’être éprouvée, de pleurer à chaudes larmes et d’entraîner toute l’assistance avec moi. Certaines pleureuses vont jusqu’à se déshabiller, mais pas moi. » Pour sa prestation, elle peut espérer toucher 5 000 à 20 000 F CFA (7,60 à 30 euros) – tout dépend du statut social de la famille, et de son porte-monnaie.

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À 32 ans, Constance a elle aussi flairé le filon et s’est spécialisée dans la vente de pagnes et de foulards à l’effigie des disparus. Pas besoin de prospecter bien longtemps pour décrocher un marché, assure-t-elle. Le bouche à oreille fonctionne bien. Et puis « on connaît toujours quelqu’un, qui connaît la cousine d’un défunt ».

Faire étalage de sa puissance

Au Cameroun, le marché est extrêmement juteux, confirme Walter Bertrand, journaliste et maître de cérémonie lors de funérailles. Entre la restauration, la logistique (location de tentes, de chaises, de groupes électrogènes…) et la communication (banderoles, panneaux de signalisation, reportage, sonorisation), les familles qui le peuvent n’hésitent pas à s’endetter lourdement, et même sur plusieurs années, pour offrir à leurs proches des obsèques pouvant coûter 5 à 20 millions de F CFA, une fortune dans un pays où le salaire moyen mensuel est estimé à environ 53 000 F CFA.

Walter Bertrand a choisi d’installer son entreprise d’événementiel dans l’Ouest, une région réputée pour le faste de ses cérémonies. Parmi ses clients, une majorité d’hommes d’affaires, d’industriels et de politiques – ou leurs familles… – pour lesquels l’enterrement d’un proche est une occasion comme une autre de faire étalage de sa puissance. « Mes tarifs varient, explique Walter. Si le défunt est un homme qui avait noué des relations à travers le monde, les invités seront forcément costauds. Les cérémonies que j’organise reflètent toujours la condition sociale du défunt. » Pour 100 000 F CFA, tarif réservé aux fonctionnaires, il fournit le service minimum : l’adresse du menuisier pour le cercueil, celle du fossoyeur, du DJ, des groupes de danse traditionnelle… Pressés, vivant en zone urbaine et ignorants des réalités villageoises, les industriels endeuillés versent, eux, jusqu’à 500 000 F CFA. Pour ce prix-là, Walter contacte les différents professionnels, coordonne leurs activités, fait l’imprésario et réalise un documentaire de deux heures – carte postale du village, biographie du défunt, histoire des danses folkloriques, tout y est.

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À Douala, Léonie Kouekam dirige une petite entreprise qui s’est spécialisée dans la décoration des « obsèques officielles », qui réunissent parfois jusqu’à 3 500 personnes. Le package location de matériel, mis en place et habillage de la salle varie de 500 000 F CFA à 10 millions de F CFA, voire 50 millions, en partie financés par l’État. Elle admet que son activité est en forte croissance, mais refuse de communiquer sur son chiffre d’affaires. Même discrétion pour les traiteurs, qui reconnaissent tout de même facturer un couvert à 5 000 F CFA, soit un budget de 10 millions de F CFA pour 2 000 couverts, boissons non comprises. « Sans funérailles et sans obsèques, l’Ouest serait ruiné, affirme Léonie Kouekam. Tous ces professionnels contribuent à la santé économique des villages les plus reculés, où, malgré l’exode rural, des boulangeries ont ouvert, et où l’élevage s’est intensifié. »

Des sommes appréciables

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Car tout se paie dans un enterrement, même ce que l’on appelle ici pudiquement « le religieux ». Sollicitées pour les messes funèbres en soirée et pour des veillées jusqu’à l’aube, les chorales autonomes fonctionnent comme de véritables petites entreprises et annoncent des prix variant de 50 000 à 150 000 F CFA. Certains prêtres sont, eux, soupçonnés de choisir les messes qu’ils vont célébrer, leur préférence allant aux familles les plus nanties. Ce que dément vigoureusement l’abbé Grégoire Nkouly, de la paroisse Christ Roi de Tsinga : « Le prêtre va partout, chez le ministre comme chez l’ouvrier. Dans les deux cas, une messe de funérailles coûte 10 000 F CFA », explique-t-il, avant de reconnaître que c’est le montant de la collecte qui fait la différence : dans les « grands deuils », un fidèle peut donner jusqu’à 100 000 F CFA. « Si on multiplie cela par vingt, on arrive à une somme appréciable, que l’Église ne peut refuser. »

Pour le professeur Valentin Nga Ndongo, chef du département sociologie-anthropologie à l’université Yaoundé-I, ce business qui s’est construit autour des obsèques témoigne d’une tendance des élites à instrumentaliser la mort. « C’est devenu le lieu pour se distinguer, pour simuler son appartenance à un milieu et nouer toutes sortes de relations, analyse-t-il. Offrir des obsèques grandioses crédibilise. » Les hommes politiques ne s’y sont pas trompés. Les enterrements sont par endroits devenus de véritables QG de campagne où l’on recrute, autour d’un cercueil, de nouveaux sympathisants. 

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