Jean-Philippe Ntumpa Lebani, un général déchu

Il fut pendant longtemps un des proches de la famille Bongo. Soupçonné d’atteinte à la sûreté de l’État gabonais, Jean-Philippe Ntumpa Lebani attend depuis plus d’un an d’être jugé.

Le général Ntumpa Lebani, au palais présidentiel en 2009. © D.R.

Le général Ntumpa Lebani, au palais présidentiel en 2009. © D.R.

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Publié le 9 novembre 2010 Lecture : 4 minutes.

Plus d’un an qu’il est détenu à la prison centrale de Libreville. À 51 ans, le général de division Jean-Philippe Ntumpa Lebani est devenu le prisonnier le plus célèbre du Gabon. Soupçonné d’atteinte à la sûreté de l’État, il a été arrêté le 9 septembre 2009 et, depuis, attend d’être jugé devant la Cour de sûreté de l’État (CSE), une juridiction d’exception.

Que s’est-il donc passé pour que ce haut gradé, réputé proche de la famille Bongo, soit désormais traité en ennemi du régime ? Rigoureux pour les uns, procédurier pour les autres, le général Ntumpa pouvait agacer. Homme de l’ombre, influent mais peu connu du grand public, il a passé de nombreuses années à l’étranger. Au Maroc et aux États-Unis, où il a été formé (à l’Académie royale militaire de Meknès et à l’École d’application des officiers de Virginie), mais aussi à Paris, où il a fait l’École de guerre. Il y retournera plus tard comme attaché militaire de l’ambassade du Gabon. En 2004, il est nommé commandant en second de la garde républicaine, avant d’être promu, quelques mois plus tard, à la fonction de secrétaire permanent du Conseil national de sécurité. Il devient, à ce titre, le coordonnateur de tous les services de sécurité du pays et l’un des piliers du régime. Loin, très loin de la cellule qu’il occupe aujourd’hui.

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Les dossiers politico-judiciaires de cette nature sont rares au Gabon. La famille du gradé a écrit aux chancelleries occidentales pour dénoncer un « abus de pouvoir » et demander qu’il soit jugé « sur la base de faits clairement établis et d’éléments à charge évidents, ou purement et simplement relaxé et réhabilité dans ses fonctions ». Elle a appelé les présidents des États membres de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) à la rescousse, mais sans résultat pour l’instant. Profitant de la visite officielle de Nicolas Sarkozy au Gabon en février dernier, son épouse, Gisèle Okome Ebanega, a sollicité la médiation du président français. En vain, encore une fois. Quant à la presse locale, elle se montre pour l’instant prudente et attend l’ouverture des audiences publiques.

L’avocat du général Ntumpa, lui, a un avis bien tranché. « Cette affaire est un règlement de comptes consécutif à des intrigues de palais », affirme Aimery Bhongo Mavoungou. Son client, explique-t-il, a été dénoncé par un officier de l’armée qui l’a accusé d’avoir comploté pour déstabiliser la présidente intérimaire, Rose Francine Rogombé. « En dehors de cette dénonciation, l’accusation n’est pas encore parvenue à produire la moindre preuve », s’empresse-t-il d’ajouter.

Mais il n’en fallait pas plus. Dès le lendemain de cette dénonciation, l’étau se resserre autour des conspirateurs présumés. Le 6 septembre 2009, trois proches du général Ntumpa sont mis aux arrêts. Tous sont membres de la garde républicaine : il s’agit du sous-officier Rodrigue Okounougou et des officiers Émile Akandas Areno et Cédric Boukoumbi. Deux jours plus tard, Ntumpa est à son tour convoqué dans les bureaux du contre-espionnage et interrogé. Il n’en repartira pas. Le 2 octobre, il est transféré à la prison centrale de Libreville. Plusieurs personnalités politiques sont mentionnées au cours de l’enquête, dont l’ancien Premier ministre Jean Eyéghé Ndong, invité à faire une déposition devant la juge d’instruction Lydie Immongault.

« Rétrograde »

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Pour l’heure, les auditions et confrontations judiciaires sont terminées. Selon Me Bhongo Mavoungou, le dossier d’instruction a été transmis début octobre au commissaire général à la loi (le procureur), dont on attend les réquisitions. Il sera ensuite transmis au président de la République, qui décidera en dernier ressort de la poursuite ou de l’arrêt de la procédure. « C’est une procédure politique et rétrograde, qui viole le principe de séparation des pouvoirs en même temps qu’il fragilise les droits de la défense », s’insurge l’avocat.

C’est donc à Ali Bongo Ondimba de décider du sort qui sera réservé à ce natif de Lekoni, près d’Akiéni, dans le Haut-Ogooué. À l’évidence, cette affaire est potentiellement explosive pour le chef de l’État, gêné aux entournures. « Je ne souhaite pas être accusé de m’immiscer dans une affaire délicate [qui est] entre les mains de la justice », a-t-il estimé dans une interview accordée à Jeune Afrique, tout en précisant que le général Ntumpa, qui a été arrêté avant qu’il devienne président, « dispose de toutes les garanties en vue d’un procès juste, équitable et ouvert ». Et chez les principaux responsables de la sécurité du pays, l’omerta est de rigueur : pas question d’en dire plus que le chef de l’État.

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Pour l’instant, le Palais semble vouloir laisser la procédure suivre son cours devant la Cour de sûreté de l’État, ressuscitée pour l’occasion après deux décennies de léthargie. Mais il n’est pas sûr que les juges pourront aller remuer le fond de cette affaire engendrée par les luttes de clan, selon les habitués du Palais. Le spectacle d’un procès inéquitable serait mal perçu dans les rangs de la garde républicaine, au sein de laquelle l’officier supérieur est resté populaire.

Maladies

En attendant, le général et ses codétenus peuvent recevoir leurs proches dans la cour de la prison lorsqu’ils obtiennent une autorisation du juge d’instruction. La famille du général Ntumpa s’est organisée pour lui apporter ses repas quotidiens, seule alternative à la ration journalière de sardines en conserve et de pain. Conséquence de la surpopulation carcérale, les militaires en détention souffrent de diverses maladies de peau. Mais le plus grave, selon Gisèle Okome Ebanega, l’épouse du général incarcéré, ce sont les deux accidents cardiovasculaires qui l’ont frappé en mars et juin derniers. Coupable ou non, il livre désormais, en plus de la bataille judiciaire, un combat pour sortir de la prison sur ses deux pieds.

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