Naïma Charaï
Conseillère régionale d’Aquitaine, cette élue du Parti socialiste français, originaire du Maroc, se bat contre les discriminations. Sans relâche.
À peine sortie d’une séance de travail sur les violences faites aux femmes, Naïma Charaï quitte Bordeaux (Gironde) pour rejoindre Marmande (Lot-et-Garonne), où elle doit assister à la projection d’un documentaire contre les discriminations. Sur la route, la conseillère régionale d’Aquitaine, « déléguée aux solidarités, à l’égalité femmes-hommes et à la lutte contre les discriminations », s’arrête pour acheter à manger, puis s’abîme dans la préparation de son discours. Quelques heures plus tard, elle est de retour à Bordeaux, et le sandwich au poulet est toujours coincé dans le vide-poche de la voiture, intact.
À 38 ans, Naïma Charaï mène son second mandat électif au pas de course, après avoir été réélue en mars 2010 sur la liste d’Alain Rousset. Membre du conseil national du Parti socialiste (PS) français et proche de son porte-parole, Benoît Hamon, elle ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. « Elle n’en est qu’au début de sa carrière politique », assure le bouillonnant député écologiste Noël Mamère, dont elle est la suppléante.
Même si elle ne souhaite pas « mettre la charrue avant les bœufs », cette petite femme aux yeux sombres pourrait bien, un jour, connaître un destin national. Elle a le sourire et les canines nécessaires pour s’imposer dans un monde où il faut savoir séduire et mordre. Preuve de son assurance ? Évoquons le bilan des femmes politiques issues des « minorités visibles » du gouvernement de Nicolas Sarkozy. Fadela Amara : « Elle avait créé de l’espérance et elle n’a pas rempli son rôle. On attend toujours son “plan Marshall” pour les banlieues ! » Rama Yade : « Elle est inexistante. La seule chose qu’elle a faite, c’est condamner à demi-mot la venue de Kadhafi en France. » Voilà pour elles.
Le gouvernement actuel, Naïma Charaï ne le porte pas dans son cœur. « Ici, nous n’avons pas participé au débat sur l’identité nationale. Nous sommes très clairement en résistance. Un discours comme celui tenu à Grenoble par le président de la République, qui jette l’opprobre sur une partie des Français, c’est dangereux. La France se berlusconise ! »
En républicaine convaincue, Naïma Charaï est opposée au principe de la discrimination positive, qui « réduit l’identité d’un individu à sa seule origine ». Elle reconnaît néanmoins que « la gauche a raté la bataille symbolique » en ne médiatisant pas son ouverture aux talents issus de l’immigration, alors que, le premier, Jacques Chirac indiquait la voie à Nicolas Sarkozy en recrutant Tokia Saïfi (secrétaire d’État au Développement durable) et Hamlaoui Mekachera (secrétaire d’état aux Anciens Combattants). Pour la bonne bouche, elle précise : « Dans les faits, c’est la gauche qui a le plus d’élus issus de l’immigration. » Loyale envers son camp, elle ne se prive pas de faire entendre sa voix. Laïque, elle est favorable à la loi « contre la burqa », alors que Noël Mamère y est opposé. « On s’engueule », dit-elle. « On en discute », dit-il. « On ne peut accepter que les femmes soient traitées ainsi, ni que des gens bafouent le principe de l’égalité hommes-femmes », s’indigne-t-elle. « Pour moi, cette loi est inapplicable, répond-il. Mais je comprends qu’elle y soit favorable, au regard de son histoire. Elle se méfie de l’intégrisme islamique. »
L’histoire de Naïma Charaï ne sort guère de l’ordinaire. Elle est née en 1972 dans la région du Rif, au Maroc. Plus précisément à Douar Karia m’Tioua, près de Taounate. Son père, goumier, a combattu en Indochine. Issue d’une famille de paysans, sa mère travaille dans les champs. Dans les années 1960, le père rejoint la France pour un emploi dans la sidérurgie, chez Pont-à-Mousson SA. Le regroupement familial permet à la famille de se retrouver en 1976. Naïma Charaï a trois ans et demi. De sa petite enfance au Maroc, elle ne gardera guère de souvenirs. Son environnement, c’est celui de Fumel, dans le Lot-et-Garonne, « une cité HLM en milieu rural, désertifié ». Elle a quatre frères et cinq sœurs. « J’étais une élève perturbatrice, insolente, mais, au fond, plutôt gentille », se souvient-elle en évoquant un « parcours classique d’échec scolaire » qui la conduit à voir son avenir osciller entre secrétariat de comptabilité et couture.
À l’heure du baccalauréat, une copine de lycée lui lance : « Les gens comme vous ne peuvent pas discuter, ils ne font pas de philo. » « Ce jour-là, je me suis rendu compte que j’étais dominée, et je me suis prise en main. » Résultat : un DESS de psycho obtenu à l’université Victor-Segalen de Bordeaux-II, grâce à une bourse et à pas mal d’heures passées à faire la plonge.
Le Maroc reste présent en filigrane. Le père caresse le rêve de rentrer, sans pour autant projeter ce désir sur ses enfants. Les souvenirs de vacances au pays avec oncles et cousins sont lumineux. Naïma Charaï, partie tôt en internat, perd sa langue maternelle – l’arabe – alors que ses frères et sœurs restés à la maison la conservent. « C’est une vraie blessure », explique-t-elle. Quant à la foi, elle l’a perdue aussi. « C’est bien beau d’apprendre le Coran, mais c’est mieux de grimper aux arbres ! » À l’université, elle a décidé de ne plus faire le ramadan. Autre blessure : « Je l’ai annoncé à ma mère, et j’ai compris que je lui faisais du mal. »
La politique, elle y arrive par l’engagement associatif. Alors qu’elle travaille déjà avec Médecins du monde auprès des toxicomanes, elle participe à la création d’une association de soutien aux prostituées, Information, Prévention, Proximité, Orientation (Ippo). Un engagement qui lui prend ses jours et ses nuits. Puis vient l’élection présidentielle française de 2002. Le Front national est au second tour. « J’ai pris conscience que l’engagement associatif était nécessaire, mais insuffisant. J’ai adhéré au PS pour que ça ne se reproduise pas. »
Le coup de pouce du destin, elle le doit au maire PS de Blanquefort, Vincent Feltesse, rencontré « par hasard » dans un train. L’homme est directeur de campagne d’Alain Rousset lors des régionales de 2004 : il lui propose d’être sur la liste, en position éligible. Elle hésite, sait que sa décision aura des conséquences sur sa vie personnelle et professionnelle. « Si tu ne le fais pas pour toi, fais-le pour nous », tranche sa sœur. Pour eux, elle le fait. « C’est une femme opiniâtre, courageuse, dotée d’une très forte volonté et qui, parce qu’elle a connu des moments difficiles dans la vie, dédie son action politique à ceux qui sont le plus en difficulté », affirme Noël Mamère. Parmi ses combats, celui pour l’alignement des pensions des anciens combattants des anciennes colonies a porté ses fruits en juillet 2010.
« J’ai pris mon mandat très au sérieux. J’ai cessé de travailler dans le système associatif – je voulais pouvoir défendre un bilan. Nous sommes l’une des premières régions à avoir fait voter un plan de lutte contre les discriminations. » Les électeurs l’ont réélue en 2010. Elle veut mieux faire et, en « jacobine élue de la Gironde », elle reste convaincue qu’il faut prendre le problème à bras-le-corps au niveau national pour être réellement efficace. « 70 % des entreprises discriminent sur le seul critère du patronyme, il faut mettre en place les outils nécessaires pour lutter contre cette situation. » Peu importent les noms d’oiseau reçus par le passé ou… aujourd’hui encore. Lectrice de Shakespeare et de Dostoïevski, elle avoue avoir un faible pour Jean de La Fontaine. Et en particulier pour cette réponse du roseau au chêne : « Les vents me sont moins qu’à vous redoutables / Je plie, et ne romps pas. »
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