Biens mal acquis : ONG 1 – Chefs d’États 0

La décision de la Cour de cassation française du 9 novembre permet à la plainte de l’ONG Transparency international de suivre son cours, contre la volonté du ministère de la Justice. Et elle ouvre la voie à une guérilla judiciaire qui aura immanquablement des conséquences diplomatiques.

Les présidents Teodoro Obiang Nguema, Denis Sassoun Nguesso et feu Omar Bongo Ondimba. © AFP

Les présidents Teodoro Obiang Nguema, Denis Sassoun Nguesso et feu Omar Bongo Ondimba. © AFP

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Publié le 16 novembre 2010 Lecture : 3 minutes.

Tel un feuilleton à rebondissements, l’affaire des biens mal acquis a été relancée par un coup de théâtre, le 9 novembre. Les juges de la Cour de cassation ont ouvert la voie à une enquête sur le patrimoine, en France, de trois chefs d’État africains : le Gabonais Omar Bongo Ondimba – décédé en juin 2009 –, le Congolais Denis Sassou Nguesso et l’Équato-Guinéen Teodoro Obiang Nguema.

La plainte introduite en décembre 2008 par la section française de l’ONG Transparency International (TI) pour « recel de détournement de fonds publics » va donc suivre son cours devant le tribunal de grande instance de Paris, contre la volonté du parquet et du ministère de la Justice. « Une collégialité de juges d’instruction devrait être désignée, présume l’avocat William Bourdon, de l’ONG Sherpa, associée à TI. Compte tenu de la complexité des procédures et des difficultés probables de l’enquête, deux juges valent mieux qu’un. » Selon la loi française, les magistrats ainsi désignés devront procéder aux interrogatoires des personnes contre lesquelles des indices ont été recueillis, entendre les témoins, désigner des experts, ordonner des perquisitions, des saisies ou des écoutes téléphoniques…

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Inutile de compter sur la coopération judiciaire des pays dont les chefs d’État sont mis en cause. « J’espère qu’ils auront la décence de ne pas en formuler la demande », prévient Guy Rossatanga-Rignault, conseiller du président gabonais, Ali Bongo Ondimba. Les parties civiles savent qu’il ne leur sera fait aucun cadeau : « Les commissions rogatoires s’adresseront en priorité à des pays qui ne sont pas visés par la procédure, relativise William Bourdon. Car une grande partie de l’argent qui a servi aux acquisitions immobilières incriminées provient de circuits complexes dont les ramifications s’étendent jusqu’aux paradis fiscaux. » En outre, les enquêteurs trouveront sur la table les trente-quatre procès-verbaux rédigés entre juin et novembre 2007 par les policiers de l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière, et dont de larges extraits ont été publiés dans le journal Le Monde en janvier 2008.

En décidant ainsi de casser l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 29 octobre 2009, qui avait déclaré irrecevable la plainte de TI, la haute juridiction n’a pas fait que rendre possibles d’éventuelles procédures pénales exercées sur le sol français à l’encontre de chefs d’État étrangers en exercice. Fait inédit, elle a surtout ouvert grandes les portes des palais de justice aux ONG, réputées difficiles à contrôler. Jusqu’à présent, la justice se refusait à laisser ces associations se porter partie civile dans des affaires de cette nature, au motif qu’elles ne pouvaient justifier d’un statut de victime. « Cette jurisprudence risque d’entraîner une inflation des plaintes, avec constitution de partie civile d’un certain nombre d’entre elles », s’alarme Patrick Maisonneuve, avocat de la famille Bongo. Chez Sherpa, on compte bien en profiter : « Après les clans que nous avons déjà épinglés, nous n’excluons pas de nous intéresser à d’autres chefs d’État. »

La guérilla judiciaire qui s’engage aura immanquablement des conséquences politiques et diplomatiques sur les relations entre Paris et ses alliés africains. Sûres de leur bon droit, les ONG, qui, selon un observateur, s’arrogent le « monopole mondial de la moralité », pourraient faire regretter au gouvernement français d’avoir sous-estimé leur statut d’acteur du jeu international.

Quant aux chefs d’État et à leurs familles, ils ont déjà organisé une migration de biens et capitaux vers des cieux plus cléments : Hong Kong, Singapour, Dubaï, Afrique du Sud… 

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