Les travaux d’Hercule
Infrastructures, mines, agriculture, assainissement du climat des affaires… Le nouveau locataire du palais Sékoutoureya va devoir relancer une machine à l’arrêt.
À Conakry, les milieux d’affaires font grise mine. « Qu’est-ce qu’on peut faire, à part attendre que viennent des jours meilleurs ? » s’interroge, stoïque, le directeur d’une grande entreprise de BTP qui n’a plus de contrats. Dans le port de la capitale, les conteneurs arrivent au compte-gouttes. « Nous continuons à vendre des diamants, mais sur de petits volumes. La plupart de nos clients étrangers attendent le résultat de l’élection pour lancer leurs commandes », ajoute un négociant en pierres précieuses. Quant aux groupes miniers, ils sont inquiets : Que va-t-il advenir des contrats signés avant et pendant le régime de transition ?
Les investissements directs extérieurs (IDE), faibles jusqu’en 2000, avaient connu une embellie en 2007 (385 millions de dollars, soit 260 millions d’euros) mais sont retombés depuis l’arrivée de la junte en décembre 2008 (141 millions de dollars en 2009). L’humiliation télévisée du patron du groupe minier RusAl par Dadis Camara et la tentative d’enlèvement du directeur général de Total par des militaires ont refroidi les ardeurs des plus téméraires.
Les barons font la loi
Avec une situation sociale calamiteuse et une croissance négative à – 0,3 % en 2009, le pays a ainsi perdu 10 places depuis 2007 au classement de l’indice du développement humain (IDH) et se retrouve au 170e rang sur 183 pays. Environ 70 % des Guinéens vivent avec moins de 1,25 dollar par jour (contre 23,3 % des Ivoiriens et 33,5 % des Sénégalais).
Il faudra donc au nouveau président du doigté et de la ténacité pour créer la confiance et faire démarrer l’économie d’un pays à l’arrêt. Pour le Béninois Gilles Yabi, chercheur en géopolitique et spécialiste de la Guinée, l’heureux élu va devoir en priorité « assainir le climat des affaires ».
Depuis les années 1990, une poignée d’hommes contrôlent les principaux circuits économiques. Sous Lansana Conté, il s’agissait d’opérateurs adoubés par le Mangué (« le chef », en soussou), comme Mamadou Sylla ou l’Italien Guido Santullo, magnat des BTP, qui raflaient tous les contrats. Aujourd’hui, Kerfalla Person Camara, qui a décroché le gigantesque contrat de reconstruction des casernes (73 millions d’euros, soit 500 milliards de francs guinéens) fait figure de nouveau « patron ». « Ces barons ont joué un rôle dans le financement de la campagne électorale. La bonne stratégie consisterait à garder leur soutien en début de mandat, pour ne pas être fragilisé d’entrée, puis de libéraliser l’économie pas à pas », juge Gilles Yabi.
En parallèle, une réforme profonde de l’administration sera nécessaire. « Les ministères manquent de cadres compétents, notamment concernant les questions juridiques et de gestion. La Guinée n’est pas en mesure de défendre les intérêts du pays », regrette Yabi. Là encore, la tâche demandera de la délicatesse, mais aussi des moyens.
Litiges miniers
L’argent justement ; le secteur minier pourrait constituer une manne pour les caisses de l’État. Le pays détient les deux tiers des réserves mondiales de bauxite (70 % des exportations) et le troisième gisement de fer du globe se trouve à Simandou, en Guinée forestière. « On pourra bientôt comparer le fer guinéen au pétrole nigérian », jubilait fin juin Mahmoud Thiam, ministre guinéen des Mines après un premier semestre 2010 fructueux durant lequel plus de 6 milliards d’euros d’investissements ont été annoncés : Rio Tinto et Chinalco (2,2 milliards d’euros), le brésilien Vale associé à l’israélien BSGR (1,9 milliard) et l’australien Bellzone associé au China International Fund (2,1 milliards).
Mais pour que ces beaux projets voient le jour, Conakry devra trancher définitivement les litiges en cours (notamment celui qui oppose Rio Tinto et BSGR sur le faramineux gisement de Simandou – entre 8 et 11 milliards de tonnes de réserves – et auditer les contrats existants sans menacer les investisseurs déjà implantés, comme le géant de l’aluminium RusAl, qui produit à Fria 750 000 tonnes d’alumine par an. Les capacités doivent passer à plus de 1 million de t. « Si cette opération est faite rapidement, la confiance des investisseurs reviendra, et les projets se réaliseront vite », juge Yabi. De quoi lancer les grands chantiers d’infrastructures essentiels : la distribution d’électricité et les routes.
Alors que la Guinée est surnommée le « château d’eau de l’Afrique de l’Ouest », la « fée électricité » manque partout. Le petit barrage de Garafiri (75 MW) sur le fleuve Konkouré est insuffisant pour répondre à la demande. N’Zérékoré, deuxième ville du pays (environ 200 000 habitants), est dépourvu de lumière publique. À Conakry, la situation empire. Même à Kaloum, le centre-ville jadis privilégié, les coupures sont fréquentes. Certains artisans travaillent uniquement de nuit quand ils ont du courant. Et seules les grandes entreprises comme Bonagui ou Topaz bénéficient d’une électricité régulière.
Les routes guinéennes sont elles aussi en piteux état. Seulement 10 % d’entre elles sont goudronnées. Deux axes apparaissent comme prioritaires : la route vers la Guinée forestière, souvent coupée du reste du pays en saison des pluies, et l’axe Conakry-Bamako, nouvelle voie d’approvisionnement pour le Mali qui doit redonner du poids au port de Conakry.
Nombreux atouts
Libérer le potentiel agricole du pays sera également une tâche de longue haleine. Il n’y a plus de politique ciblée depuis des décennies, alors que le pays est l’un des plus fertiles d’Afrique de l’Ouest et que le secteur occupe 70 % de la population. C’est toute une stratégie alliant paysannerie familiale et projets d’exportation qui est à construire pour réveiller ce géant vert qui sommeille. L’agroalimentaire a pratiquement disparu. Une seule grande plantation subsiste, celle de Soguipah à Diecké (frontière libérienne), qui dispose d’une usine d’huile de palme. La réussite de la pomme de terre dans le Fouta-Djalon, qui a conquis le marché national mais également le Sénégal et la Guinée-Bissau, prouve que le travail de coopératives, appuyé par des experts, peut déboucher sur de beaux résultats. Par ailleurs, les régions de Kindia, Forécariah et N’Zérékoré, qui furent des zones de plantation dans les années 1950, pourraient attirer des investisseurs dans les fruits tropicaux et la riziculture. Décidément, la Guinée a peu d’excuses et de nombreux atouts.
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