Les Casques bleus dans le bourbier de l’Est

Mal préparés, mal informés, les Casques bleus peinent à faire la preuve de leur efficacité en RDC. Reportage dans le Nord-Kivu aux côtés de ces hommes qui ne parlent ni français ni swahili, mais dont Kinshasa ne pourrait se passer.

Juin 2010. Patrouille d’un bataillon indien dans le camp de réfugiés de Kiwanja (Nord-Kivu). © GWENN DUBOURTHOUMIEU/AFP

Juin 2010. Patrouille d’un bataillon indien dans le camp de réfugiés de Kiwanja (Nord-Kivu). © GWENN DUBOURTHOUMIEU/AFP

Publié le 15 novembre 2010 Lecture : 7 minutes.

« Monic, biscuite ! Monic biscuite ! » Il y a bien longtemps que les Casques bleus ne distribuent plus de biscuits aux enfants des villages congolais, mais l’habitude est tenace. Pour les gosses du Nord-Kivu, la Monuc, devenue en juillet Mission des Nations unies pour la stabilisation en RDC (Monusco), a toujours été là. Les soldats indiens, pakistanais ou uruguayens, avec leur turban ou leur casque bleu clair, font partie du paysage, tout comme les 4×4, les hélicoptères et les camps de brousse, avec leurs rouleaux de barbelés et leurs parterres de fleurs bien soignés.

Énorme machine qui absorbe chaque année plus de 980 millions d’euros, la Monusco est sans cesse sous le feu des critiques. Celles des pays contributeurs, lassés par les milliards engloutis depuis le déploiement des premiers Casques bleus fin 1999 et par la persistance de l’insécurité dans les provinces de l’Est. Celles de la population, qui estime que sa protection n’est pas assurée, alors que c’est dans le mandat de la Monusco. Et celles du gouvernement, qui aurait certes bien du mal à se passer de la mission des Nations unies, mais qui sait user d’accents souverainistes pour mobiliser l’électorat. Kinshasa critique régulièrement la force onusienne et a accusé les Occidentaux de vouloir maintenir le statu quo dans l’Est pour préserver les intérêts des multinationales qui achètent les « minerais du sang ». Le président Kabila avait, lui, souhaité un désengagement de la Monusco à partir du 30 juin 2010, jour anniversaire de l’indépendance, mais n’a jamais officiellement formulé une demande de retrait total des troupes. De passage à New York, fin septembre, pour l’Assemblée générale des Nations unies, il s’est d’ailleurs gardé d’évoquer le sujet.

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Sur le terrain, peu de changements. Malgré la présence de plus de 5 000 soldats de maintien de la paix, le Nord-Kivu est toujours le théâtre de violences, dont les civils – et surtout les femmes – sont les premières victimes. L’armée congolaise y combat les rebelles hutus rwandais des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) avec le soutien logistique de la Monusco… et avec un succès très relatif. Julien Paluku Kahongya, gouverneur de la province, assure pourtant qu’elle a fait « un travail énorme », même s’il est vrai qu’elle « ne peut pas être partout ». En août, la Monusco a mis dix jours à réagir après le viol de plus de 300 femmes dans le territoire de Walikale. Et il n’y a là rien de nouveau : cela s’est déjà produit et se reproduira probablement. Répartis dans 35 camps, dont la moitié ne sont accessibles que par hélicoptère, les soldats basés dans la région patrouillent à pied. Les routes ne sont pas praticables.

Un seul interprète

Comme chaque matin, les hommes du commandant Satyender Singh quittent leur base, sur les hauteurs de Rugari, grosse bourgade à environ deux heures de voiture au nord de Goma, chef-lieu de la province. À pied, coiffés de leur casque et de leur lourd gilet pare-balles, ils partent pour quatre, six, voire huit heures de marche. Pour les suivre, dans les chemins escarpés et boueux, il faut du souffle et de bonnes chaussures. « Il y a des bananiers à droite et à gauche, et derrière c’est la forêt. On ne voit pas à 5 m. C’est extrêmement dangereux », explique le commandant de ce bataillon indien.

Plus haut, les collines sont quadrillées de champs bien entretenus où travaillent les paysans. « Jambo ! » lance le commandant Singh, accompagnant cette salutation en swahili d’un geste de la main ouverte. « C’est un signe de paix », assure-t-il. Il ne connaît pas d’autre mot, et son français est aussi limité que son swahili. Il y a un seul interprète sur la base. Il accompagne parfois une patrouille, mais ne peut pas être de toutes les sorties.

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Le commandant donne aux paysans une feuille avec un numéro de téléphone, détachée d’un petit carnet qu’il emporte toujours avec lui. Officiellement, deux fois par jour, la Monusco appelle des personnes censées la tenir informée de la situation, mais elle ne fournit ni appareil ni crédit d’appel. Et même s’ils étaient équipés, il y a peu de chances que les villageois puissent recharger les batteries des téléphones.

Dans sa poche, le commandant Kapoor, qui commande une base à Masisi, plus à l’ouest, a lui aussi un petit carnet plastifié : un précis de relations publiques en quatre langues. Hindi, anglais, français, swahili. Il peut y apprendre quelques salutations, demander « d’où venez-vous ? », « avez-vous vu des hommes armés ? », et, en cas d’opération, lancer un « rendez-vous, vous êtes cernés ! ». Il ne s’en est pas servi très souvent.

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Mal informés

Ces problèmes de communication empêchent les bases de recueillir des informations fiables à propos de ce qui se trame dans les forêts, et les traducteurs, en nombre insuffisant, sont constamment sous pression. « Sous la menace, ou contre rémunération, certains collaborent avec les groupes armés. Nous savons qu’un grand nombre de traducteurs informent les rebelles sur ce qui se passe et se décide dans les bases », regrette-t-on à la Monusco.

Les patrouilles en brousse ont à peine un effet dissuasif. Il est rare que les Casques bleus puissent prévenir ou stopper une attaque. Ils sont souvent mal informés, même après les événements. « C’est un problème de communication, mais aussi un problème culturel. Une femme qui a été violée ne va pas facilement aller raconter cela à un homme, a fortiori un soldat et un étranger », explique Samba Tall, chef de mission par intérim à Goma.

La population de Masisi, au nord-ouest de Goma, semble plutôt satisfaite de la présence des bases indiennes. Dans le village, la sécurité est assurée. Mais à quelques kilomètres les attaques continuent. « La Monusco ne peut pas se substituer à l’armée et à la police. Ce n’est pas son rôle, elle est là seulement pour les appuyer », se défend Leila Zerrougui, adjointe au chef de la Monusco. Or les forces armées congolaises sont elles-mêmes accusées de harceler la population. Dans leurs rangs, beaucoup d’ex-rebelles – anciens éléments du Conseil national pour la défense du peuple de Laurent Nkunda. Leur comportement, malgré le nouveau costume, n’a pas profondément changé.

Contrôles renforcés

Les Casques bleus ne sont pas non plus les soldats les plus aguerris. Venus le plus souvent de pays du Sud, ils ont parfois mal préparé leur mission en RDC. « Certains pays préparent des jeunes spécialement pour les opérations de maintien de la paix. Ils ont une formation avant de partir, mais ne sont pas des militaires de carrière », regrette un officier en poste à Goma. Dans le passé, des scandales liés à des abus sexuels ont également entaché la réputation de la mission. Les contrôles ont depuis été renforcés. « Nous sommes extrêmement stricts sur ce point, explique Sylvie Van Den Wildenberg, porte-parole de la Monusco. Cependant, le temps que des informations nous parviennent, qu’une enquête soit lancée et terminée, les soldats sont souvent rentrés chez eux. Sur les bases opérationnelles, ils ne restent pas plus de six mois. »

Autre accusation : certains contingents – indiens notamment – se livreraient à des trafics de minerais. « Ils ne se limitent pas à l’or, mais sortent de la cassitérite. Ils tiennent des axes routiers et font leur business en toute discrétion », accuse un officier sud-américain. Là encore, des rumeurs mais pas de preuve. La Monusco a-t-elle vraiment envie d’enquêter ? Sans les Indiens, qui constituent le plus gros contingent, la force serait en très grande difficulté.

« Même pas une banane »

Montrée du doigt, la Monusco a bien du mal à se défendre et à faire la preuve de son utilité. À Goma, « à part quelques privés qui louent des maisons, la présence de la Monusco n’a aucun impact », ajoute une assistante sociale. Approvisionnés par une centrale d’achat, les soldats ont pour consigne de ne rien consommer qui provienne des marchés locaux. « Le week-end, on peut sortir boire une bière, mais on n’est pas censés manger dehors. Même pas une banane », explique un officier uruguayen. Le soir, devant les bars qui longent les rues défoncées de Goma, s’alignent les Toyota blanches marquées du sigle onusien UN. Si les militaires ont encore un semblant de vie communautaire, les civils, contraints de s’installer en RDC sans famille, traînent leur mal-être. « Jamais je n’ai autant souffert de la solitude », avoue un cadre ouest-africain. Pour combler le désarroi qui les saisit parfois le soir au moment de rentrer dans une maison vide, certains se trouvent une compagne pour la nuit – ou plus si affinités. Une pratique totalement interdite par le règlement de la mission de paix, mais répandue.

Le 1er juillet, la Monuc a ajouté un « s » à son nom pour « stabilisation ». Cela devrait se traduire par plus d’investissements dans la reconstruction, dans la formation de militaires et de policiers, dans l’appui à la justice. Mais jusqu’ici, la différence n’est pas vraiment perceptible. Et l’efficacité de la force onusienne ne devrait pas s’améliorer. En effet, les Indiens ont annoncé le retrait de 9 hélicoptères, sur les 21 mis à la disposition de la Monusco. À l’avenir, la force des Nations unies devra faire plus avec moins de moyens et moins d’hommes. Elle ne semble pas à la veille de quitter le pays. Un tout nouveau quartier général doit être construit sur le terrain de l’ancienne usine textile Utexafrica, au cœur de Kinshasa.

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