Dany Laferrière et J.A. …

Écrivain. il a obtenu le prix Médicis en 2009 pour L’Énigme du retour (Grasset) 57 ans, lit Jeune Afrique depuis quarante-cinq ans

Publié le 17 novembre 2010 Lecture : 2 minutes.

50 ans, 50 lecteurs, 50 regards sur J.A.
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50 ans, 50 lecteurs, 50 regards sur J.A.

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On était en pleine dictature, celle de Papa Doc. J’avais 13 ou 14 ans. Étrangement, Duvalier avait assis sa légitimité sur la négritude, allant même jusqu’à suggérer qu’un dictateur noir valait mieux qu’un colon blanc. Nous n’osions pas le contredire mais on méprisait autant l’un que l’autre. Les médias officiels psalmodiaient cette litanie pompeuse à la gloire de l’Afrique. Je soupçonnais que cela n’avait rien à voir avec la réalité, mais je ne disposais pas d’autre version, jusqu’au jour où mon oncle Yves, qui travaillait comme inspecteur au ministère du Commerce, rapporta un numéro de Jeune Afrique. Devant mon intérêt, il s’y abonna à la librairie La Pléiade.

Il arrivait du travail au début de l’après-midi, se couchait pour lire Jeune Afrique tout en buvant son café. Après il faisait une longue sieste avant de retourner au bureau. C’était mon tour. Je m’installais sur la gaclerie protégée par un massif de lauriers roses pour découvrir, au fil des semaines, cette autre Afrique si loin de la propagande duvaliérienne. Je suivais par les péripéties du journal, censuré un jour, applaudi un autre, le cours sinueux de la démocratie en Afrique. Ania Francos me faisait rêver. J’aimais bien la fougue de Guy Sitbon, qui voulait toujours en découdre avec Kadhafi. L’impassible Béchir Ben Yahmed, qui dialoguait avec les princes et tenait tête aux présidents. Et l’élegant Jean-Pierre Ndiaye, aux doutes pudiquement cachés : un dandy à une époque où on ne parlait qu’avec un couteau entre les dents. J’étais devenu incollable sur cette Afrique au quotidien.

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La vie palpitait dans les pages, où les grands événements côtoyaient les faits mineurs (tous devenus égaux à mesure que le temps passe), mais le style était si sobre que je ne me sentais jamais largué. C’était cela la grande trouvaille : un ton particulier qui traversait tout le journal. J’avais l’impression qu’un ami lucide et éclairé me donnait des nouvelles là-bas. Tous ces jeunes reporters qui sillonnaient l’Afrique pour nous plonger dans la vie quotidienne de gens qui nous étaient jusque-là inconnus. Ainsi leurs voix sourdes de colère parvenaient jusqu’à Port-au-Prince pour déjouer le piège intellectuel de Duvalier. Et leurs chants de joie aussi, les jours, plus rares, de gloire. Pour tout cela, je serai toujours reconnaissant à Jeune Afrique.

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