Année zéro

Cinquante-deux ans après l’indépendance du pays, tout ou presque est à reconstruire. Réconciliation nationale, mise en place des institutions, réforme de la justice, fin de l’impunité, création d’une armée républicaine, modèle économique à inventer… Pour le nouveau président, les défis sont immenses. État des lieux.

cecile sow

Publié le 14 novembre 2010 Lecture : 7 minutes.

Politique

Le nécessaire apaisement

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Les rares poignées de main entre Cellou Dalein Diallo et Alpha Condé n’ont convaincu personne. Leur « accord » du 12 octobre sur la formation d’un gouvernement d’union nationale, arraché après une intervention du président de la transition, le général Sékouba Konaté, soutenu par des religieux musulmans et chrétiens, non plus.

Bientôt deux ans après le putsch du 23 décembre 2008, qui avait conduit à l’installation au pouvoir du capitaine Moussa Dadis Camara, les deux candidats ont fini par laisser éclater leurs divergences sur fond de tensions communautaires. L’un et l’autre ont juré mordicus vouloir incarner l’unité nationale. Mais les résultats du premier tour de la présidentielle du 27 juin, suivis de violents incidents – notamment en octobre à Conakry, Kankan ou Siguiri –, ont montré à quel point la bataille pour le pouvoir peut accentuer les clivages dans ce pays où beaucoup considèrent que la place du chef se joue selon l’appartenance ethnique.

Après le Malinké Sékou Touré, le Soussou Lansana Conté et le Guerzé Moussa Dadis Camara, une majorité de Malinkés pensent qu’ils doivent « reprendre la place », tandis que, chez les Peuls, le sentiment que « c’est à leur tour » est partagé par le plus grand nombre.

Et si les alliances constituées par Diallo et Condé comptent évidemment des leaders de toutes origines, les deux groupes majoritaires se retrouvent dans une sorte de face-à-face à haut risque – mettant ainsi le futur président dans une position très inconfortable, voire périlleuse.

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S’il tient à la stabilité du pays, il n’aura d’autre choix que d’associer à sa gestion des cadres issus de l’ethnie du vaincu et des minorités. Un savant équilibre difficile à obtenir. La perspective des élections législatives – qui devraient se tenir dans un délai de six mois – n’est pas de nature à calmer les esprits. Dans le camp du perdant de la présidentielle, on pourrait être tenté par une radicalisation du discours.

Gouvernement

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Une équipe pour remettre le pays en ordre de marche

Le choix du Premier ministre et la composition du gouvernement auront pour le nouveau président valeur de test. Et il ne fait aucun doute que la période de grâce sera brève. Confrontées à une pauvreté extrême, au manque d’eau et d’électricité, etc., les populations s’attendent à une amélioration rapide de leurs conditions de vie. Pour désamorcer le risque de désillusion, le nouveau chef de l’État devra s’entourer de cadres immédiatement opérationnels. Le choix entre un gouvernement de très large ouverture – dans lequel il pourrait caser alliés et adversaires politiques – et une équipe resserrée de technocrates efficaces ne sera pas aisé. Qui plus est : au-delà de la question de l’équilibre régional et de celle du respect des promesses faites aux proches, l’heureux élu va faire face à une situation économique désastreuse (voir pp. 30-31).

Expérience des uns ou poids politique des autres, maîtrise des dossiers ou récompenses postélectorales… l’alchimie est subtile. « Pour être crédible auprès des bailleurs de fonds, de la communauté internationale, mais aussi des Guinéens, le nouveau président devra éviter de mettre en place une équipe comprenant une trentaine, voire une quarantaine, de portefeuilles ministériels, dont beaucoup seraient bidons », prévient un fonctionnaire international.

Institutions

Restaurer la stabilité

Immédiatement après la prise du pouvoir par le Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD), en décembre 2008, la Guinée a été mise au ban de la communauté internationale. Les aides ont été suspendues. Les sanctions et condamnations ont continué à pleuvoir après le massacre du 28 septembre 2009 au grand stade de Conakry. Si la condition essentielle à la reprise de la coopération était l’organisation d’une élection présidentielle, l’installation d’une nouvelle Assemblée nationale est aussi attendue. L’Union européenne envisage d’ailleurs de débloquer 5 millions d’euros pour l’organisation des élections législatives et communales.

Les Guinéens n’ont plus de représentants depuis mai 2007, date de la fin du mandat des députés élus en 2002. Compte tenu de la configuration politique actuelle, si les législatives se tiennent rapidement, elles pourraient aboutir à la mise en place d’une Assemblée bipartisane. « Cela permettrait de créer une dynamique inédite entre le pouvoir et une opposition », analyse un ancien député. « Mais si les choses traînent trop, beaucoup de cadres de l’opposition pourraient être tentés de changer de camp. On aurait alors une Assemblée unicolore ou presque. Ce serait dommage », s’inquiète un diplomate européen actuellement en poste à Conakry.

En principe, la mission du Conseil national de transition (CNT) – installé dans la foulée des accords de Ouagadougou du 15 janvier 2010 – s’achèvera immédiatement après les législatives. La nouvelle Assemblée pourrait alors être tentée de revoir les textes modifiés par le CNT. Les changements portent notamment sur la durée du mandat présidentiel, réduit de sept à cinq ans, et la séparation entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Ils rendent aussi obligatoire la déclaration de patrimoine pour le président élu.

Selon la présidente du CNT, Rabiatou Serah Diallo, toutes les dispositions ont été prises pour que ces obligations soient respectées. « Nous avons aussi créé la Cour constitutionnelle et la Cour des comptes. Le prochain président ne pourra donc pas faire n’importe quoi ! » s’était-elle réjouie à l’issue de la publication de la nouvelle Constitution et du code électoral. Oui, mais plusieurs voix contestent la légalité de ces mesures – une instance de transition ne pouvant se substituer à une Assemblée.

Justice

Vérité et (ou) réconciliation

L’histoire de la Guinée est entachée d’événements sanglants. Vingt-six ans après la mort de Sékou Touré, les familles des 50 000 victimes du camp Boiro pleurent encore leur disparition dans des conditions atroces. Des chiffres évidemment contestés par les sympathisants de l’ancien régime. Autres événements tragiques : en 1985, accusé de complot contre Lansana Conté, l’ex-Premier ministre Diarra Traoré est arrêté puis pendu. Les conjurés sont pourchassés et éliminés. À ces morts s’ajoutent les personnes tombées sous les balles de l’armée lors des manifestations en 2007 et celles atrocement réprimées par la soldatesque de Dadis au stade de Conakry, le 28 septembre 2009.

« La Guinée est le pays de l’impunité. On parle sans cesse de réconciliation, mais sans la vérité, il n’y aura pas de justice. Et sans justice, il n’y a pas de réconciliation », estime Thierno Maadjou Sow, le président de l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme et du citoyen (OGDH). Durant la campagne électorale, Cellou Dalein Diallo et Alpha Condé ont annoncé la création d’une Commission Vérité et Réconciliation. Mais cette idée ne fait pas l’unanimité.

En revanche, la réforme de la justice est très attendue. Le projet, déjà sur la table de la Commission européenne, qui en sera sans doute le principal bailleur, vise à renforcer l’indépendance de la magistrature. La modernisation des textes et la construction d’infrastructures (tribunaux, maisons d’arrêt, etc.) sont prévues. Aussi surprenant que cela puisse paraître, en Guinée, le ministère de la Justice n’a jamais eu de locaux. « Il est logé à la cour d’appel », s’indigne Thierno Maadjou Sow. Autre dossier : le sort réservé aux « criminels économiques ». « Ceux qui ont pillé le pays ont aussi contribué à installer une culture d’impunité et de violence », dénonce un cadre du privé. Les états généraux de la justice sont annoncés pour le début de l’année 2011.

Armée

Alliée ou menace ?

Si l’image de l’armée guinéenne s’est améliorée depuis l’entrée en jeu du général Sékouba Konaté après la tentative d’assassinat du 3 décembre 2009 contre Moussa Dadis Camara, elle n’est pas pour autant reluisante. Les populations gardent en mémoire les nombreuses exactions et peuvent, à juste titre, s’interroger sur la capacité des militaires à accepter l’élection d’un civil à la tête de l’État.

Les forces armées guinéennes, fortes d’environ 45 000 hommes, restent caractérisées par le faible niveau d’instruction des troupes, une propension à faire usage de la violence, le non-respect de la hiérarchie et, bien sûr, un goût prononcé pour l’exercice du pouvoir et les privilèges qu’il confère.

Les officiers sont mieux payés que les fonctionnaires de l’administration et bénéficient de nombreux avantages (logement, véhicule, ration alimentaire, eau et électricité gratuites, etc.). Quant aux soldats, à chaque fois ou presque qu’ils se sont mutinés, ils ont obtenu gain de cause. Un gouffre financier pour l’État. En 2010, les dépenses liées à l’armée sont estimées à 920 milliards de francs guinéens (95 millions d’euros), soit 30 % du budget national, contre 20 % en moyenne dans la sous-région.

Au cours des derniers mois, les promotions – « pour casser les frustrations des hommes restés longtemps sans avancement », selon un gradé – se sont multipliées. Tout comme les chantiers (casernes) et les achats d’équipement divers. Le nouveau président hérite d’une armée qu’il faudra continuer à chouchouter. Sauf que la Guinée n’a plus les moyens de le faire.

« Une réforme de l’armée est nécessaire, et c’est l’une des conditions de la stabilité du pays. Mais cela dépendra de la capacité du chef de l’État à rallier les militaires à sa cause », estime un proche du dossier qui ne souhaite pas être cité. Sur la base d’un rapport du général sénégalais Mamadou Lamine Cissé, des experts ont élaboré un projet de réforme. Réclamé par le CNDD et soutenu par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), il comporte plusieurs volets : départ à la retraite dans des conditions intéressantes, formation et équipement des troupes… Son coût : 30 à 36 millions d’euros, mais ils n’ont pas encore été mobilisés. « La recherche de fonds sera plus aisée après l’installation d’un régime démocratique », espère la même source.

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