Pierre Ambroise Preira : « J’aimais trop le handball pour perdre mon temps en Afrique »

Pour permettre aux athlètes de ne pas quitter le continent, ce Montréalais d’origine sénégalaise a créé un programme de formation destiné aux entraîneurs africains.

Pierre Ambroise Preira. © Bertradn Carrière/VU pour J.A.

Pierre Ambroise Preira. © Bertradn Carrière/VU pour J.A.

Publié le 20 octobre 2010 Lecture : 5 minutes.

Fin des années 1960. Pierre Ambroise Preira et l’équipe de handball dont il est le gardien, à Dakar, se préparent psychologiquement à entrer sur le terrain. Le terrain ? De l’asphalte : au Sénégal, à l’époque, les stades fermés sont réservés au basketball. La préparation mentale ? « Des crachats sur les mains, des prières, de petits sacrifices : on suivait à la lettre les prédications du marabout qu’on venait de consulter », s’amuse aujourd’hui le directeur et fondateur du Programme d’appui international au sport africain et des Caraïbes (Paisac), élaboré à la fin des années 1990 et devenu opérationnel en 2002.

Lorsqu’il évoque son amour pour le handball et sa passion pour l’entraînement des sportifs, ce grand Sénégalais de 65 ans, tout en rires et en exclamations, est intarissable. Mais quand il commence, les yeux grands ouverts et la diction pédagogue, à vous expliquer son rêve, qui est de voir enfin les sportifs africains entraînés par des professionnels africains, c’est encore pire. « Mes amis me trouvent épuisant », avoue-t-il. Épuisant, mais efficace.

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Depuis que le Paisac existe, Pierre Ambroise Preira a accueilli dans son pays d’adoption, le Canada, plus de 70 entraîneurs venus de 19 pays africains et caribéens. Pendant plusieurs mois, ces professionnels suivent une partie de la formation canadienne aux entraîneurs. Pourquoi ? Le Québécois répond à la question par une autre : « Pourquoi, dès qu’on détecte des qualités à un athlète africain, il part s’entraîner ailleurs ? Non seulement il échappe à l’Afrique, mais en outre l’étranger recueille le travail fourni par son instructeur. C’est injuste ! » Si les entraîneurs africains excellent concernant les aspects techniques, ce sont des novices en matière de préparation psychologique, de nutrition, de tactique.

Preira est jovial, respectueux, mais peut se montrer direct. Il sait de quoi il parle. Entraîneur en Afrique, il l’a été durant plusieurs années. « À 25 ans, j’ai commencé à entraîner une équipe universitaire de handball féminin, à Dakar. » La ville où il est né et où ses parents, originaires de Guinée-Bissau, l’ont modestement élevé, comme ses huit frères et sœurs. « C’était l’époque où, après des études au Centre national d’éducation physique et des sports, j’étais professeur de sport dans un lycée de Thiès, à 70 km de la capitale. L’époque où, ayant moi-même brillé comme gardien de but, j’ai été approché pour intégrer l’équipe nationale de handball. Mais j’ai décliné. Je préférais le leadership de l’entraînement. »

Pierre Ambroise Preira raconte ses années sénégalaises avec enthousiasme : « En 1965, juste après l’indépendance, l’ambiance était à l’espoir et à l’optimisme. Le hand sénégalais comptait parmi les cinq meilleurs d’Afrique. » Le jeune sportif s’est senti pousser des ailes, d’autant plus que les filles qu’il entraînait se classaient en tête de tableau. Le retour à la réalité a été brutal. « En 1971, pour la semaine sportive nationale, j’étais pressenti pour entraîner l’équipe de hand de ma région. Pourtant, ce sont deux vieux instructeurs complètement dépassés qui ont été choisis. » Il serre les poings. « Marre de cette tradition de ne pas froisser les aînés, de jouer du piston… J’aimais trop le handball pour perdre mon temps en Afrique. »

En 1972, alors qu’il rend visite à l’un de ses amis installé à Québec, il pénètre dans le grand hall de l’université Laval. Une exposition fait la promotion d’un nouveau sport : le handball (la fédération canadienne est née seulement neuf ans plus tôt ; au Québec, les équipes sont encore rares). Un signe, selon ce fervent croyant, qui remercie souvent sa bonne étoile. Il décide de rester. Quelques années suffisent pour qu’on lui confie l’entraînement de la première équipe du campus. Parallèlement, il joue dans l’équipe de hand de Québec et travaille comme DJ pour joindre les deux bouts. En 1982, il obtient une maîtrise en « sciences de l’activité physique ». « Au-delà de ces opportunités, c’est au Canada que j’ai trouvé ma plus grande force : mon épouse », glisse-t-il, tout en jetant un regard fier sur les photos de ses deux enfants en tenue de diplômé.

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L’année suivante, il devient directeur technique de la Fédération québécoise de handball olympique. Il se taille une belle réputation en recrutant les entraîneurs des équipes du Québec, organisant formations, ligues et camps de handball pour promouvoir le sport auprès des jeunes. De la trempe de ceux qui n’aiment rien tant que transmettre, cet énergique né est comblé. « Mais je me disais souvent qu’en Afrique ils avaient besoin de tout cela ! J’étais parti, mais je souhaitais faire quelque chose d’utile pour que d’autres puissent rester. »

Mais quoi ? C’est l’Afrique qui va répondre à la question. Début des années 1990, Mme Preira saisit l’opportunité d’une coopération en RD Congo puis, cinq ans plus tard, en Côte d’Ivoire. Devenu mari d’expatriée, mais ne traînant jamais loin d’une salle de sport, Pierre Ambroise Preira en profite pour évaluer réellement les besoins des instructeurs. « En Afrique, tout est misé sur le foot. Dans les autres sports, les formations offertes par les fédérations sont rares. Il n’y a pas de contenu, pas de méthode d’évaluation. L’Afrique est absente des congrès et des colloques sportifs. » Le Canadien rencontre une foule de présidents de fédération et d’entraîneurs. Tous disent compter sur lui. En 1998, il crée un programme de cours pour entraîneurs en Côte d’Ivoire.

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La même année, retour au Canada, avec une seule idée en tête : le Paisac. L’idée permettait à la fois d’aider l’Afrique et de valoriser le programme canadien. Ses modules de formation, récupération, régénération, leadership, éthique, biomécanique et préparation mentale sont exceptionnels. Pierre Ambroise Preira frappe à toutes les portes pour trouver des sponsors. Yvon Charbonneau, ancien député fédéral, s’en souvient : « Pierre Ambroise Preira est un beau parleur. Il sait persuader et enthousiasmer. Mais, ce qui est plus rare, c’est qu’il fait ce qu’il dit avec une honnêteté, une finesse de gestion et une détermination extraordinaires. » En 2002, le sportif optimiste commence pourtant à se décourager. Les financements lui font défaut. Il investit 10 000 dollars canadiens (7 000 euros) de sa poche. Il doute. Il s’impatiente. Mais, quelques mois plus tard, le soutien financier du programme des bourses de la Solidarité olympique et celui du Patrimoine canadien lancent définitivement la machine.

Les évaluations du Paisac l’attestent : les entraîneurs sont satisfaits. Si bien que le projet entre cette année dans sa troisième phase, qui rime avec développement durable. « Si l’on veut vraiment être efficace, il faut que chacun devienne prophète en son pays ! » C’est pourquoi, après huit ans d’existence, cinq instructeurs en handball, basketball et athlétisme, formés par le programme, vont eux-mêmes devenir formateurs au Congo, en Guinée et au Bénin. À l’assistanat, le Sénégalais préfère le partage. « Pourtant, cela va contre un réflexe africain : quand on a des connaissances, on les conserve pour être meilleur que les autres. » Pas le genre de la maison Preira.

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