« Vénus noire » : l’Afrique violée

Dans « Vénus Noire », le réalisateur franco-tunisien Abdellatif Kechiche retrace l’histoire atroce de Sawtche, la « Vénus hottentote », qui fut présentée comme une bête de foire au XIXe siècle en Europe. Retour sur un phénomène colonial extrêmement répandu et populaire.

Scène de « Vénus Noire », d’Abdellatif Kechiche. © MK2

Scène de « Vénus Noire », d’Abdellatif Kechiche. © MK2

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Publié le 27 octobre 2010 Lecture : 2 minutes.

Vénus noire : l’Afrique violée
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Vénus noire : l’Afrique violée

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Derrière les mots utilisés, il y a une pensée et des tombereaux d’idées toutes faites. Ainsi, qui connaît Sawtche ? Personne. Et Saartjie Baartman ? Ah, cela vous rappelle quelque chose, mais quoi ? Qui ? En revanche, vous connaissez le sort funeste de la « Vénus hottentote », cette femme sud-africaine exhibée telle une bête de foire en Europe, au début du XIXe ­siècle, et étudiée par le scientifique français Georges Cuvier dans la perspective de bâtir une hiérarchie des races. Eh bien, son nom était Sawtche ; elle fut ­baptisée plus tard Saartjie Baartman. Mais que ­dit-on quand on associe le mot « vénus » et l’épi­thète « hottentote » ?

Le premier renvoie, bien plus qu’à la déesse de l’amour, à ces sculptures du paléolithique représentant des femmes aux fesses, aux hanches, aux seins ou aux organes génitaux hypertrophiés (Vénus de Lespugue, Vénus de Willendorf, etc.). Le terme « hottentot » serait, quant à lui, un sobriquet utilisé par les Afrikaners pour qualifier les Khoïkhoïs, dont la langue aux « clics » caractéristiques pouvait évoquer le bégaiement aux oreilles des Européens. Autant dire que, huit ans après le retour du corps de Sawtche sur sa terre natale, près de deux cents ans après sa mort, le langage commun porte encore les traces d’inoxydables préjugés.

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Le titre du film réalisé par le Franco-Tunisien Abdellatif Kechiche n’est pas La Vénus hottentote, mais Vénus noire (en salle le 27 octobre). Il est permis de supposer que le réalisateur a conservé le terme « vénus » débarrassé de l’article défini pour lui rendre ses connotations positives et qu’il l’a volontairement ­affublé d’un adjectif cher à Léopold Sédar ­Senghor (« Femme nue, femme noire »). Révolution du langage, révolution de la pensée. Le premier long-métrage consacré à Sawtche est l’œuvre d’un homme venu du continent africain, lui-même confronté au regard de l’Europe. Un homme qui a choisi une actrice cubaine dont les ancêtres furent, sans doute, esclaves des Blancs. Un homme qui ose un film sans concession pour dire ­l’Afrique humiliée, méprisée, pillée, saccagée, dépossédée, l’Afrique violée sans honte ni retenue. C’est certain : par son courage, son intelli­gence, sa perti­nence, sa radicalité, Vénus noire fera date.

 

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