La Tunisie planche sur son offre
Montée en qualité, diversification, meilleure orientation des investissements… Telles sont les grandes lignes du plan stratégique qui doit permettre au secteur de rebondir à l’horizon 2016.
« La saison estivale a été difficile cette année. Nous avons enregistré une baisse des fréquentations. Nous pensions que la crise s’arrêterait en 2009, mais elle s’est prolongée. » Au salon professionnel du tourisme Top Resa, fin septembre à Paris, un hôtelier tunisien résume ainsi la haute saison qui vient de s’achever. Un constat décevant, que confirment les derniers chiffres officiels. Entre janvier et septembre, le ministère tunisien du Tourisme estime à 5,2 millions le nombre de visiteurs accueillis, contre 5,3 millions sur la même période en 2009. Soit un léger recul de 1,9 %. « Cela reste une saison convenable », tente de dédramatiser Aziz Milad, PDG de Tunisian Travel Service, l’un des principaux tour-opérateurs du pays avec environ 500 000 clients par an. Toutefois, par rapport à la même période en 2008, la baisse est plus importante : elle atteint – 3,5 %.
Pourtant, les prévisions pour la zone Méditerranée en 2010 sont plutôt optimistes. « En mai, nous tablions sur une augmentation de 5 % pour l’ensemble de la zone, mais il est fort probable, au vu des résultats obtenus au sortir de cet été, que la hausse soit encore plus importante », explique Étienne Pauchant, président fondateur de Mediterranean Travel Association (Meta). En somme, pendant que les autres destinations autour de la Grande Bleue sortent progressivement de la crise, la Tunisie reste à la traîne.
Il faut dire que le modèle qui a fait le succès du pays, basé sur le tourisme balnéaire de masse, s’enlise. À lui seul, le littoral cumule 95 % de l’offre hôtelière, avec Djerba (30,5 % des nuitées), Sousse (25 %) et Nabeul-Hammamet (21 %) comme principales destinations. Une offre trop stéréotypée. « La Turquie, l’Égypte et le Maroc ont construit leur tourisme autour de produits spécifiques qu’ils ont élargis au balnéaire. La Tunisie a fait le contraire », explique Wahid Brahim, ancien directeur de l’Office national du tourisme tunisien (ONTT).
Conscientes de cette situation, les autorités ont commandé au cabinet de conseil Roland Berger un programme qui doit permettre de relancer ce secteur clé de l’économie tunisienne (près de 7 % du PIB) à l’horizon 2016. Objectifs : 10 millions de visiteurs dès 2014 et un chiffre d’affaires de 2,8 milliards d’euros (contre 1,7 milliard en 2009). Le détail des recommandations de ce plan stratégique a été présenté le 9 octobre. Elles ciblent notamment « l’amélioration et la diversification de la qualité des produits, la communication autour de l’image de la destination, mais aussi les orientations des investissements », explique Alexis Gardy, du cabinet Roland Berger.
Sus aux « hôtels poubelles »
« Le principal problème est le prix trop bas des services hôteliers, qui ne permet pas de proposer des offres de meilleure qualité, alors que la pression de la demande venant du Nord est très forte », explique Aziz Milad. En juillet, déjà, le président de la Fédération tunisienne de l’hôtellerie, Mohamed Belaajouza, s’en était pris aux « hôtels poubelles », qui, d’après lui, ont sérieusement tiré vers le bas le niveau des prestations. Les propriétaires de ces établissements, affirmait-il, ont obtenu des crédits bancaires pour améliorer la qualité des services, mais les ont consacrés à d’autres fins. « Il faut carrément éliminer ces pseudo-hôteliers du secteur », avait-il alors lancé. En outre, le mode d’hébergement devrait, lui aussi, être diversifié. « Nous réfléchissons à la possibilité de développer le mode résidentiel, qui marche bien au Maroc », affirme un hôtelier. L’ONTT délivre à tour de bras des autorisations pour la création de maisons d’hôte et de gîtes ruraux.
L’évolution des établissements hôteliers vers plus de services reste davantage un pari. Les groupes Boussarsar (hôtels Golden Yasmine et Méhari) et Laamouri (chaîne de palaces de luxe et de thalasso Hasdrubal), qui dominent le marché, négocieront ce virage, tout comme le groupe Yadis (hôtellerie balnéaire quatre étoiles). Pour la vingtaine d’hôtels sur le littoral dirigés par d’anciens cadres de l’ONTT aux moyens financiers restreints, le changement stratégique sera plus délicat.
Par ailleurs, la Tunisie manque de diversité. Ainsi, le tourisme saharien reste marginal avec, notamment, les oasis de Tozeur et Nefta. Cette forme de villégiature ne profite que depuis peu d’un soutien marketing pour en faire une offre attractive, à l’instar de « l’éco-parc », extension du complexe de l’hôtel cinq étoiles Dar Cheraït, qui propose un hébergement dans la palmeraie de Tozeur. « Le pays n’a pas su développer son arrière-pays, estime Étienne Pauchant, le président de Meta. La Tunisie doit retrouver son substrat culturel, le mettre en valeur et en faire sa personnalité, son authenticité. À cela, elle devrait ajouter une touche de tourisme durable, car la demande est forte. » D’après lui, toutes les offres qui ne s’adapteront pas d’ici 2012 seront forcément en retard.
L’enjeu est d’autant plus important que l’essor du tourisme intermaghrébin, avec des visiteurs venus d’Algérie et de Libye, risque d’être compromis par un mois du ramadan qui coïncidera dans les années à venir avec l’été. Cela a déjà été le cas cette année : le mois sacré a eu lieu en plein août, plombant les arrivées (– 3,1 % sur les neuf premiers mois de l’année). Or depuis six ans, juillet et août étaient rythmés par la déferlante algérienne, qui apprécie les séjours à Hammamet, Sousse et Djerba. De 914 000 en 2004, les touristes algériens sont passés à 1,3 million en 2009.
Outre la qualité et la diversification de l’offre, les experts du cabinet Roland Berger recommandent de lancer une offensive médiatique mondiale, en mettant plus en valeur la destination à travers des opérations de communication régulières et bien ciblées. Estimé aujourd’hui à 27 millions d’euros, contre 49 millions d’euros pour le Maroc, le budget global consacré par les autorités à la communication sur le « produit » Tunisie doit être nettement revu à la hausse.
Autre priorité : internet. Le web révolutionne le secteur via la réservation de dernière minute. « Les tour-opérateurs et les agences de voyage commencent à s’adapter, remarque Étienne Pauchant. Les hébergeurs aussi pourraient en profiter pour vendre directement au client final, mais beaucoup d’entre eux ne sont pas au courant. Il y a un énorme travail pédagogique à faire. » Et de nombreux chantiers à achever pour redonner des couleurs au tourisme tunisien.
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