Les banques manquent de coffre
Les établissements d’Afrique francophone ont deux ans pour multiplier par dix leur capital social. Inspirée de celle des voisins anglophones, cette réforme doit renforcer leurs moyens d’action et consolider le secteur.
Trop timide. Insuffisante. Une réformette… Les commentaires sur la réforme du système bancaire en cours en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale tiennent plutôt du réquisitoire. Décidée en septembre 2007, cette nouvelle réglementation doit faire passer le capital social des banques – sous peine d’un retrait de leur agrément – de 1 milliard de F CFA (1,5 million d’euros) à 5 milliards au 31 décembre 2010. Et à 10 milliards au 31 décembre 2012.
La tendance n’est pas isolée. Le Nigeria et le Ghana ont une longueur d’avance et sont bien plus ambitieux. « Il y a un mouvement international en marche, et l’Afrique francophone est en retard. Les institutions et les gouvernements se sont rendu compte qu’une banque, cela pouvait être fragile. Or pour se financer, les économies ont besoin de banques d’une certaine taille, ce qui permettra, dans les pays sous-bancarisés, de servir davantage les PME et de développer la banque de détail », explique Laurent Demey, directeur général délégué de Proparco, filiale de l’Agence française de développement (AFD).
« La contribution du secteur bancaire au financement des économies reste faible », justifie la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) dans le rapport annuel de la Banque de France sur la zone franc, publié fin septembre. De fait, les crédits y représentaient 18 % du PIB en 2009, contre 34 % au Nigeria, 77 % au Maroc et 145 % en Afrique du Sud, explique l’institution (qui a refusé de répondre à nos questions), l’un des pilotes de la réforme avec la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac). « Le principal défi, c’est de renforcer la solvabilité des banques. Et si l’on augmente leur capital, c’est aussi, au-delà de l’exigence réglementaire, une manière de leur donner des moyens additionnels d’intervention », explique Ousseynou Sow, secrétaire exécutif du Club des dirigeants de banques et établissements de crédit d’Afrique.
Canards boiteux
Ces mesures ont également pour dessein d’éliminer les canards boiteux. « C’est une manière indirecte d’inciter les banques à se regrouper pour créer des groupes plus puissants et plus solides », complète Martin Djedjes, PDG de la BIAO. Entrée dans le giron de l’assureur NSIA en 2006, la banque ivoirienne affiche un capital social de 20 milliards de F CFA (soit quatre fois les 5 milliards exigés). Présent dans cinq pays, BGFI détient de son côté des fonds propres de 30 milliards de F CFA depuis avril 2010, à la suite d’un appel aux actionnaires et grâce au cash-flow du groupe gabonais.
En fait, tous les leaders panafricains, comme Ecobank ou Bank of Africa, ont largement dépassé la nouvelle exigence, en faisant appel avec succès au marché boursier. « Avec cette réforme, nous avons assisté à une recomposition des systèmes bancaires, du fait de l’arrivée dans le capital de nouveaux groupes, notamment marocains (Attijariwafa, BMCE) et nigérians (United Bank for Africa, Access Bank), ou/et de la création de nouvelles entités », constate Ousseynou Sow.
Problème : censées agir en faveur de la réduction du nombre d’établissements, les banques centrales continuent d’accorder des agréments… Le portugais Banco Espírito Santo a créé une filiale au Congo en 2009, et le nigérian United Bank for Africa en a implanté au Tchad, au Gabon et au Cameroun. En 2009, l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) totalisait 112 banques de crédit, contre 96 en 2007… Rien qu’en Côte d’Ivoire, 8 établissements sur 20 sont sous la barre des 5 milliards de F CFA. De son côté, la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) comptait 45 banques fin 2009. Dont cinq en situation financière « fragile » et deux en situation « critique. » Soit un total de 157 banques en Afrique francophone, contre 26 au Nigeria après la réforme…
Derrière ce chiffre se cache une kyrielle de petites banques, en fait des PME, qui vivotent, mais ne disparaîtront pas dans leur majorité. « Certaines banques avaient atteint ce capital social de 5 milliards de F CFA avant même l’adoption de la mesure. De nombreuses autres sont en train de remplir cette condition », souligne Ousseynou Sow. Selon la BCEAO, les établissements qui se sont déjà conformés à la nouvelle exigence totalisent 70 % du total des dépôts de l’UEMOA.
« Cette réforme est une cote mal taillée, mais il fallait la faire », se console Laurent Demey. Car plutôt que de réaliser une réforme d’envergure à la nigériane ou à la ghanéenne, les institutions régionales ont joué la demi-mesure en tenant compte de la taille réduite de certains marchés (Niger, Bénin, Togo…).
Tout bouge, rien ne change
De fait, si le seuil de fonds propres de 1 milliard de F CFA était ridicule, le relèvement à 5 milliards ne changera pas vraiment la donne. « Vous faites une seule grosse bêtise et vous êtes mort », assure un banquier ivoirien. Les prêts resteront limités. Les banquiers piloteront toujours leurs établissements en serrant le frein à main. Ils risqueront au maximum l’équivalent de 25 % de leurs fonds propres sur un seul client, soit un crédit de 1,25 milliard de F CFA. Les autres prêts varieront entre 200 millions et 300 millions. Trop peu pour espérer donner un coup de fouet à une économie.
La réforme laissera peu de cadavres sur la route. « Les banques qui vont mourir sont celles qui sont déjà mourantes. Deux ou trois, parmi les plus fragiles et dans lesquelles personne ne voudra investir, disparaîtront en Afrique de l’Ouest », prédit Laurent Demey. Parmi les établissements en danger, Financial Bank. Fondé au Togo par Rémy Baysset, le groupe est aussi présent au Bénin, au Tchad, au Gabon, en Guinée et en Mauritanie. Entre 2007 et 2008, ses fonds propres ont fondu de 12,6 milliards à 6 milliards de F CFA. Son nouveau directeur général, Patrick Mestrallet, tente de redresser la barre depuis son acquisition, en 2009, par le capital-investisseur Emerging Capital Bank, pour environ 30 millions d’euros. « Trop cher », ont commenté les concurrents. Le deal a mal tourné (irrégularité de gestion, prétend le repreneur), et les deux parties sont devant la justice.
Les quatre banques publiques togolaises, dont la privatisation s’éternise, ne sont pas au mieux. L’Union togolaise de banque, la Banque internationale pour l’Afrique, la Banque togolaise de développement et la Banque togolaise pour le commerce et l’industrie, en pleine restructuration, doivent rapidement trouver un repreneur. Difficultés identiques au Bénin, où deux banques seraient sous administration provisoire. Présente à Dakar et à Abidjan, Bridge Bank, créée en 2006 et filiale à 85 % du groupe Teylium (qui appartient à l’homme d’affaires Yérim Sow), recherche aussi un partenaire. Enfin, nationalisée par l’État ivoirien en 2009, Versus Bank, qui dispose d’un capital social de 3 milliards de F CFA, a été approchée par le camerounais Afriland First Bank.
« Les investisseurs ont un gros appétit, note un banquier. Ils sont prêts à faire un gros chèque contre une promesse de rendement de 20 % à 30 % dans la zone. » Proparco étudie trois à quatre dossiers, qui aboutiront avant le premier trimestre 2011. Mais les plus grandes surprises pourraient venir de Tunisie (Amen Bank, BIAT…) et surtout du Liban. Dotées de fonds importants, habituées aux opérations de transferts de fonds et aux environnements difficiles, les banques libanaises, notamment Bank Audi et Byblos Bank, s’intéressent à l’Afrique. Elles pourraient réaliser leurs premières acquisitions dès 2011, en commençant par la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Nigeria ou la RD Congo, où il existe de fortes communautés libanaises.
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