Thomas Mélonio : « Scolarisés, diplômés et… sous-employés ! »

Depuis vingt ans, au maghreb, les étudiants affluent, mais les crédits ne suivent pas. Ce spécialiste des questions d’enseignement* explique pourquoi.

Thomas Mélonio. © AFD

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Julien_Clemencot

Publié le 18 novembre 2010 Lecture : 3 minutes.

Formation : les Africains premiers de la classe pour la mobilité
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JEUNE AFRIQUE : Quelle est l’évolution des effectifs étudiants dans l’enseignement supérieur maghrébin ?

THOMAS MÉLONIO : Les taux de scolarisation ont connu une forte ­hausse et sont désormais proches de ceux des pays développés de l’Organisation de coopération et de développement économiques [OCDE]. À partir des années 1970, ils ont augmenté de 8 % à 10 % par an, c’est-à-dire plus que la moyenne mondiale [4 % à 5 %, NDLR]. Si le rythme tend à fléchir depuis les années 2000 en raison du ralentissement de la croissance démographique, il restera important encore six ou sept ans. En Tunisie, on compte environ 35 % d’étudiants par génération, contre 15 % en Afrique du Sud, 7 % à 8 % au Sénégal ou en Côte d’Ivoire et moins de 2 % au Tchad.

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Les systèmes publics sont-ils en mesure de faire face à cette augmentation des effectifs ?

La baisse de la dépense par étudiant laisse supposer une dégradation des conditions d’enseignement et d’encadrement. Depuis vingt ans, la démocratisation de l’enseignement supérieur a bouleversé les conditions d’accueil des étudiants. Le nombre d’élèves par professeur a augmenté de 50 % en Tunisie, alors qu’au Maroc c’est le personnel administratif qui n’augmente pas au même rythme que les effectifs étudiants. Il y a aujourd’hui 1 enseignant pour 20 élèves en Tunisie, 1 pour 25 en Égypte et 1 pour 30 au Maroc. Dans les pays de l’OCDE les plus en pointe, aux États-Unis et au Royaume-Uni par exemple, on en est à 1 pour 15. En dépit des investissements importants consentis par les États [6,1 % du budget de la Tunisie en 2010, contre 3 % à 4 % de 1980 à 2000, NDLR], les études mettent aussi en évidence une baisse de la dépense publique réelle par étudiant, qui a été divisée par trois et représente désormais 50 % du revenu moyen par habitant.

Difficile, dans ces conditions, de relever le défi de l’insertion professionnelle…

Effectivement. En Tunisie, une étude de la Banque mondiale et du ministère de l’Emploi a mis en évidence un taux de chômage chez les jeunes très important (de l’ordre de 50 % à 60 %) dix-huit mois après l’obtention de leur diplôme. L’Égypte connaît une situation assez similaire. Contrairement à ce qui se passe dans les pays de l’OCDE, le diplôme ne protège pas du sous-emploi. C’est une préoccupation majeure pour les pouvoirs publics, qui consentent de réels efforts financiers afin de remédier à ce problème. L’insertion professionnelle est meilleure pour les filières techniques, et à l’inverse plus laborieuse pour les diplômés des sciences humaines et sociales.

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Le secteur privé est-il mieux armé pour répondre aux difficultés ­d’insertion ?

Oui. À l’image de l’école d’ingénieurs Esprit, en Tunisie, elles tendent davantage à impliquer les entreprises dans la définition des cursus et nouent plus facilement des partenariats avec l’étranger. En outre, en intégrant une partie des étudiants, elles permettent aux États de réaliser des économies. Autant d’éléments qui incitent les gouvernements marocain, égyptien et tunisien à favoriser leur développement.

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Quelles mesures peuvent aider les familles à financer les études de leurs enfants ?

La question commence tout juste à être débattue au Maghreb, car l’enseignement public, largement majori­taire, est gratuit et les formations privées sont récentes. L’Afrique du Sud pourrait d’ailleurs servir de référence, car ce pays a mis en place, parfois avec des institutions privées comme Eduloan, des dispositifs de prêts publics à taux zéro ou privés à taux réduits pour financer les études.

* Auteur, avec Mihoub Mezouaghi, du rapport intitulé « Le Financement de l’enseignement supérieur en Méditerranée. Cas de l’Egypte, du Liban et de la Tunisie », AFD, juin 2010.

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