La junte dans le brouillard

Préparait-il un coup d’État contre son ex-ami intime Salou Djibo ? Le colonel Abdoulaye Badié, désormais placé aux arrêts avec trois autres hauts gradés pour « tentative de déstabilisation », a perdu son rang de numéro deux du régime. Enquête sur une chute aussi rapide qu’inattendue.

Le colonel Badié, à Niamey le 3 août. © AFP

Le colonel Badié, à Niamey le 3 août. © AFP

Christophe Boisbouvier

Publié le 21 octobre 2010 Lecture : 4 minutes.

Tentative de coup d’État à Niamey ? Le 13 octobre au soir, la rumeur s’est propagée comme une traînée de poudre. Le colonel Abdoulaye Badié, numéro deux de la junte, aurait été arrêté. Le lendemain après-midi, Badié était à son domicile, dans un quartier résidentiel du sud-ouest de la ville. De nombreux proches l’entouraient. Lui-même était muet comme un tilapia du fleuve Niger… Puis le 15 octobre, des militaires viennent l’arrêter pour de bon. Il est inculpé de « tentative de déstabilisation », comme bientôt trois autres membres de la junte.

Le 10 octobre, le même colonel Badié avait été rétrogradé. Son poste de secrétaire permanent du Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD) a été supprimé par décret présidentiel. L’officier supérieur a été maintenu dans la junte, mais comme simple membre. Il n’est plus numéro deux. Autre limogeage, deux jours plus tôt : le lieutenant-colonel Abdou Sidikou a perdu le commandement de la garde nationale, l’unité chargée de la sécurité dans les zones rurales… comme, par exemple, dans la région d’Arlit (Nord), où sept expatriés ont été enlevés par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) le 16 septembre, au nez et à la barbe des forces de l’ordre nigériennes. Le lendemain de l’arrestation de Badié, Sidikou est mis aux arrêts, ainsi que le colonel Amadou Diallo (limogé la veille du portefeuille de l’Équipement) et le lieutenant colonel Sanda Boubacar, membre du CSRD.

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Fini l’anonymat

Comme le général Salou Djibo, le chef de la junte, ne communique pas, difficile de savoir ce qui s’est réellement passé. Plusieurs observateurs nigériens écartent la thèse du putsch avorté. « Avant le coup d’État du 18 février [2010], Badié était le chef de l’intendance militaire. Il n’a jamais commandé une unité d’active, confie l’un des grands leaders politiques du pays. Je vois mal comment un superintendant pourrait renverser un chef d’État. Quant à la garde nationale, elle ne fait pas le poids face aux unités blindées et à l’aviation. »

D’autres rétorquent : « Attention. Sous l’ère Tandja, en tant que patron de l’intendance, il occupait un poste clé au sein de l’armée. En aidant les plus désargentés à boucler leurs fins de mois, il s’est rendu populaire dans la troupe. N’oubliez pas que le capitaine Moussa Dadis Camara occupait le même poste en Guinée. À force de distribuer des bons de carburant, il a fini par prendre le pouvoir… »

Tentative de coup d’État ou pas, tous les Nigériens s’accordent à dire que les rapports Djibo-Badié s’étaient dégradés ces derniers temps. Sans doute parce que le colonel commençait à sortir de l’anonymat. Longtemps, en effet, Abdoulaye Badié est resté dans l’ombre. Officier brillant, de père djerma et de mère kanourie, il a fait ses classes à l’École militaire d’administration (EMA) de Montpellier, en France. Au tournant du siècle, il est nommé directeur central des intendances militaires du Niger, se bâtit la réputation d’un homme travailleur et intègre. Et tient les cordons de la bourse… Le 18 février dernier, c’est à ce poste stratégique que le colonel Badié aide le commandant Salou Djibo, son ami intime, à renverser le président Tandja.

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Curieusement, le soir du coup d’État, il n’apparaît pas à la télévision aux côtés des principaux putschistes. Le surlendemain, il ne fait pas partie non plus des officiers qui prennent un premier bain de foule à Niamey. « Il n’aime pas les projecteurs », dit l’un de ses proches. Mais il est là, fidèle à son ami Djibo. Quelques semaines plus tard, celui-ci le nomme secrétaire permanent du CSRD, donc numéro deux. Même génération, même goût pour l’efficacité dans la discrétion… les deux hommes sont complices. Sans doute le chef de la junte préfère-t-il placer à ce poste sensible un officier réputé pour sa réserve et sa modestie.

Le problème, c’est que, une fois nommé, Badié commence à recevoir beaucoup de visites, place quelques amis proches dans les services secrets et aux Affaires étrangères, et laisse un clan se former autour de lui. Le 4 octobre, Badié boycotte une cérémonie où cinq nouveaux ambassadeurs remettent leurs lettres de créance au président. Pour Djibo, c’en est trop. Six jours plus tard, le couperet tombe…

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Le « parti Badié » a-t-il formé des projets politiques ? À Niamey, certains pensent que le clan Badié voulait prolonger la transition au profit des militaires. « Difficile à croire, juge un vieux routier de la politique nigérienne. La pression internationale est trop forte. Celui qui remettra en question le calendrier des élections ira dans le mur. » D’autres estiment que le même clan voulait protéger les grands chefs de parti – Mahamane Ousmane, Mahamadou Issoufou, Hama Amadou, Seini Oumarou – contre une éventuelle chasse aux sorcières de la Commission de moralisation. « Là aussi, ce n’est pas très sérieux, estime notre observateur. Ces leaders n’ont rien à se reprocher. Je ne vois pas Salou Djibo tenter de les écarter de la présidentielle et se mettre à dos toute la classe politique pour rien. »

Choc d’ambitions

Le différend Djibo-Badié est-il vraiment de nature politique ou est-ce un simple choc entre deux ambitions ? Difficile à dire. Pour les Nigériens, l’essentiel est que le référendum constitutionnel se tienne comme prévu, le 31 octobre. On connaît leur attachement aux textes de loi. Mamadou Tandja, qui a été renversé pour avoir trahi son serment, en sait quelque chose. Si le référendum a bien lieu et si la nouvelle Constitution est adoptée, pensent les Nigériens, personne ne pourra remettre en cause le calendrier électoral. À ce moment-là, le scrutin présidentiel se tiendra bien en janvier prochain, et le nouveau président civil sera investi en mars, un an après le coup d’État. Mais l’affaire Badié montre que, jusqu’au bout, la transition militaire risque d’être fragile.

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