Les Africains, premiers de la classe pour la mobilité
Beaucoup d’étudiants du continent partent poursuivre leurs études dans un pays étranger. Les anciennes puissances coloniales figurent au premier rang des destinations les plus prisées, mais d’autres pays émergent, y compris en Afrique.
Formation : les Africains premiers de la classe pour la mobilité
Devant leurs homologues asiatiques, les étudiants africains sont les plus mobiles de la planète, environ trois fois plus que la moyenne mondiale. Selon les statistiques de l’Unesco, 1 sur 16 poursuit son cursus hors de son pays de résidence. Pris isolément, certains États du continent connaissent de véritables hémorragies. En 2008, 1 étudiant marocain sur 10, 1 étudiant sénégalais sur 8 et même 1 étudiant mauritanien sur 4 inscrits dans le supérieur l’étaient à l’étranger.
En dépit de l’augmentation du nombre de candidats au départ (+ 0,8 point entre 1999 et 2007), les enquêtes n’indiquent toutefois pas une accélération de l’expatriation des étudiants. Pratiquement tous les pays voient en effet leur taux de scolarisation au-delà du bac progresser encore plus vite. En outre, les migrations estudiantines ne sont pas forcément mal perçues par les pays d’origine, car elles les soulagent d’une partie du fardeau financier induit par la massification de l’enseignement supérieur.
« La décision de partir à l’étranger est souvent contrainte, en raison de l’absence de la spécialité choisie par l’étudiant », indique Michel Beine, professeur d’économie spécialiste des migrations à l’université du Luxembourg. Ainsi, au Cap-Vert, où les possibilités sont très limitées, 92 % des étudiants sont hors du pays. Des pays comme la Tunisie, qui offrent des possibilités d’études bien supérieures, connaissent aussi ce type de situation lorsque les places dans une filière sont trop limitées. À preuve, le départ de quantité de jeunes bacheliers qui filent depuis plusieurs années faire leur médecine en Roumanie, où, moyennant finance – 5 000 euros –, les conditions d’admission sont moins sélectives.
« Accéder à une meilleure formation est également une motivation forte pour les étudiants », explique Jean-Christophe Dumont, économiste spécialiste des migrations internationales à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), notamment dans les filières techniques. Le manque de matériels, l’absence de laboratoires de recherche performants, mais aussi le nombre insuffisant de professeurs nuisent à la qualité des cursus africains. Beaucoup d’étudiants quittent leur pays après un premier cycle, conscients des limites du système éducatif national. En 2008, 57,5 % des Africains inscrits en France ont déjà un diplôme équivalent ou supérieur au master, d’après le ministère français de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Quand ils choisissent un pays développé, les étudiants du continent peuvent aussi compter sur une meilleure reconnaissance internationale de leur diplôme, ce que ne garantissent pas toujours les titres africains. Pour conserver les meilleurs élèves, de plus en plus de formations du continent proposent cependant un double diplôme avec une école européenne ou américaine.
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Si plus de 310 000 étudiants africains ont quitté leur pays en 2008, « c’est aussi pour trouver in fine un travail dont la rémunération correspond à leurs attentes », analyse Jean-Christophe Dumont. En effet, on constate dans de nombreux pays un chômage grandissant parmi les jeunes diplômés et, pour ceux qui ont un emploi, un niveau de salaire pas toujours en rapport avec leur niveau d’études. En Tunisie, plus de 20 % des chômeurs ont fait des études supérieures. Des difficultés qui dépendent cependant des filières. Une étude menée en 2007 par l’Agence française de développement (AFP) montre que, si 30 % à 35 % des diplômés en télécoms ou en informatique sont encore à la recherche d’un emploi après trois ans, ils sont près de 50 % dans les sciences humaines et sociales.
Pour beaucoup de ressortissants africains, surtout chez les anglophones, même en pleine crise, le rêve américain garde tout sont attrait. En 2009, plus de 6 000 Nigérians et presque autant de Kényans étaient ainsi aux États-Unis pour finir leur cursus en dépit de coûts prohibitifs – entre 25 000 et 34 000 dollars par an en incluant le logement et les dépenses de la vie quotidienne. Moins chères et largement ouvertes aux étrangers, les formations canadiennes font elles aussi un tabac, notamment chez les francophones.
Hub marocain
Mais, d’Alger à Brazzaville, la destination la plus courue reste sans conteste Paris. L’ancienne puissance coloniale accueille chaque année plus de 100 000 Africains dans le supérieur, soit environ la moitié de son contingent d’étudiants étrangers. Ce choix s’explique largement par le partage de la langue, mais aussi, dans une certaine mesure, par une culture, une histoire commune et la présence d’une forte diaspora. « Le décalage était moins fort pour moi en France qu’il ne l’aurait été au Ghana. En arrivant dans l’amphithéâtre, j’avais les mêmes références que mes camarades », explique Stéphane, ancien étudiant togolais de l’université de la Sorbonne, à Paris. Une relation que l’on retrouve également au Royaume-Uni, où étudient près de 12 000 Nigérians, et au Portugal, qui accueille près de 5 000 ressortissants angolais.
En Afrique du Sud, ce serait le combat antiapartheid qui a soudé le pays et ses voisins, d’après Roshen Kishun, directeur de l’université du Kwazulu-Natal. La nation Arc-en-Ciel alloue chaque année 5 % de ses effectifs dans le supérieur aux États de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC). Ainsi, au Zimbabwe, sur un total de 23 500 étudiants partis poursuivre leurs études hors du pays, près de 18 000 se trouvent en Afrique du Sud. Mais le pays de Mandela attire bien au-delà de la Southern African Development Community (SADC), notamment parce que ses universités, classées parmi les meilleures dans les palmarès internationaux, comme celui du Financial Times, offrent des diplômes de tout premier plan.
En Afrique de l’Ouest, aux côtés du Nigeria, du Cameroun et du Sénégal, le Ghana est, depuis une dizaine d’années, une destination alternative. Entre autres pour les ressortissants des pays voisins désireux de suivre un cursus en anglais. Une montée en puissance qui s’explique aussi par le coût des formations, environ 700 000 F CFA (1 070 euros) pour une grande école et des loyers à 30 000 F CFA, quand un élève doit dépenser au moins dix fois plus à Johannesburg. D’autant que les diplômes ghanéens ont bonne réputation, notamment dans les secteurs bancaire et pétrolier.
Un nombre important de Subsahariens choisissent aussi de partir faire leurs études au Maroc. En 2008, ils étaient environ 8 000 inscrits dans les établissements publics du royaume chérifien, soit une augmentation de 25 % en l’espace de cinq ans. Cette destination arrive en deuxième position chez les étudiants nigériens, guinéens ou congolais et en troisième pour les Ivoiriens ou les Sénégalais. Une tendance qui s’explique par le bon niveau général des établissements du pays, mais aussi par la volonté des autorités marocaines de faire de leur pays un hub de formation pour l’Afrique francophone. En effet, 90 % des élèves inscrits dans le supérieur, dont environ 20 % dans les grandes écoles ou en faculté de médecine, bénéficient d’une bourse d’État, et les Subsahariens trustent en tout 76 % des aides données aux élèves étrangers.
Source de financement
Dans les faits, il apparaît que la migration estudiantine peut aussi être une stratégie délibérée pour les candidats à l’émigration. En effet, qu’il s’agisse des États-Unis, de la France ou de l’Allemagne, « les conditions d’obtention d’un visa pour un étudiant sont en général moins restrictives que celles que doit remplir un Africain déjà diplômé », explique Jean-Christophe Dumont. Un diplômé offre en effet, selon les critères des administrations occidentales, moins de garanties de maîtrise de la langue du pays d’accueil, son titre universitaire ne bénéficie pas toujours d’une reconnaissance par le système éducatif local et il ne possède pas nécessairement de réseau social lui permettant de s’intégrer facilement. Au terme de son cursus, les pays d’accueil accordent d’ailleurs habituellement un délai de plusieurs mois aux diplômés pour trouver un emploi correspondant à leur formation et prolonger ainsi, cette fois-ci dans la vie active, leur séjour.
Si les États voient d’un bon œil l’arrivée des étudiants étrangers, ils ne sont pas les seuls. Les universités, elles aussi, apprécient la venue de ces populations. La raison est simple : « Elles représentent souvent une source de financement très intéressante pour leur budget », reconnaît Michel Beine. C’est notamment le cas au Royaume-Uni, aux États-Unis, mais aussi en Afrique du Sud ou au Maroc, où les étudiants étrangers doivent régler des frais de scolarité bien supérieurs à ceux des nationaux. Au point que les représentants des facultés britanniques protestent actuellement publiquement parce que le gouvernement de David Cameron a décidé de réduire le nombre d’entrées de ressortissants étrangers, étudiants compris, au Royaume-Uni.
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