Recherche opposition désespérément

Privés de moyens et d’assise populaire, intégrés à la mouvance présidentielle ou marginalisés, les partis politiques – toutes tendances confondues – ne semblent guère en mesure d’inquiéter le tout-puissant RCD, qui appelle déjà le chef de l’État à briguer un sixième mandat en 2014. Ce qui pourrait étendre la durée au pouvoir de Zine el-Abidine Ben Ali à 32 ans.

De g. à dr. Mohamed Bouchiha, Mondher Thabet et Mongi Khamassi. © Hichem

De g. à dr. Mohamed Bouchiha, Mondher Thabet et Mongi Khamassi. © Hichem

Publié le 19 octobre 2010 Lecture : 5 minutes.

Le 25 octobre, le président Zine el-Abidine Ben Ali bouclera la première année de son cinquième mandat de cinq ans. Et déjà, depuis quelques semaines, les cercles du pouvoir se sont mobilisés pour l’adjurer de briguer un sixième mandat à l’élection présidentielle de 2014. Conforté par la stabilité du régime (depuis 1987) dans un système hyperprésidentiel, par une administration puissante, par une résilience de l’économie à la crise internationale, c’est, pourrait-on dire, « dans la poche ». Surtout que le parti dominant présidé par Ben Ali, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), seul parti de masse de la scène politique, est bien implanté dans le pays : 2 millions d’adhérents et 9 000 cellules présentes jusque dans les villages les plus reculés, dans l’administration et dans les grandes entreprises. Le RCD contrôle, en outre, les organisations nationales (patrons, agriculteurs, femmes…), et la quasi-totalité des organisations professionnelles. Dans de telles conditions, et comme cela ressort nettement des précédents scrutins, l’opposition n’est pas en mesure d’inquiéter Ben Ali dans sa marche vers une nouvelle victoire.

Pourtant, l’opposition existe, même si c’est dans le cadre d’un curieux pluralisme à la tunisienne (voir les précisions, ici). Sur les huit partis reconnus qui se réclament, plus ou moins, de l’opposition (voir les portraits de ses leaders, ici), on en distingue cinq qui soutiennent Ben Ali et se refusent à jouer le rôle de contre-pouvoir ou à émettre la moindre critique sur la politique présidentielle. Les observateurs désignent cette catégorie de partis sous un florilège de noms : « partis faire-valoir », « partis de l’administration », « partis satellites », ou encore « partis clientélistes ».

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La mue du MDS et du PUP

« Nous sommes dans l’opposition et dans la mouvance présidentielle », déclare Mondher Thabet, secrétaire général du Parti social libéral (PSL). Lors des présidentielles, ces partis appellent à voter Ben Ali. Et si trois de leurs dirigeants se sont présentés au scrutin de 2009 face à lui, c’était avec la volonté déclarée de contribuer à la pluralité des candidatures. On rapporte même qu’en sortant du bureau de vote l’un de ces candidats a confié à ses amis qu’il a machinalement déposé dans l’urne un bulletin Ben Ali au lieu du sien propre. C’est ce qu’on appelle un « vote utile »…

En tête de ces partis figure le Mouvement des démocrates socialistes (MDS, fondé en 1978), qui n’avait pourtant pas vocation à se ranger dans la mouvance présidentielle. Du temps de son fondateur, Ahmed Mestiri, le MDS se posait – une première en Tunisie – comme un parti d’alternance. Mais à la suite de dissensions internes, Mestiri a été poussé vers la sortie, ainsi que Mustapha Ben Jaafar, son lieutenant. Le parti est alors passé progressivement sous le contrôle des alliés de Ben Ali représentés aujourd’hui par Ismaïl Boulehya. Le Parti de l’unité populaire (PUP, fondé en 1981) parlait lui aussi d’alternance. Ses premières années sous Habib Bourguiba furent un calvaire, mais cette période noire n’est plus qu’un mauvais souvenir depuis qu’il est conduit par Mohamed Bouchiha et qu’il a rejoint la mouvance présidentielle.

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Plus faciles, en revanche, ont été les débuts de l’Union démocratique unioniste (UDU), du PSL et du Parti des verts pour le progrès (PVP, fondé en 2006, avec la bénédiction des autorités, par Mongi Khamassi, deux ans après la création, par Abdelkader Zitouni, de Tunisie verte, mouvement écologiste non légalisé, mais reconnu par le Parti vert européen). C’est que le pouvoir entend ainsi occuper et contrôler simultanément les créneaux du nationalisme arabe, du libéralisme et de l’écologie.

La deuxième catégorie comprend trois partis indépendants qui constituent « l’opposition démocratique » de gauche, que leurs détracteurs appellent « opposition radicale », voire « opposition dissidente ». Ce qui explique que, depuis une dizaine d’années, leurs dirigeants ne sont plus les bienvenus dans les cérémonies officielles. Le plus médiatisé d’entre eux est le Parti démocratique progressiste (PDP), fondé en 1983 par Néjib Chebbi et qui a boycotté les législatives de 2009 en raison de l’invalidation de la candidature de son leader à la présidentielle. Le PDP est devenu la « bête noire » du pouvoir depuis qu’il s’est rapproché du parti islamiste Ennahdha et du Parti ouvrier communiste tunisien (POCT), tous deux interdits. Ettajdid, l’ex-Parti communiste, a, lui, joué le jeu aux élections présidentielles de 2004 et de 2009 avec le soutien du courant de gauche.

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Le troisième parti est le Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL), créé en 1994 par Mustapha Ben Jaafar, réputé pour sa pondération. Ettajdid et le FDTL ont présenté des listes communes aux législatives de 2009, mais la moitié d’entre elles, notamment dans les grandes villes, ont été invalidées. Les deux partis ont alors poussé plus loin leur partenariat en créant, en juin 2010, l’Alliance pour la citoyenneté et l’égalité, une coalition regroupant le FDTL, Ettajdid, des personnalités indépendantes, ainsi que deux autres groupes de gauche en attente d’une légalisation, le Parti du travail patriotique et démocratique (PTPD) et le Courant pour la réforme et le développement (CRD). L’Alliance, qui compte élaborer un programme commun dans les prochains mois, se présente comme une « opposition sérieuse, sereine et indépendante », et s’est fixé pour objectif d’agir pour que les élections de 2014 « soient libres, honnêtes et transparentes » en vue de permettre une « transition démocratique ».

Un poids difficilement quantifiable

La troisième catégorie de partis d’opposition est constituée d’une multitude de mouvements radicaux interdits. Ils sont pour la plupart animés par des exilés, Rached Ghannouchi pour les islamistes d’Ennahdha, ou Moncef Marzouki pour le Congrès de la République. Seule exception, le POCT (extrême gauche), fondé en 1986 et qui, bien que non légalisé, fait des incursions dans le champ politique avec plusieurs dizaines de militants qui se manifestent parfois dans les campus ou dans les rencontres publiques. Enfin, sur la Toile ont fleuri des sites de news, des groupes, forums, journaux en ligne et autres blogs créés par des Tunisiens de la diaspora, qui représente 1 million d’âmes, à la faveur de la liberté d’expression dont ils bénéficient dans les pays où ils résident.

Le poids des partis de l’opposition légale et, a fortiori, celui des mouvements interdits sont difficiles à quantifier. Quand on les interroge sur le nombre de leurs adhérents, les dirigeants des partis d’opposition légaux parlent de plusieurs milliers. Des sources indépendantes les estiment cependant à « quelques centaines » pour chaque parti. « La faiblesse de l’opposition s’explique par les moyens limités dont elle dispose, déclare Mondher Thabet. Il y a un désintérêt de la population pour la chose publique. Il y a une tendance techniciste chez les jeunes qui pousse à la montée des égoïsmes et de l’individualisme. Il y a aussi le poids du parti au pouvoir. Et, de toute manière, le Tunisien aime entendre un discours critique, mais sans y adhérer réellement. »

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