Sahara : jours de fièvre

De la prise d’assaut du camp de Gdeim Izik aux émeutes de Laayoune, récit d’une semaine de violences, sur fond de tension accrue entre le Maroc et l’Algérie.

Dans le camp dévasté de Gdeim Izik, le 10 novembre. © Ho New/Reuters

Dans le camp dévasté de Gdeim Izik, le 10 novembre. © Ho New/Reuters

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 18 novembre 2010 Lecture : 4 minutes.

De Rabat à Laayoune, d’Alger à New York, la crise du Sahara occidental s’est brusquement mondialisée en ce début de novembre, suscitant des interpellations à l’Assemblée nationale à Paris, aux Cortès à Madrid, et inondant YouTube de vidéos pleines de bruit et de fureur. Récit de quatre journées qui feront date dans ce conflit vieux de trente-cinq ans.

Rabat, samedi 6 novembre

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Le roi Mohammed VI prononce le traditionnel discours à la nation en ce jour anniversaire de la Marche verte. Le ton est dur, presque intimidant. « Nos fidèles sujets de Tindouf » : ainsi qualifie-t-il les réfugiés sahraouis des camps du Polisario dans l’Ouest algérien. Et le souverain de dénoncer « les affres de la répression, de l’intimidation, de l’humiliation et de la torture » qu’y subiraient ces exilés, ainsi que « la violation constante des conventions internationales par l’Algérie, qui a créé cette situation aberrante inédite ». Commentaire d’un diplomate : « Ailleurs qu’au Maghreb, ce serait une déclaration de guerre. »


Célébration du 35e anniversaire de la Marche verte, à Rabat, le 6 novembre.
© Abdelhak Senna/AFP

Gdeim Izik, dimanche 7 novembre

Si le roi joue sur un registre martial, c’est que la situation, pense-t-il, l’exige. À une douzaine de kilomètres de Laayoune, la métropole du Sahara sous administration marocaine, plusieurs milliers de Sahraouis ont établi depuis trois semaines un vaste camp de tentes. Symbole d’une protestation nomade pour des motifs purement sociaux à l’origine, le camp de Gdeim Izik, travaillé de l’intérieur par les indépendantistes pro-Polisario, prend de plus en plus l’allure d’un défi politique. Venue sur place pour y procéder à la distribution de cartes de l’Entraide nationale et de lots de terrains, une délégation de la préfecture et du ministère de l’Intérieur est brusquement encerclée par des jeunes très déterminés. Après deux heures de palabres, les officiels rebroussent chemin. À l’intérieur du camp, des groupes de militants qui ont réparti les tentes en une vingtaine de daïras (comme à Tindouf), empêchent les familles qui veulent regagner Laayoune de s’en aller. L’affrontement est inéluctable.

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Gdeim Izik, lundi 8 novembre

Peu avant 9 heures, la gendarmerie royale et les mokhaznis des forces auxiliaires donnent l’assaut au camp. Canons à eau, matraques et grenades lacrymogènes contre cocktails Molotov, bombonnes de gaz et armes blanches. Pas un seul coup de feu ne sera tiré. En une heure, tout est fini. À pied à travers la badia ou à bord de leurs véhicules, les « campeurs » refluent vers Laayoune et les tentes jonchent le sol. Mais le bilan est lourd : plusieurs dizaines de blessés de part et d’autre et surtout huit morts, exclusivement parmi les forces de l’ordre1. Une disproportion remarquable, explicitement reconnue dans ses premiers communiqués par le Polisario lui-même – lequel s’efforcera par la suite d’effacer cette singularité gênante pour lui.

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Laayoune, lundi 8 novembre

Avec le retour en ville des « déguerpis » de Gdeim Izik, la protestation tourne à l’émeute dans l’après-midi. Des bandes de jeunes hommes et d’adolescents mettent à sac la cour d’appel et la délégation du ministère de l’Éducation, incendient cafés, commerces et succursales de banques, détruisent des dizaines de véhicules – dont ceux de la radiotélévision et du maire de Laayoune, Moulay Hamdi Ould Errachid. Un mokhazni est égorgé par des émeutiers, avenue de Smara, et un Sahraoui hispano-marocain, cadre à l’Office chérifien des phosphates, est tué sur le coup après avoir été percuté par un véhicule dont on ignore s’il est ou non de la police. Le Polisario tient son martyr et l’inflation des chiffres atteint des proportions fantasmagoriques. Le Front indépendantiste parle de 11 militants tués et de 159 disparus, puis de dizaines de morts et de 4 500 blessés, et, enfin, contre toute évidence, de cadavres jonchant les rues de la ville, de fosses communes, de milices de « colons » armés et même de… génocide ! À Alger, la presse et la télévision ne sont pas en reste, qui titrent sur l’« intifada » de Laayoune, la « ville martyre ». À l’exception de quelques troubles mineurs signalés à Tan Tan et à Dakhla, le grand sud saharien du Maroc, lui, est resté calme.

Alger, mardi 9 novembre

Alors que Laayoune panse ses plaies et que la police procède aux interrogatoires de la soixantaine d’émeutiers arrêtés la veille, un vieil homme sur une chaise roulante et son accompagnateur débarquent à l’aéroport Houari-Boumédiène en provenance de Madrid. Ismaïl Moulay Salma Ould Sidi Mouloud se rend à Tindouf pour s’enquérir du sort de son fils, Mustapha Salma, ancien chef de la police du Polisario, passé à la dissidence et dont il est sans nouvelles depuis le 21 septembre. Après une nuit d’attente en zone de rétention, il est refoulé à destination de l’Espagne.

Rabat, mercredi 10 novembre

Retour sur le discours à la nation de M6. Le roi est trop fin connaisseur de son pays pour ne pas savoir qu’à l’origine des événements de Laayoune réside le malaise latent, à la fois social et psychologique, d’une communauté sahraouie qui ne se sent guère représentée par ses élites politiques et qui, parfois, a l’impression d’être traitée par une administration au demeurant peu proactive, avec un paternalisme mêlé de condescendance. Il sait aussi que le Polisario, expert en manipulation des symboles et plus implanté qu’on ne l’a cru à l’intérieur du territoire (même si la revendication indépendantiste y demeure très minoritaire), sait encadrer, exploiter et exacerber ces frustrations avec professionnalisme, comme on l’a vu à Gdeim Izik. D’où sa décision de restructurer le Conseil royal consultatif pour les affaires sahariennes (le Corcas), de le doter d’une nouvelle gouvernance, d’en démocratiser la composition et d’en élargir les compétences. Ce qui implique, de facto, un changement d’hommes. Pour certains notables locaux, il est vrai, l’affaire du camp de Gdeim Izik aura été un cruel révélateur…

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1. D’après un bilan officiel actualisé par le Maroc jeudi 18 novembre, 13 personnes ont été tuées, dont 11 membres des forces de l’ordre.

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