François Mitterrand, pourtant chantre de la décolonisation et de l’émancipation des peuples fut, à la fin de 1954 et au début de 1955, l’un des plus zélés défenseurs de l’Algérie française rappellent un livre et un documentaire diffusé jeudi 4 novembre.
Après tant de biographies, d’essais et de mémoires évoquant la carrière de François Mitterrand, on aurait pu s’imaginer que les aspects essentiels de la vie de l’ancien chef de l’État français, décédé en 1996, étaient connus dans leurs moindres détails. Des plus glorieux – comme sa victoire historique sur la droite à l’élection présidentielle de 1981 – aux moins reluisants, comme son passage au sein du régime pétainiste de Vichy, en 1942-1943. On se trompait.
Le film et le livre* que l’historien Benjamin Stora et le journaliste François Malye consacrent aujourd’hui au parcours du jeune et ambitieux Mitterrand pendant les premières années de la guerre d’Algérie montrent à quel point cette partie pour le moins déplaisante de sa carrière avait été occultée. Ou plutôt refoulée, car la plupart de ses moments clés, que les auteurs décrivent avec une grande précision grâce à des archives et à des témoignages inédits, n’avaient rien de secret pour l’essentiel. Seulement, ils n’étaient évoqués par personne et ne faisaient guère l’objet de recherches.
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Grâce à cette nouvelle approche, on voit à quel point Mitterrand, pourtant chantre de la décolonisation et de l’émancipation des peuples en d’autres circonstances – même antérieures à cette époque –, fut, à la fin de 1954 et au début de 1955, l’un des plus zélés défenseurs de l’Algérie française. Ministre de l’Intérieur dans le gouvernement de Pierre Mendès France, il agit sans état d’âme pour « rétablir l’ordre » par la force après avoir prononcé, dès le 12 novembre 1954, juste après le lancement de l’insurrection armée par le FLN, son célèbre « l’Algérie, c’est la France ! » Lors de son retour au pouvoir, au début de 1956, comme garde des Sceaux du cabinet Guy Mollet, il soutient une répression impitoyable et ferme les yeux sur les pires pratiques policières, notamment lors de la bataille d’Alger.
Voir le discours de François Mitterrand, alors ministre de l’Intérieur, en Algérie le 1er décembre 1954.
L’homme qui restera dans l’histoire de France comme celui qui, allant à l’encontre de la majorité de l’opinion, a courageusement aboli la peine de mort en 1981 fut, durant la guerre d’Algérie, l’un des premiers partisans de l’envoi à la guillotine de militants indépendantistes. Dans 80 % des cas qu’il examine en tant que ministre de la Justice instruisant les demandes de grâce, il recommande l’exécution des combattants ou des simples sympathisants du FLN qui ont été condamnés. Une position que d’autres personnalités de gauche, comme Mendès France ou Alain Savary, refusent d’adopter, préférant démissionner quand, cédant à la pression des futurs « pieds-noirs » et de leurs lobbys, le gouvernement Guy Mollet décide de pratiquer la peine capitale. Et, alors que les révélations sur l’utilisation systématique de la torture en Algérie se multiplient, au début de 1957, Mitterrand trouve que ceux qui protestent « exagèrent ».
Le plus accablant ? C’est la principale motivation de François Mitterrand, qui pourtant se méfiait des colons, pour adopter des positions aussi radicales. Elle est claire aux yeux de tous les témoins de l’époque retrouvés par Stora et Malye : il ne veut surtout pas se démarquer du gouvernement auquel il appartient afin de ne pas ruiner ses chances de devenir à son tour président du Conseil ! On comprend certes pourquoi, éprouvant dit-on de la honte, il ne s’exprimera jamais, par la suite, sur son attitude durant cette période. Devenue, au même titre que l’épisode de Vichy, un sujet tabou.
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* François Mitterrand et la guerre d’Algérie, de François Malye et Benjamin Stora : documentaire diffusé le 4 novembre sur France 2 et livre édité chez Calmann-Lévy (312 pages, 18 euros).
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