Des leaders de l’opposition aux profils et motivations contrastés

L’opposition au président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali est selon le cas, tendre ou très offensive. Petit tour d’horizon.

Publié le 19 octobre 2010 Lecture : 5 minutes.

Mustapha Ben Jaafar (FDTL) : la solitude du coureur de fond

Le parcours de Mustapha Ben Jaafar depuis plus de quarante ans coïncide avec les étapes successives de la difficile démocratisation de la Tunisie. Malgré les embûches, le secrétaire général du Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL) a fait montre d’une endurance de coureur de fond. Il faut dire que ce patriote et démocrate issu d’une famille de nationalistes trouve un motif de consolation dans le fait qu’il est le plus respecté des chefs de l’opposition tunisienne, y compris à l’étranger.

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Réagissant à la dérive autoritaire de Habib Bourguiba, il avait quitté le parti au pouvoir pour fonder, avec d’autres démocrates, en 1975, la Ligue tunisienne de défense des droits de l’homme (LTDH). En 1978, il est aux côtés d’Ahmed Mestiri lors de la création du MDS, dont il sera « remercié pour raisons politiques ».

Professeur de médecine, chef du service de radiologie à l’hôpital de la Rabta et fondateur du syndicat hospitalo-universitaire, Ben Jaafar crée, en 1994, le FDTL, qui n’obtiendra le visa légal de l’administration qu’en 2002. Sa candidature à la présidentielle de 2009 est invalidée au prétexte qu’il n’a pas été élu à la tête du parti par ses pairs lors d’un congrès. En tournée au Canada pour y rencontrer la diaspora tunisienne fin septembre et début octobre, Ben Jaafar, 69 ans, a de nouveau tendu la main au pouvoir. « La Tunisie a des atouts pour réussir sa transition démocratique, a-t-il déclaré à l’antenne de Radio Canada Internationale. Que monsieur Ben Ali prenne le taureau par les cornes et fasse sauter les verrous à travers des réformes négociées. »

Néjib Chebbi (PDP) : le trublion de la République

La grève de la faim – du 23 au 28 septembre – de Néjib Chebbi, chef historique du Parti démocratique progressiste (PDP), et de Maya Jribi, qui lui a succédé au poste de secrétaire général, en 2006, n’est pas la première du genre. C’est la troisième fois en cinq ans que Chebbi recourt à cette « arme » pour faire entendre sa voix. Sa première grève, qui a duré un mois, remonte à 2005, lors de la tenue, à Tunis, du Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI). Avec huit autres personnalités, il entendait profiter de la présence des médias internationaux pour faire connaître ses revendications politiques. La deuxième, qui a eu lieu en 2007, a également duré un mois. Lui et Maya Jribi s’étaient alors insurgés contre l’expulsion de leur parti des locaux qui lui servaient de siège, dans le centre de Tunis, décision finalement annulée.

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Cette fois, leur grève de la faim était motivée par un retard dans l’impression de l’édition d’El-Mawkef, l’organe du PDP, qu’ils ont qualifié de « dérive répressive », alors que l’imprimeur faisait valoir une panne technique. Ils n’ont mis un terme à leur grève qu’une fois le journal imprimé et distribué dans les kiosques.

Bête noire du régime de Habib Bourguiba, puis de celui de Ben Ali, Néjib Chebbi, 66 ans, avocat de son état, est un activiste-né. Étudiant, il a écopé, dans les années 1960-1970, de plusieurs condamnations totalisant trente-deux ans de prison, mais il a souvent été gracié. Nationaliste arabe à ses débuts, il se réclame aujourd’hui d’un socialisme progressiste, avec parfois quelques fréquentations surprenantes, comme ce séjour de plusieurs semaines aux États-Unis, en mars 2006, à l’invitation de l’American Enterprise Institute, un think-tank néoconservateur proche de l’ex-président George W. Bush. À deux reprises, en 2004 et en 2009, il a tenté de se présenter à l’élection présidentielle. Sans succès, la législation en vigueur ne le lui permettant pas. On le croyait en pleine traversée du désert. Il n’en est rien.

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Ismaïl Boulehya (MDS) : opposition « assagie »

Il est l’un des dissidents du Parti socialiste destourien (ancêtre du RCD) à avoir fondé, en 1978, sous la conduite de l’ancien ministre Ahmed Mestiri, le Mouvement des démocrates socialistes (MDS). Objectif : lutter contre l’autoritarisme de Habib Bourguiba et promouvoir une Tunisie démocratique et libre. Le MDS a le vent en poupe jusqu’au moment où Mestiri, déçu par les résultats de l’élection de 1989, décide de quitter la politique. La lutte pour la succession est lancée, et le MDS perd petit à petit sa vocation originelle. Mohamed Moada, autre ex-membre du parti unique, en devient le secrétaire général. Après son rapprochement avec les islamistes, c’est Ismaïl Boulehya, ex-journaliste et imprimeur dans le civil, aujourd’hui âgé de 76 ans, qui prend les rênes du parti, en 1997. Depuis, le MDS, assagi, est rentré dans le rang et soutient la candidature de Ben Ali à chaque élection. Cette ligne lui vaut en retour de demeurer le parti d’opposition qui dispose du plus grand nombre de sièges au Parlement.

Mohamed Bouchiha (PUP) : « baron » de la mouvance présidentielle

Fonctionnaire (il a dirigé des entreprises publiques), Mohamed Bouchiha milite au sein du Parti de l’unité populaire (PUP) depuis plus d’une trentaine d’années, du temps où ce parti était dirigé par Mohamed Belhaj Amor, un vétéran respecté de l’opposition tunisienne. Député, il lui a succédé en 2000 et, depuis, s’est présenté à deux reprises, en 2004 et 2009, à l’élection présidentielle (où il a obtenu respectivement 3,78 % et 5,01 % des suffrages) pour « soutenir » le pluralisme instauré par le chef de l’État. « Cette candidature a une portée pédagogique, plaide-t-il. Nous avons brisé le tabou des 99 % des scrutins précédents. » « Proche » de Ben Ali, il fait figure, à l’âge de 62 ans, de baron de la mouvance présidentielle. Avec lui, le PUP est devenu le deuxième parti de l’opposition, derrière le MDS, en nombre de députés. Son ambition est d’obtenir la première place.

Mondher Thabet (PSL) : du trotskisme au libéralisme

Philosophe de formation, Mondher Thabet, 47 ans, n’a cessé de faire du nomadisme idéologique. D’abord au sein du courant de gauche en tant que cadre du syndicat étudiant (Union générale des étudiants de Tunisie, Uget) à la faculté de droit et des sciences économiques de Tunis. Ensuite en tant que porte-parole des étudiants trotskistes au sein de la Fédération des étudiants marxistes révolutionnaires. Juste ce qu’il faut pour marquer une halte à la fin des années 1980, où il dit avoir révisé ses convictions de gauche.

En 1989, il fait de l’entrisme au sein du Parti social libéral (PSL). Mais ses ambitions pour en devenir le leader à la place de son fondateur, Mounir Béji, sont tellement criantes qu’il en est exclu en 1991. Il crée alors, en dehors du parti, en pleine déliquescence, un mouvement pour le réformer, mais finit par prendre la tête du PSL après la démission de Béji, en 2006. Il développe les relations avec l’Internationale libérale, dont il est même désigné vice-président en 2008, et se montre fort actif au sein des réseaux en Afrique et dans le monde arabe. Son credo épouse alors les principes de cette Internationale qu’il tente de promouvoir à travers le parti et dans ses interventions en tant que sénateur.

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