Un dimanche de riches à Bamako

Très loin des sanctuaires d’Al-Qaïda au Maghreb islamique, dans le nord du pays, la classe aisée de Bamako s’amuse, insouciante, comme lors de ce dimanche en croisière sur le fleuve Niger. Reportage.

Un couple à bord du Dougou Dougou, sur le fleuve Niger. © Émilie Régnier pour J.A.

Un couple à bord du Dougou Dougou, sur le fleuve Niger. © Émilie Régnier pour J.A.

Publié le 3 novembre 2010 Lecture : 3 minutes.

En tenue de week-end – un polo noir sur un jean, une casquette et des tongs –, Souleymane Coulibaly s’affaire dans la grande salle climatisée du MontéCristo, une bonne table de Bamako dont il est propriétaire. Un œil sur sa montre dorée, il répond au téléphone, donne des ordres aux serveurs en livrée, range des bouteilles de gewurztraminer – du vin blanc d’Alsace – dans des casiers.

C’est dimanche, il est bientôt 13 heures. Bamako fait la sieste. Mais M. Coulibaly ne lèvera pas le pied. Il s’apprête à emmener un groupe d’amis sur le Niger à bord de son bateau, le Dougou Dougou, une barge un peu vieillotte mais confortable – salon, cabines, cuisine – amarrée à Koulikoro, à 60 km à l’est de la capitale. « Tout doit être parfait », dit-il. C’est que, même avec ses proches, l’affable M. Coulibaly a une réputation à tenir. Propriétaire d’un maquis, Le Diplomate, d’une boîte de nuit, L’Alizé, et d’une agence de tourisme, Dougou Dougou Travel, il s’annonce comme un « professionnel » de l’accueil et du service aux clients.

la suite après cette publicité

Un minibus – utilisé quatre jours plus tôt par la délégation guinéenne venue célébrer le cinquantenaire du Mali – attend les invités devant le MontéCristo. Ils arrivent au compte-gouttes. Le défilé commence par deux appétissantes créatures, visage mangé par des lunettes de soleil griffées, en short et débardeur. Copines d’enfance, elles font des affaires à Paris et sont de passage pour les vacances. Puis débarquent, dans un survêtement blanc impeccable, le gérant d’un club de musique de Bamako, un ingénieur en boubou rayé, le patron d’une entreprise de courrier express, en jogging lui aussi, une restauratrice de Dakar… Au final, une joyeuse bande de bourgeoises et de bourgeois décontractés s’impatiente à l’arrière du véhicule. Abonnés aux virées dominicales de M. Coulibaly, ils savent qu’ils vont s’amuser.

Les « gens » de ce dernier garnissent le coffre. D’abord les cartons frigorifiques remplis d’agneau aux champignons, de poulet, de bœuf – qui finira en brochettes –, de fromages sur lit de salade, de nems de chez Asia, un traiteur chinois de la capitale. Ensuite les casiers de bouteilles – champagne, fillettes de vins rouges et blancs, vodka, whisky et quelques sodas. Ils doivent être à portée de main, car la dégustation commencera dans le minibus.

Pas de nouvelles…

Il y a une heure, le journal de Radio France Internationale titrait sur le Mali et les 7 otages enlevés le 16 septembre par Al-Qaïda au Maghreb islamique. Ils ont été localisés dans le nord du pays et seraient en vie. Mais, dans le minibus de M. Coulibaly, à plus d’un millier de kilomètres du repaire des terroristes, on ignore la mau­vaise nouvelle qui, aux yeux du monde, s’ajoute au cortège de malheurs maliens, pauvreté en tête. Éteinte, la radio cède la place aux vannes et aux blagues de potache. Elles fusent dans le cliquetis des verres. On s’esclaffe. « Il faut ouvrir d’autres bouteilles, on est là pour ça ! » lance M. Coulibaly.

la suite après cette publicité

C’est qu’à Bamako comme ailleurs l’argent permet de s’amuser en se remplissant la panse et le gosier. « Solo » – le surnom de M. Coulibaly – y veille. Sur le ponton brûlant du Dougou Dougou, ses invités se concentrent sur l’essentiel : aller du transat au matelas, du ponton au toit de la cabine, lâcher ici une blague au-dessous de la ceinture, là un geste coquin, s’extasier devant le vert tendre des arbres et le ciel sans nuages. Le maître d’hôtel, lui, n’oublie jamais son rôle. Il garde un œil sur les cuisiniers au barbecue, s’inquiète d’un verre ou d’une assiette vides. Et rappelle que la ripaille se prolongera dans le bus, jusqu’au retour à Bamako, à 21 heures. Toutes radios éteintes. Les mauvaises nouvelles peuvent attendre lundi. 

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Le continent compte désormais 100 000 millionnaires. © AFP

Bienvenue chez les riches !

Contenus partenaires