Fru Ndi, le candidat paysan

Vaches, piments, pamplemousses… Le chef de l’opposition et fondateur du Social Democratic Front s’est pris de passion pour l’agriculture. Sans pour autant renoncer à la vie publique. Et c’est depuis sa plantation, au cœur du pays anglophone, qu’il a annoncé à Jeune Afrique qu’il se présenterait à la présidentielle de 2011. Rencontre.

Fru Ndi croit à la possibilité d’une alternance. Si la loi est respectée. © Maboup pour J.A.

Fru Ndi croit à la possibilité d’une alternance. Si la loi est respectée. © Maboup pour J.A.

GEORGES-DOUGUELI_2024

Publié le 19 novembre 2010 Lecture : 4 minutes.

Pour le rencontrer, il faut voyager loin, au cœur du pays anglophone. À sa résidence principale de Bamenda, John Fru Ndi préfère désormais le décor champêtre de son ranch situé 80 km plus au nord. Acquise il y a huit ans, la propriété s’étend sur 200 ha, à la périphérie de Wum (département de la Menchum). Blottie entre les montagnes, à 1 100 m d’altitude, la ville ne se laisse découvrir qu’après deux heures d’une route difficile, la cahoteuse Ring Road.

C’est dans ce paysage de carte postale – verts pâturages à perte de vue – que le chef de l’opposition camerounaise et président du Social Democratic Front (SDF) a choisi de se retirer. Plus à l’est, à 25 km de là, sommeille le lac Nyos, dont les entrailles laissèrent échapper un gaz toxique qui tua deux mille personnes par un paisible matin d’août 1986.

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À 69 ans, deux fois veuf, John Fru Ndi a pris du recul. Cet ancien libraire de Bamenda, qui en 1990 fonda le SDF, s’est pris de passion pour l’agriculture. Il possède 600 vaches, qu’il rêve de croiser avec des races importées d’Italie, envisage de se lancer dans la production de yaourts aux fruits et bichonne ses plants de piments et ses pamplemoussiers.

Fru Ndi s’est-il pour autant retiré de la vie politique ? « Non », rétorque le patron du SDF. Certes, il est loin le temps où il forçait le président Biya à accepter le multipartisme. Loin le temps où il remportait 37 % des suffrages à l’élection présidentielle (c’était en 1992). Son parti, qui avait 42 députés à l’Assemblée nationale en 1997, n’en compte plus que 15 aujourd’hui, même s’il tient toujours un certain nombre de mairies dans les régions Littoral, Ouest, Sud-Ouest et Nord-Ouest. Depuis son pied-à-terre érigé sur le sommet d’une colline, Fru Ndi écoute le grondement lointain des tracteurs et le sifflement de l’éolienne qu’il a fait installer pour son approvisionnement en électricité. Mais il perçoit aussi le vent de révolte qui souffle sur la jeune garde du SDF.

Le téléphone du Chairman n’arrête pas de sonner. L’homme dirige son parti à distance et ne voit pas en quoi cela pourrait poser un problème : « Gérer une formation politique, ce n’est pas la même chose que gouverner un pays », se défend-il, égratignant au passage son rival de toujours, Paul Biya. « Des amis européens de passage ici m’ont dit que ce paysage leur rappelait la Suisse, s’amuse-t-il. Moi, je n’ai pas besoin d’aller à l’étranger. »

Fidèle à lui-même, l’opposant refuse de s’exprimer en français et parle de lui à la troisième personne. « Fru Ndi donne plus de conférences de presse par an que n’importe quel chef de parti », assure-t-il. Et quand il n’est pas là, sa garde rapprochée veille au grain. Il peut compter sur Joseph Mbah Ndam, avocat et président du groupe SDF à l’Assemblée nationale, et sur Augustin Mbami, trésorier général du parti.

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Défections

Le très populiste chantre du « Suffer don finish » (« Fini la misère », son slogan en pidgin) s’est-il embourgeoisé ? Il jure que non. « Mais pourquoi passer mes journées à jouer au politicien à Yaoundé quand je peux produire des denrées alimentaires dans mes champs et faire de l’argent ? »

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La conversation prend parfois un tour amer. Fru Ndi regrette l’absence d’alternance politique et dénonce le manque de transparence dans l’organisation des élections. La présidentielle de 2011 ? Il sera candidat, bien sûr, comme il l’a déjà été en 1992 et en 2004. La magistrature suprême est d’ailleurs le seul mandat auquel il ait jamais prétendu. Mais il s’inquiète des défections enregistrées ces dernières semaines. En quelques jours, trois poids lourds du SDF ont décidé de reprendre leur liberté : Pierre Kwemo, ancien premier vice-président du parti ; Jean Nguenevit, ministre des Finances du « gouvernement » du SDF, le « shadow cabinet », et Kah Walla, ex-conseillère à la stratégie. Ils sont venus s’ajouter à la liste déjà longue des anciens cadres en rupture de ban pour divergence d’opinion. Mais Fru Ndi ne transigera pas : « Ceux qui prennent le contre-pied des positions du parti se tirent une balle dans le pied et s’excluent eux-mêmes. »

Plaintes en diffamation

Et le gros des déçus rejoint les rangs de ses ennemis. Il y a là l’ancien secrétaire général du SDF, Tazoacha Asonganyi, qui a prétendu que Fru Ndi avait passé un accord secret avec Paul Biya ; Bernard Muna, qui tenta de s’emparer du SDF en 2006 (« Il s’est autoproclamé candidat de la société civile pour 2011. J’ignorais qu’elle était un parti politique ») ; Marafa Hamidou Yaya, ministre d’État chargé de l’Administration territoriale, contre qui il a déposé deux plaintes en diffamation devant la justice (« Il m’a accusé, sans preuves, d’avoir été l’instigateur des émeutes de février 2008 »). Il n’est pas tendre non plus avec Issa Tchiroma Bakari, aujourd’hui ministre de la Communication : « Il fut une figure de l’opposition. Paul Biya en a fait son griot. Avec des gens comme lui, la politique devient une farce, qui sert à amuser la galerie. » Sa dernière flèche est adressée à Yvon Omnès, ambassadeur de France au Cameroun entre 1984 et 1993 : « Il a induit le gouvernement français en erreur en le poussant à soutenir Biya coûte que coûte lors de la présidentielle de 1992 [dont Fru Ndi revendiquait la victoire, NDLR]. La preuve, le président l’a gardé auprès de lui après sa retraite. Cet homme ne servait pas les intérêts de son pays, mais les siens. »

S’il est élu, promet John Fru Ndi, il ne restera en poste que trois ans, le temps pour lui d’instaurer le fédéralisme au sein duquel, affirme-t-il, les droits des anglophones seront mieux respectés. Et dans le cas contraire ? C’est une éventualité qu’il ne veut pas évoquer. Mais une chose est sûre : l’homme n’a pas l’intention de prendre sa retraite.

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