Marrakech, la nouvelle star du Maghreb

Grâce à ses nombreux avantages culturels, Marrakech est la destination la plus tendance du moment, une sorte de nouvelle star du continent en général et du Maghreb en particulier. Si ce développement est bénéfique pour la population, le rayonnement international a entraîné un profond bouleversement de la Perle du Sud marocain.

La Palmeraie fait partie des endroits qui font la magie de Marrakech. © Guillaume Mollé pour J.A.

La Palmeraie fait partie des endroits qui font la magie de Marrakech. © Guillaume Mollé pour J.A.

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Publié le 29 octobre 2010 Lecture : 11 minutes.

Marrakech, la nouvelle star
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Marrakech, la nouvelle star

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Centre artistique et culturel, elle fascine peintres, poètes, architectes ou designers venus du monde entier. Capitale du luxe, elle abrite quelques-uns des plus beaux hôtels de la planète où se bousculent jet-setteurs et têtes couronnées. Rendez-vous diplomatique, elle est à la confluence du Nord et du Sud, de la modernité occidentale et de la tradition orientale.

Derrière ses remparts, Marrakech est unique. Longtemps petite cité au charme discret, la Perle du Sud s’est imposée, au cours des dix dernières années, comme la vitrine d’un Maroc musulman tolérant et ouvert sur le monde. « D’une ville de province, calme et charmante, elle est devenue une métropole de 1 million d’habitants, dynamique, bouillonnante de créativité et cosmopolite », se réjouit le peintre et romancier Mahi Binebine.

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« C’est d’abord une longue succession d’histoires d’amour, entre des hommes d’influence et la Ville ocre », explique Robert Bergé, l’ancien directeur général du palace La Mamounia. Celui qui a quitté le mythique hôtel en 2006 n’est pas surpris par la « folie Marrakech ». « Cette ville a une aura, une atmosphère indescriptible », ajoute-t-il. Un climat sec et ensoleillé neuf mois sur douze, une végétation luxuriante, un panorama imprenable sur les montagnes de l’Atlas relèvent peut-être de la carte postale, mais sont des atouts de poids.

À cela s’ajoutent un patrimoine exceptionnel – incarné notamment par la resplendissante mosquée de la Koutoubia et la trépidante place Jemaa el-Fna – et un art de vivre que tout visiteur peut facilement constater. « Les Marrakchis sont de bons vivants, connus pour leur humour. Ils savent se lever tôt, se coucher tard, prendre le temps de boire un thé ou de faire une sieste. Ici, la temporalité est très particulière », raconte avec gourmandise Fatima Zahra Mansouri, la jeune maire élue en juin 2009. Un cocktail séduisant.

Décennie de folie

Si Marrakech a été en avant-­première adulée par quelques pionniers et célèbres happy few comme le couturier Yves Saint Laurent, le philosophe Bernard-Henri Lévy ou le parfumeur Serge Lutens, elle va conquérir le cœur du grand public dans les années 1990. En 1994, le milliardaire britannique Richard Branson invite près de deux cents journalistes pour le départ de son tour du monde en montgolfière. « À l’époque, il y avait peu d’endroits pour sortir le soir. On recevait les journalistes chez nous. Ils étaient émerveillés par cette simplicité, cet art de vivre », raconte l’architecte Jawad Kadiri.

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En 1999, une émission de télévision en France, Capital, accentue cette notoriété et provoque une véritable ruée vers l’ocre. Il est possible d’acquérir, à trois heures d’avion de Paris, un riad des mille et une nuits pour le prix d’un deux-pièces parisien. « Des Français suivis par d’autres Européens ont alors déferlé sur la médina. Les prix ont explosé, atteignant jusqu’à 20 000 dirhams (DH) le mètre carré [1 800 euros, NDLR] », se souvient l’agent immobilier Jaafar Derraji. Aujourd’hui encore, on recense près de 6 000 inscrits au consulat de France, à Marrakech.

L’arrivée sur le trône de Mohammed VI a accéléré les choses. En 2002, le nouveau wali, Mohamed Hassad, lance un vaste programme d’embellissement et de construction. Les réseaux d’eau et d’électricité sont remis à niveau. Charmeurs de serpent, dresseurs de singes, vendeurs de jus d’orange et conteurs immémoriaux se retrouvent toujours, le soir venu, place Jemaa el-Fna, mais le site est entièrement repavé, tandis que les traditionnels snacks sont rénovés et mieux surveillés par les autorités sanitaires. La police touristique est dotée de plus de moyens : les mendiants sont arrêtés, et la criminalité baisse de près de 80 %. Les espaces verts sont entretenus.

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Place Jemaa el-Fna, atmosphère unique de Marrakech.
© Guillaume Mollé pour J.A.

Le phénomène Marrakech prend forme. Entre 2003 et 2007, 913 projets touristiques sont autorisés, pour un montant de 112 milliards de DH (9,8 millions d’euros). « La demande était telle qu’il a fallu sortir de la ville et libérer du terrain. Les investisseurs étrangers achetaient parfois jusqu’à 600 hectares en une seule fois ! Sur la route de l’Ourika, certains propriétaires ont multiplié par 100 le prix de leur terrain », explique Derraji. C’est le début d’une spéculation folle et d’un développement anarchique. Chaque Marrakchi s’improvise agent immobilier, au risque de faire exploser la bulle et de menacer un fragile équilibre entre la médina et les quartiers périphériques.

Développement urbain anarchique

Faute d’un schéma directeur d’urbanisme, Marrakech, autrefois ramassée, devient tentaculaire. « Des erreurs irréversibles ont été commises, comme la destruction du magnifique marché du Guéliz », regrette la maire. En fait, les autorités locales peinent à s’imposer face à des investisseurs affamés. « La ville a été littéralement prise d’assaut. De ce fait, la mairie était souvent en retard sur les grands acteurs économiques », analyse un hôtelier. Un constat que partage l’économiste et historien Mohamed el-Faïz : « Beaucoup de personnes ont surtout vu leur intérêt économique immédiat et n’ont pas réfléchi en termes de développement durable. Quant à la société civile, très désorganisée, elle n’a pas réussi à faire le poids face au lobby de l’immobilier, très puissant. »


Construction d’un centre commercial et résidentiel, Carré d’Eden, dans le quartier de Guéliz.
© Guillaume Mollé pour J.A.

Le patrimoine a fait les frais de ce développement ultrarapide. Dans la médina, les étrangers ont rénové des riads, mais parfois sans aucun respect des normes architecturales… ou des règles de bienséance. « La cohabitation n’est pas toujours facile. On voit des gens faire des soirées bruyantes et dispendieuses. Nous sommes choqués », regrette Malika, une habitante. Beaucoup de Marrakchis se sentent spectateurs d’une fête continuelle, d’une débauche de consommation à laquelle ils ne peuvent participer. Alors que les franchises comme Zara ou Lee Cooper ont envahi la cité, la nouvelle mais embryonnaire classe moyenne n’a pas les moyens d’en profiter.

Ville offshore, où les règles strictes ont volé en éclats, Marrakech attire aussi les Marocains, et surtout les Casablancais, qui empruntent chaque week-end l’autoroute. On vient s’y encanailler, rencontrer du monde et découvrir les derniers lieux branchés. « Ici, on se sent plus libre que partout ailleurs dans le royaume. On se balade plus tranquillement et on peut s’asseoir à une terrasse sans être importuné », raconte Majda, une jeune Casablancaise qui a acheté un pied-à-terre dans le quartier du Guéliz. Preuve que la ville est à part dans le monde musulman, de grandes agences de tourisme gay ne craignent pas d’en faire l’une de leurs destinations phares.

Mais, comme toutes les destinations touristiques, Marrakech – avec ses 2 millions de visiteurs dépensant 20 milliards de DH (1,7 million d’euros) par an – cache aussi son côté sombre. Elle n’échappe pas à la prostitution, à la drogue, et parfois même à la pédophilie. Pas une boîte de nuit où l’on ne croise un cortège de très jeunes filles – parfois venues de la campagne, attirées par les sunlights et espérant faire fortune. Les partis politiques les plus conservateurs, dont le Parti de la justice et du développement (PJD), n’hésitent pas à exploiter cette réalité pour décrire Marrakech comme une sorte de Babylone des temps modernes. Ce discours réducteur et volontiers populiste pourrait gagner en influence dans les banlieues chahutées par les frustrations économiques et les tensions culturelles. 

Un visa pour la Médina !

« Dans les salons bourgeois du Maroc, il est à la mode de se désoler que Marrakech ait perdu son âme. On plaisante en disant qu’il faut un visa pour aller en médina ! C’est faux. L’arrivée des étrangers a permis à beaucoup de gens de sortir de la misère, de trouver du travail et de découvrir d’autres cultures », soutient Binebine. Le fils de la médina se souvient de l’époque où son quartier était « sale et mal entretenu, et tombait en ruine ». Avant de conclure : « Les étrangers nous ont fait redécouvrir la ville ancienne. Ils ont redonné du travail aux artisans, qui, au contact des décorateurs et architectes étrangers, ont développé une créativité étonnante. » Il suffit de se promener dans le quartier industriel de Sidi Ghanem, devenu un grand centre commercial de design, pour s’en convaincre. Ces artisans, extrêmement créatifs, attirent une clientèle du monde entier… et livrent partout en Europe !

Pour Fatima, femme de chambre dans un hôtel de luxe, les choses sont plus difficiles. Certes, elle n’a pas eu de difficultés à trouver un emploi (avec un taux de chômage de 6 %, la région se situe bien au-dessous de la moyenne nationale, qui s’établit à 11 %). « Mais beaucoup de gens sont prêts à vous remplacer. Il faut donc travailler dur et accepter son salaire », explique Fatima, qui, chaque matin, doit effectuer près d’une heure de trajet en bus depuis son quartier de Mhamid. « Vivre dans le centre ? Impossible. Les loyers sont trop chers. Avec mon salaire de 1 800 DH, je ne peux pas me le permettre. »

Avec 35,6 % d’analphabètes, 8 % de pauvres et 16 % de précaires, selon le Haut-Commissariat au plan, la ville apparaît comme un terreau d’inégalités. À Douar Iziki ou à Douar Soltane, les habitants vivent au milieu des détritus, sans accès aux services de base les plus élémentaires. Dans la médina, à quelques encâblures des palaces et des grands restaurants, la misère de certains quartiers saute aux yeux : les routes ne sont pas goudronnées, les habitations en ruine menacent de s’écrouler, les enfants jouent dans des terrains vagues jonchés d’ordures. Rien à voir avec la proprette avenue Mohammed-V, ses cafés à la mode, ses boutiques étrangères et ses restaurants branchés.

Autre défi : l’environnement. « Marrakech était l’une des plus grandes cités-jardins du monde arabe, mais elle a vu des espaces verts passer de 60 m2 par habitant en 1920 à 1 m2 aujourd’hui », regrette El-Faïz. Mais c’est surtout l’accès à l’eau qui préoccupe les Marrakchis. Il y a quinze ans, 80 % de la ressource étaient dévolus à l’agriculture et 10 % au tourisme. Aujourd’hui, les proportions se sont inversées. « On prive les agriculteurs pour arroser des golfs dont les besoins sont équivalents à la consommation de 12 000 personnes », ajoute El-Faïz. Les vingt-deux golfs prévus à l’horizon 2020 sont-ils vraiment opportuns ? La réponse pourrait bien être économique.


En périphérie de la ville, les quartiers populaires ne cessent de s’étendre.
© Guillaume Mollé pour J.A.

La crise : une aubaine ?

« 2008 et 2009 ont été très difficiles. Le taux d’occupation dans l’hôtellerie a chuté, passant de 66 % en 2007 à 44 % en 2009. Les promoteurs immobiliers ont eu du mal à vendre leurs biens, et des investisseurs, comme Pierre et Vacances, ont mis un coup d’arrêt à leurs projets », explique Mohamed Jebroun, délégué régional du tourisme. Si le choc a été rude, il sonne aussi comme un appel à la raison et à la modération face à ce qui ressemblait étrangement à une fuite en avant.

« Ces deux années ont été un électrochoc salutaire. Les prix de l’immobilier se sont ajustés, en baissant parfois de 50 %. Dans la médina, nous sommes redescendus à 12 000 DH le mètre carré », argumente Derraji. De quoi repartir sur de meilleures bases. Depuis le début de l’année, les signes d’une reprise touristique sont nets : une croissance de 15 % et des taux d’occupation à 80 %, fin 2009.

Mais, surtout, Marrakech s’est définitivement imposée comme une grande destination du tourisme de luxe. Malgré les aléas, les plus grandes enseignes s’y installent. À quelques minutes de la place Jemaa el-Fna, le groupe français Barrière a ouvert son premier établissement à l’étranger. Four Seasons, Beachcomber, Rafles, Shangri-La, Mandarin Oriental ont également des projets. « Pour les dirigeants du groupe, Marrakech était un incontournable, au même titre que Saint-Tropez. C’est une destination intemporelle qui va gagner en puissance, notamment auprès des Américains et des Asiatiques », assure Patrick-Denis Finet, directeur général du Mandarin Oriental.

Outre le mythique palace de La Mamounia, les visiteurs particulièrement exigeants et notoirement fortunés peuvent à présent poser leurs valises Louis Vuiton dans le somptueux Royal Mansour. Voulu et financé par le roi Mohammed VI, ce bijou est destiné à accueillir les invités de marque du royaume. « Le but est clair : faire de Marrakech un lieu de légende », explique Robert Bergé. L’hôtel, qui n’a sollicité que des artisans marocains, est la vitrine d’un savoir-faire ancestral. « Des artisans retravaillent la feuille d’or et explorent d’anciennes techniques de construction », s’enthousiasme Jawad Kadiri.

Le social et l’environnement

L’année 2009 est aussi celle de l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle équipe municipale, avec à sa tête une femme, jeune et dynamique, Fatima Zahra Mansouri. Son programme : un tourisme durable, une véritable politique sociale et un meilleur souci de l’environnement. Au risque d’écorner une image strass et paillettes, la question des bidonvilles n’est plus taboue.

Une ville nouvelle, Tamansourt, commence à sortir de terre et doit à terme accueillir 300 000 habitants, principalement issus des classes populaires. « Mais pas question d’en faire une cité-dortoir, triste et sans âme. Notre priorité est de reloger les gens près de leur lieu de vie actuel, pas de les envoyer en lointaine périphérie », explique la maire. Pour l’heure, la cité ne compte que 25 000 résidents.

Côté tourisme, pour remplir les 80 000 lits prévus à l’horizon 2020, la stratégie vise notamment à promouvoir le tourisme culturel. « Le visiteur de musées dépense deux fois plus », explique Mohamed Jebroun. Autre option, une montée en puissance dans l’événementiel, déjà avantageusement porté par le Festival international du film de Marrakech, dont la réputation n’est plus à faire avec son savant mélange de stars hollywoodiennes, de people et de cinéastes reconnus.

Mais, à présent, Marrakech cherche aussi à se positionner sur le terrain de la gouvernance mondiale et du dialogue Nord-Sud. Deux exemples : la 3e édition de la World Policy Conference, qui se déroule actuellement, et le prochain Forum économique mondial sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, qui se tiendra du 26 au 28 octobre. Avec des invités triés sur le volet et des hommes d’influence à la tribune, ces rendez-vous à très haute valeur ajoutée sont de nature à asseoir une réputation et à amplifier un rayonnement à l’international.

« L’avenir de Marrakech, c’est aussi sa région », répète la maire, faisant allusion à un plan de régionalisation et de diversification économique. L’agriculture est un segment à exploiter, notamment à travers les produits du terroir. Dans le cadre du plan Maroc Vert, une enveloppe de 10,4 milliards de DH a été débloquée. Les autorités espèrent ainsi générer 8 milliards de DH de valeur ajoutée à l’horizon 2020.

Autre secteur d’avenir : les services. Le Marrakech Shore, site de 80 ha à Tamansourt, doit accueillir des sociétés de télémarketing, de télémaintenance, ou de vente en ligne… De quoi offrir de nouveaux débouchés à une importante main-d’œuvre jeune et qualifiée que les hôtels ne seront jamais en mesure d’absorber. Après le temps de la jeunesse, où Marrakech n’a compté que sur sa beauté et ses charmes, voici venu l’âge de raison.

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