Biennale Danse l’Afrique danse : fertilité de la tradition
Résolument contemporaine, la biennale Danse l’Afrique danse !, qui s’est tenue à Bamako du 29 octobre au 5 novembre, montre un retour aux racines et une relecture positive du folklore.
« Cette année sera celle de toutes les danses ! » La chorégraphe Kettly Noël a donné le ton lors de la biennale Danse l’Afrique danse ! qui s’est tenue à Bamako (Mali). Organisatrice de l’événement avec Culturesfrance, la directrice du centre chorégraphique Donko Seko a su imposer sa griffe en sélectionnant des artistes qui ont présenté des pièces contemporaines ancrées dans le traditionnel.
Installée à Bamako depuis 2000, cette Haïtienne à la recherche de ses racines a créé l’un des centres les plus dynamiques de la sous-région. En dix ans, l’ancienne lauréate des Rencontres chorégraphiques de l’Afrique et de l’océan Indien est devenue une figure de proue de la création contemporaine. Une création qu’elle interroge aujourd’hui : « Les artistes ont tendance à négliger la danse traditionnelle, considérée comme exotique ou relevant du folklore. Or ce folklore s’est développé avec la colonisation et les années qui ont suivi. Aujourd’hui, il faut réinterroger les danses traditionnelles, qui requièrent une grande technicité, pour les rendre universelles. »
Héritage
De fait, il a souvent été reproché à la biennale, lancée en 1995, d’avoir façonné une danse destinée aux marchés occidentaux. « Les Européens achètent des créations contemporaines », explique Élise MBalla, la directrice du festival camerounais Abok i Ngoma. La demande créant souvent l’offre, nombre d’artistes ont tourné le dos au traditionnel. « Mais ce n’est pas la seule explication, poursuit Élise MBalla. Aujourd’hui, nous avons une génération de danseurs et de chorégraphes nés en milieu urbanisé qui ne connaissent rien de la culture villageoise. » Une génération décomplexée qui assume ce nouvel héritage.
« Avec On the Steps, explique le chorégraphe congolais Florent Mahoukou, j’ai voulu créer une pièce urbaine. Même si j’ai pu être influencé par la culture occidentale, c’est à partir de mes observations de la société congolaise que je l’ai construite. Dans l’idée de dire que, malgré le passé, la jeunesse est là, s’amuse et se réfugie dans la danse. » Résultat : On the Steps n’hésite pas à convoquer le coupé-décalé et le hip-hop, à transformer la scène en boîte de nuit le temps d’un défilé de sapeurs. « J’ai voulu briser les codes, les duos, les quatuors, et transgresser les modes d’écriture habituels pour faire de l’extraordinaire », détaille Florent Mahoukou. « Regardez dans la rue, s’enthousiasme le chorégraphe burkinabè Serge Aimé Coulibaly, le traditionnel et le contemporain se côtoient sans que ça ne choque personne. » Le Kényan Fernando Anuang’a l’a compris qui, avec son solo A Journey into the Future, renoue avec les danses massaïs.
Textes
Danse l’Afrique danse ! aura montré une création contemporaine qui cherche à se réinventer. Les formes varient. Le recours à la vidéo est plus fréquent. La rencontre avec le théâtre n’est jamais loin. Le solo Avec des mots de Sayouba Sigué repose sur un rap du groupe Yeleen, qui constate : « Innocente est la population qui subit ses gouvernants […]. Loin de l’hypocrisie des afro-pessimistes, les tam-tams battent au rythme de nos échecs. » « Le rap, avoue le Burkinabè, est plus direct que la danse, plus accessible. »
De même, dans Port du casque obligatoire, le Congolais Boris Ganga Bouetoumoussa a choisi de s’appuyer sur un texte, Les murs sont gris. Une manière d’évoquer l’impossible construction d’une « Afrique en chantier ».
Gaspillage
« Cinquante ans d’échecs que nos États ont fêtés sans esquisser la moindre autocritique », constate le cinéaste Abderrahmane Sissako, qui a ouvert le Soudan Ciné en réfection, le 1er novembre, pour projeter le film Do We Need Coca-Cola to Dance, du chorégraphe nigérian Qudus Onikeku, primé cette année pour son solo My Exile is in my Head. « Combien d’argent a été gaspillé pour ces festivités, poursuit-il, alors que rien n’est fait pour développer la culture ? »
Un constat partagé par les professionnels, même si pour la première fois le Mali a financé la biennale, à hauteur de 200 000 euros. « Nous avons passé une semaine à discuter de ce que nous, danseurs et chorégraphes africains, devons et voulons être dans un cadre organisé par le ministère français des Affaires étrangères… », constate quelque peu amer Serge Aimé Coulibaly. « Il est temps, renchérit Élise MBalla, que nos États comprennent que la culture génère des emplois, des revenus, crée de la richesse et peut être un facteur de développement. »
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