Ce que veulent les jeunes algérois

Emploi, logement, sorties… Rien n’est simple pour les 15-29 ans de la capitale, même issus de la classe moyenne. Jeune Afrique est allé à la rencontre des jeunes algérois peu écoutés, mais qui tentent de se prendre en main.

Dans le public du Festival culturel européen sur l’esplanade de Riadh el-Feth, en mai 2010. © Louiza Ammi pour J.A.

Dans le public du Festival culturel européen sur l’esplanade de Riadh el-Feth, en mai 2010. © Louiza Ammi pour J.A.

Publié le 11 novembre 2010 Lecture : 8 minutes.

Algérie : détours vers le futur
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Algérie : détours vers le futur

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La jeunesse, en Algérie, c’est un peu plus long qu’ailleurs… Aux jeunes Algériens, les chercheurs ont généreusement offert cinq années de plus que la fourchette 15-24 ans définie par l’Unesco. Causes de cette longévité : les années d’enfance perdues pendant la guerre civile et l’âge tardif du mariage dû au manque de ressources, caractéristiques d’un groupe méconnu qui représente pourtant 32 % de la population.

D’ici deux ans, les résultats d’un sondage national sur les aspirations des jeunes Algériens devraient être publiés. En attendant, Jeune Afrique est allé à leur rencontre, à Alger. Différente du reste de l’Algérie, la jeunesse de la capitale connaît pourtant, elle aussi, chômage, frustrations sociales… et amour du pays, malgré un sentiment de rejet. « Que ce gouvernement commence par nous montrer qu’il aime vraiment sa jeunesse ! », lance Hichem, pianiste au quartier Hussein-Dey.

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« Ces dernières années, tous les maux sociaux ont pris de l’ampleur, analysait en avril 2009, pour l’AFP, Mustapha Khiati, de la Fondation nationale pour la promotion de la santé et le développement de la recherche (Forem). Mais la majorité silencieuse des jeunes fait des études et cherche du travail. » Enquête sur ces jeunes Algérois de la classe moyenne.

Un avenir flou

Début octobre. Il fait exceptionnellement beau à Alger et 1,23 million d’étudiants ont repris le chemin des amphithéâtres sous le soleil. Pour leur avenir, les jeunes comptent sur un diplôme de l’université publique, gratuite – et depuis 2008, sur quelques écoles privées.

Mais pour les jeunes Algérois, mener des études à terme est une gageure. Obtenir un crédit étudiant relève du parcours du combattant et une bourse en médecine, par exemple, n’est que de 4 000 dinars (environ 38 euros) pour trois mois. Une fois inscrit, l’étudiant se heurte d’emblée au manque de transports publics, même s’il prend les bus scolaires. Anis, 19 ans, y passe parfois deux ou trois heures, matin et soir, pour rejoindre son école d’électronique. « En une semaine, j’ai déjà manqué une matinée à cause des embouteillages et j’ai peur que ça joue sur mes notes. »

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Les jeunes critiquent aussi largement la qualité des cours, même si cette année l’évaluation des établissements d’enseignement supérieur devient obligatoire. « L’université forme des chômeurs, se plaint Djamel, 24 ans. Il y a trop de théorie et pas de pratique, pas de stages. » Beaucoup d’élèves préfèrent arrêter leurs études et commencer à travailler : les employeurs réclament tous plusieurs années d’expérience… Pour ceux qui obtiennent leur diplôme, il faut encore compter avec les aberrations administratives.

Hakim a décroché il y a plus d’un an son diplôme de chocolatier. Mais depuis, il attend que les services de la formation professionnelle le lui délivrent. Sans quoi il ne peut pas être embauché… Pas étonnant dans ces conditions que, en 2007, 62,8 % des jeunes scolarisés voyaient « leur avenir flou », selon le Centre national d’études et d’analyses pour la population et le développement (Ceneap).

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Chômeurs diplômés

En septembre 2010, 25 % des jeunes Algériens étaient au chômage, d’après la Banque mondiale. Une grande partie des jeunes Algérois non qualifiés se sont tournés vers le secteur informel : vendeurs à la sauvette, « parkingueurs », fournisseurs de films téléchargés sur internet… Mais il n’y a pas de garantie non plus pour les diplômés. Les journaux regorgent d’annonces de demandeurs d’emploi de 29 ou 30 ans, surqualifiés, en interprétariat ou comptabilité. La crise de 2008 a rendu le marché de l’emploi encore moins accessible aux jeunes. Et l’éternelle ma’rifa, le « piston », conditionne toujours largement les embauches.

Les initiatives de l’État, dotées de budgets solides, se sont pourtant multipliées ces dernières années. L’Agence nationale de soutien à l’emploi des jeunes (Ansej) valide le projet de microentreprise d’un jeune chômeur… mais les banques rechignent ensuite à le financer. « L’Ansej propose des aides fiscales très intéressantes, raconte Nassim, membre du Centre des jeunes dirigeants (CJD), qui a créé sa société de transport il y a une dizaine d’années. Mais il n’y a pas de suivi, pas de personnel qualifié. Nombre des entreprises créées ferment dans l’année qui suit. » Certains Algérois tentent alors leur chance ailleurs…

Faire sa vie au pays

Le phénomène des harraga, ces hommes qui « s’embarquent », littéralement, pour l’Europe, est en hausse depuis 2005. L’autre rive de la Méditerranée est toujours perçue comme une terre d’opportunités, notamment pour les jeunes sans formation. Mais ceux qui ont un diplôme envisagent plutôt d’émigrer dans les règles. « Parfois je pense comme un garçon : j’aimerais partir, confie Nassima, 21 ans, dont la famille accepte difficilement les activités artistiques. Mais je le ferai légalement, pour poursuivre mes études au Canada, par exemple. »

Dans la classe moyenne, on pense partir se former à l’étranger, mais c’est souvent en Algérie que l’on veut faire sa vie. « Je commence à stagner professionnellement, alors j’irais bien un temps en Europe », confie Djamel, technicien en transmission. « Je ne pourrais partir que temporairement, juge Sarah, 21 ans, future chirurgienne. Ma famille, mes amis et mes repères sont à Alger. »

Alors, pour se construire un avenir dans la capitale, les jeunes s’arment de patience, notamment pour s’installer. Mariage et départ du foyer parental vont de pair. Aujourd’hui, Alger compte 800 000 célibataires (sur 3 millions d’habitants), et une femme se marie en moyenne à 30 ans, un homme à 33 ans. « Le logement ? Ah ! C’est LE “big” problème à Alger », rit Yasmine, 29 ans, responsable marketing.

Le loyer d’un petit appartement en banlieue dépasse facilement le salaire minimum (150 euros par mois). Tant qu’ils n’ont pas trouvé de logement, beaucoup ne se marient pas – à moins de s’installer un temps chez les parents… « Dans ce cas, c’est difficile d’avoir une vie intime », se navre Kenza, 29 ans, devant les robes qu’elle inspecte pour son mariage, prévu à l’été 2011. Et « vouloir habiter seule à Alger, ça reste délicat », avoue Yasmine.

Regain culturel

En attendant d’être indépendants, les jeunes ont du temps libre. Et Alger, en dix ans, a retrouvé des couleurs. De nombreux restaurants ont ouvert – et aussi des salles de billard. Le festival culturel panafricain de 2009 a eu beaucoup de succès. En revanche, la plupart des cinémas de la ville sont toujours fermés et les rues ne sont pas très animées après la tombée de la nuit. « On a un peu d’argent à dépenser, mais pas d’endroits pour le faire, se désole Badrou, entrepreneur de 23 ans. Alger manque de parcs d’attraction ou de centres commerciaux. »

Si les cybercafés ont proliféré dans la capitale au début des années 2000, ils sont nombreux désormais à fermer. « Moi, j’ai passé mes trois ans de lycée dans un café internet, avoue Djamel en rigolant. Mais aujourd’hui, une bonne partie a fermé car les gens sont de plus en plus connectés à domicile. » Beaucoup de jeunes font le choix de passer leurs soirées chez eux. « Le soir, je vais chez des amis ou bien je reste en famille, raconte Hassan, un jeune informaticien. Je préfère ne pas aller en ville dans des endroits qui ne sont pas corrects. » Courant 2010, le ministère de la Culture a fait fermer plusieurs boîtes de nuit.

Pourtant la musique a une place de choix chez les jeunes. Beaucoup sont branchés sur les chaînes musicales du satellite. Certains se sont même construit un petit home studio avec leur ordinateur. Mais rien ne vaut la scène ! Pour Hakim, du groupe de rock Dzaïr, les jeunes ont plus d’opportunités qu’auparavant. Le ministère de la Culture a ouvert une scène où ils peuvent se produire tous les samedis après-midi. Dzaïr, qui chante notamment en arabe dialectal depuis 1998, a contribué à rapprocher les jeunes de l’administration. « Il y a des initiatives et de l’argent, mais les jeunes ne le savent pas, regrette Hakim. Les autorités ne communiquent pas, ne font pas de travail de terrain. Et si les jeunes font du rock ou une musique non traditionnelle, ils ont du mal à trouver des interlocuteurs. »

À Bab el-Oued aussi, quartier populaire de l’ouest de la capitale, on tente d’aider les jeunes musiciens. L’association SOS Culture permet à six groupes de répéter dans son local. « Dans ce quartier, les jeunes artistes n’obtiennent jamais de salle municipale pour se produire », déplore Amine, le coordinateur, dans le sous-sol où joue le groupe Rivergate (« Bab el-Oued » en anglais). « On ne fait pas confiance aux jeunes », conclut-il alors que s’élèvent les premières notes d’un air des Pink Floyd.

Lassés de la politique

Et c’est la même surdité dans tous les domaines. Malgré des initiatives (construction d’équipements sportifs, octroi de primes aux jeunes chercheurs, journées de sensibilisation sur la drogue…), les jeunes n’en perçoivent pas les effets sur leur quotidien. « Peu de personnes interrogées sont conscientes qu’il existe une politique de la jeunesse », estime le programme Euromed Jeunesse.

D’autant que beaucoup de ces projets sont inachevés, détournés de leur fonction initiale, contradictoires les uns avec les autres, méconnus de leurs destinataires ou inaccessibles à cause de la bureaucratie. L’écoute est rare, et les autorités, locales comme nationales, semblent déconnectées du terrain.

Entre la galère pour trouver un emploi et la lutte pour l’évolution des mentalités, il n’y a pas de place pour la politique dans la vie des jeunes. « Ils sont blasés, constate Hichem, pianiste du groupe Dzaïr. Ils n’ont pas l’esprit de contestation, et aucun leader ne les entraîne. »

« On a été bien trop politisés pendant une période, regrette Yas­mine. Qu’ils fassent ce qu’ils veulent, tant qu’ils nous laissent faire notre vie ! » Les sections jeunesse des partis politiques peinent à recruter. « Ils ne font pas de politique car il n’y a pas de vie politique ! », estime Nassim. « Moi, je ne veux pas y toucher », confirme Badrou, qui a monté son affaire de restauration.

Pourtant, ces jeunes, qui n’appartiennent pas aux familles dirigeantes largement favorisées, pourraient être les élites de demain – si tant est qu’un renouvellement soit un jour possible. De plus en plus éduqués et informés, ils supportent de moins en moins de voir leur horizon toujours bouché. « On n’est pas une priorité pour l’État, assène le jeune Hamza, étudiant et musicien à Bab el-Oued. Nos pères ont connu le colonialisme ; nos grands frères le terrorisme. Et nous, de quoi serons-nous la génération ? »

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