Abidjan au coeur de la bataille présidentielle

Avec presque le tiers des électeurs, la grande métropole du Sud attise les convoitises. C’est ici, à Abidjan, que pourrait se jouer le premier tour de l’élection présidentielle ivoirienne, le 31 octobre. Ici aussi que les pronostics électoraux sont les plus hasardeux.

Trois candidats en campagne s’affichent à Abidjan. © Luc Gnago / Reuters

Trois candidats en campagne s’affichent à Abidjan. © Luc Gnago / Reuters

Publié le 28 octobre 2010 Lecture : 6 minutes.

Impossible, à Abidjan, d’échapper à la campagne pour l’élection présidentielle. Depuis son ouverture officielle, le 15 octobre, les affiches géantes des trois favoris ont envahi les murs de la grande métro­pole du Sud. Le candidat du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), Henri Konan Bédié, pose en polo, le pouce levé devant les buildings du quartier du Plateau et promet de mettre l’expérience du parti de Félix Houphouët-Boigny « au service de la jeunesse ». Plus loin, Alassane Dramane Ouattara, le champion du Rassemblement des républicains (RDR), décline ses projets en matière de santé, d’éducation ou d’infrastructures. « ADO solutions » s’affiche tantôt en compagnie de médecins, tantôt avec des ouvriers, le casque vissé sur la tête. Quand à Laurent Gbagbo, le président candidat du Front populaire ivoirien (FPI) conseillé par le groupe français Euro RSCG, il affirme sa force tranquille. Tout sourire, le chef de l’État fait campagne sur un message simple : « La paix est gagnée, maintenant le développement. »

Coup pour coup

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Avec près de 1,72 million de votants, Abidjan concentre presque le tiers de l’électorat (30,11 %), loin devant Bouaké (3,59 %) et Korhogo (3,37 %), deuxième et troisième villes du pays. Exode rural, développement économique… La métropole ivoirienne a connu, ces dernières années, une véritable explosion démographique, accentuée par les années de guerre : nombreux sont ceux qui, à partir de septembre 2002, ont fui le nord du pays, tombé aux mains de l’ancienne rébellion des Forces nouvelles (FN).

Résultat : c’est à Abidjan que tout pourrait se jouer, le 31 octobre. « Le candidat qui arrivera en tête ici aura une bonne chance de gagner, estime Mamadou Sanogo, secrétaire national du RDR chargé des élections. C’est pourquoi notre stratégie repose sur la conquête de la ville. » Pascal Affi Nguessan, ancien Premier ministre et porte-parole de campagne de Laurent Gbagbo, ne dit pas autre chose. Il espère y récolter 900 000 voix, ce qui, selon ses calculs, permettrait à son candidat « de l’emporter au premier tour ».

Alors, à Abidjan plus qu’ailleurs, on rend coup pour coup. En plein meeting dans le quartier de Koumassi, le 16 octobre, Alassane Ouattara a eu la désagréable surprise de voir des hélicoptères de la présidence lâcher une pluie de prospectus favorables à Laurent Gbagbo sur ses partisans. L’opposition ne se laisse pas faire et n’hésite pas à recouvrir, à la nuit tombée, les affiches du chef de l’État. Et la plupart des partis financent les cortèges de voitures bondées de militants qui défilent dans les rues en scandant à tue-tête le nom de leur champion.

Lors des dernières municipales, en mars 2001, le FPI de Laurent Gbagbo avait remporté 33 % des voix à Abidjan, contre 29 % pour le RDR et 23 % pour le PDCI. Les mairies des quartiers bourgeois de Cocody et de Marcory sont actuellement gérées par le FPI. Même chose pour Yopougon, grand fief du parti au pouvoir, où les communautés de l’Ouest (favorables au chef de l’État) ont élu domicile.

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Dans le nord de la ville, les quartiers d’Adjamé, d’Abobo, d’Attécoubé et de Williamsville devraient voter majoritairement pour le RDR. Mais le FPI devrait glaner des voix auprès des communautés ébriées et attiées et auprès des jeunes qui vivent dans les cités universitaires. La première dame, Simone Gbagbo, est d’ailleurs en campagne permanente à Abobo.

Métissage communautaire

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À Port-Bouët, sur la route de Grand Bassam, les populations accordaient traditionnellement leurs suffrages au PDCI, et la maire, Hortense Aka-Anghui, est l’une des plus anciennes élues de la ville. Mais le directeur général du Port autonome d’Abidjan et baron du FPI, Marcel Gossio, tente de faire basculer ce bastion de l’opposition dans le camp présidentiel. Treichville la populaire, repaire des noctambules, est également gérée par un maire PDCI, François Amichia.

La bataille d’Abidjan s’annonce donc serrée. D’autant que le métissage communautaire, au sein même des familles, est très fréquent et complique les pronostics électoraux. Autre inconnue : le vote des jeunes. Plus d’un électeur sur deux à moins de 35 ans et votera pour la première fois le 31 octobre. Ils n’ont, pour la plupart, pas connu Houphouët et n’ont que de vagues souvenirs des années où Alassane Ouattara occupait le poste de Premier ministre et où Henri Konan Bédié était chef de l’État. « Ces jeunes électeurs urbains ne se retrouvent pas forcément dans les clivages tribaux, explique le journaliste et romancier Venance Konan. Ils préfèrent puiser leurs repères dans le mode de vie occidental diffusé en continu par les chaînes satellites et les télévisions étrangères. Nombre d’entre eux ne connaissent même pas le village de leurs parents ou ne parlent pas leur langue. » Étudiants, chômeurs, déscolarisés de la première heure… tous se retrouvent dans le nouchi, l’argot ivoirien auquel s’essaient régulièrement les hommes politiques soucieux de conquérir leur vote et d’effacer le fossé générationnel.â

À Marcory, Michel – d’origine baoulée – explique que ses parents « sont restés fidèles à l’ancien parti unique », mais que lui va « voter Gbagbo ». Dieudonné, lui, est mécanicien et ne sait toujours pas à qui il donnera son suffrage : « Les politiques ne s’intéressent pas à nos problèmes. Le chômage augmente, les ministres de tous bords sont corrompus, l’impunité règne. » Pour Armand, étudiant, c’est plus simple : pas question d’aller voter. « C’est un acte contestataire. Je m’oppose à l’augmentation de nos frais d’inscription à l’université, qui devraient passer de 6 000 à 50 000 F CFA [de 9 à 75 euros, NDLR] », explique-t-il. Conscients de l’enjeu, les partis politiques ne lésinent pas sur les moyens financiers et humains pour séduire cette population urbaine, jeune et férue de nouvelles technologies : sites de campagne, blogs, participation aux forums de discussion, gestion des informations sur Facebook, envois de SMS… Rien n’est oublié.

« ADO boys »

Ils s’appuient aussi sur d’anciens cadres de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci) comme Charles Blé Goudé, leader des Jeunes patriotes de Laurent Gbagbo, ou Yayoro Karamoko, président des mouvements de la jeunesse du RDR. Alassane Ouattara peut aussi compter sur l’enthousiasme des « ADO boys » et « ADO girls », chargés de diffuser la bonne parole. L’électorat d’Henri Konan Bédié est plus vieillissant, même si Kouadio Konan Bertin, alias KKB, président de la Jeunesse du PDCI, tente de mobiliser les plus jeunes.

Autre paramètre – et nouvelle inconnue – le vote des femmes (plus de 53 % des inscrits sur la liste électorale). « Beaucoup d’entre elles sont encore indécises, estime une cadre de la fonction publique. Elles ont bien d’autres priorités, comme leur famille, la conduite du ménage ou la scolarité des enfants. » Pour les mobiliser, les politiques donnent dans la surenchère : promesses de financements, gratuité de l’accouchement, suppression des frais de scolarité… Leurs leaders féminins font le tour des églises, des mosquées ou des associations, en espérant emporter leur vote.

Solange, elle, a fait son choix : « Ce ne sera aucun des trois favoris qui nous ont amené cette crise. J’accorderai mon suffrage à Jacqueline Oble, l’ancienne garde des Sceaux et seule femme à se présenter. » Pour Constance Yaï, ex-ministre de la Solidarité et de la Promotion de la femme, ses compatriotes doivent se rendre massivement aux urnes pour choisir celui qui pourra répondre à leurs préoccupations en matière d’emploi, de santé, d’éducation. « Le fait de voter ne doit plus être un geste banal ou gratuit », précise-t-elle, en leur demandant de ne pas se laisser influencer par les hommes de la famille.

Reste à savoir quels seront les paramètres qui pèseront, le 31 octobre. Mais, déjà, pour Laurent Gbagbo, cela ne fait aucun doute : la bataille à Abidjan, véritable « laboratoire de la Côte d’Ivoire de demain », sera la plus intéressante à observer. Les Ivoiriens parviendront-ils à s’affranchir des clivages traditionnels pour faire le choix des valeurs démocratiques ? C’est là tout l’enjeu du scrutin.

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