Théâtrales introspections africaines

La 27e édition des Francophonies en Limousin a mis en avant des dramaturges qui interrogent les sociétés africaines et leur rapport au pouvoir et à l’histoire.

Maïmouna Doumbia dans « Vérité de soldat ». © Patrick Fabre

Maïmouna Doumbia dans « Vérité de soldat ». © Patrick Fabre

ProfilAuteur_SeverineKodjo

Publié le 11 octobre 2010 Lecture : 5 minutes.

Un texte ciselé, incisif, un corps tendu qui peine à contenir un trop-plein de survie, une « voix qui ne raconte pas mais qui dit juste ». Qui, emportée par un tourbillon d’énergie, offre un slam ébouriffant narrant le quotidien violent des bas-fonds de Brazzaville. Et décrit un pays parsemé de tragédies. Le Congo ? La réponse est sans appel : « 340 000 km2 de manque d’avenir. »

Dieudonné Niangouna aura donné le ton à la vingt-septième édition des Francophonies en Limousin, qui s’est tenue du 23 septembre au 2 octobre à Limoges. Accompagné de son cadet Chris, Dieudonné Niangouna a lu en avant-première, le 24 septembre, le texte de leur future création. Le Socle des vertiges sera créé à Limoges en 2011. Comme à son habitude, Niangouna signe un texte fort, poétique, engagé. Et revient sur le français, symbole de pouvoir dans un pays où se côtoient des dizaines de langues parlées quotidiennement. Le dramaturge se sert d’images et de formules empruntées au lari et invente un français enrichi, « une langue vivante pour les vivants », pour les survivants. Car Dieu fait partie de ces rescapés qui ont « raté la mort ».

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« Indépendantristes »

Fuyant les combats qui ont ensanglanté le pays en 1997, il a trouvé refuge avec son frère dans la forêt. C’est cette errance qu’il raconte dans Les Inepties volantes. Juste retour des choses, Niangouna a donné une représentation de cette pièce créée à Limoges en 2008 avant d’être jouée à Avignon l’année suivante. Un spectacle poignant sur le délire d’un homme qui croit qu’il va mourir et qui engendre un fleuve verbal charriant les mots comme autant de morts. Des mots qui peinent à dire les affres des conflits meurtriers et qui se déversent dans un rythme effréné, crépitant comme le son des armes. Un style né de la guerre, du sifflement des balles, de l’explosion des obus et du silence de la mort, baptisé « Big ! boum ! bah ! ».

« Mon écriture modifie les images du souvenir, explique Niangouna. On est très loin du réel mais tout proche d’une vérité qui traverse les déchirures de ma propre vie et celle de tous ceux qui souffrent. » Une démarche que partagent de plus en plus les dramaturges du continent. « Les artistes africains ne viennent plus nous dire le mal que les Européens ont causé, et causent encore, à leurs pays, constate la directrice des Francophonies en Limousin, Marie-Agnès Sevestre. Aujourd’hui, c’est d’eux-mêmes, de leurs contradictions, de leurs sociétés devenues folles, de leurs raisons d’espérer, qu’ils viennent nous parler. Et, pour tout dire, les commémorations d’indépendance, finalement, cela n’intéresse que les gouvernements. » À tel point que Niangouna refuse de parler de ce qu’il appelle, dans Les Inepties volantes, les « indépendantristes ».

Même les jeunes Kinois Marie-Louise Bibish Mumbu et Papy Mbwiti, qui consacrent une pièce à ce cinquantième anniversaire (Et si on te disait indépendant. Nos 50 bonnes raisons d’espérer), n’ont finalement que peu à célébrer. « Et si on me disait “indépendant” ?, se demande Papy Mbwiti. Je dirais : du cobalt américain, de la cassitérite chinoise, de l’or français, du diamant belge, du cuivre japonais, de l’uranium coréen, des dollars américains, des patrons indiens… et de la pauvreté congolaise. » En prise avec un ordinaire fade qu’il faut conquérir toujours un peu plus laborieusement, la jeunesse n’a que faire des célébrations du cinquantenaire de l’indépendance de la RD Congo. Le soir, quand l’agitation retombe et que chacun s’assied autour d’une table dans un maquis, « chaque bière levée est un symbole de survie. À chaque jour suffit sa Primus », conclut Papy Mbwiti.

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Catharsis nécessaire

« L’indépendance n’est pas notre mémoire, elle est notre horizon », déclare l’un des personnages de Vérité de soldat. Une pièce forte de la compagnie malienne BlonBa sur l’étrange amitié entre l’un des hommes de main de Moussa Traoré, le commandant Soungalo Samaké, et Amadou Traoré, un opposant qu’il a torturé puis fait emprisonner pendant dix ans au bagne de Kidal. Cette pièce écrite en bambara (surtitré en français) est un docufiction théâtral : les deux personnages ont réellement existé. Au-delà de cette histoire peu ordinaire, l’écrivain Jean-Louis Sagot-Duvauroux revisite l’histoire du Mali de Modibo Keita et de Moussa Traoré à la manière de la Commission Vérité et Réconciliation de l’Afrique du Sud postapartheid, parce que, explique Alioune Ifra N’Diaye, cofondateur de la structure BlonBa, « nous ne pourrons pas construire de Mali moderne sans passer par cette catharsis nécessaire ».

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Une catharsis qu’offre également Amnesia. Comme à son habitude, le couple tunisien Fadhel Jaïbi et Jalila Baccar propose un texte engagé. Il y est question de la résistance individuelle face à un système politique oppressant et dictatorial qui manipule les corps et les esprits, et fabrique autant de résignation que d’oubli. L’interprétation saisissante des comédiens est à la hauteur d’une dramaturgie, extrêmement chorégraphiée, qui alterne les plans-séquences à la manière d’un film redoutablement efficace. Nul doute que Amnesia a été la pièce événement de cette édition qui aura eu, pourtant, du mal à se monter.

Outre des difficultés financières dues à la suppression par le ministère des Affaires étrangères d’une subvention annuelle de 135 000 euros (le budget 2010 s’élève à 1,4 million d’euros), l’équipe de Marie-Agnès Sevestre a dû se battre pour que les artistes africains obtiennent leur visa. « Les dossiers à fournir sont toujours plus épais. Il nous faut prouver qu’un artiste étranger qui vient se produire en France ne prend pas le travail d’un Français ! Marie-Louise Bibish Mumbu devait arriver une semaine plus tôt, mais le consulat de France à Montréal ne voulait pas lui donner son visa. On a dû envoyer quelqu’un à Roissy avec tous les contrats de travail chercher la troupe du chorégraphe congolais Didier Ediho, la police des frontières les suspectant d’avoir obtenu leurs visas par malversation. Quant à Papy Mbwiti, il a obtenu une bourse de l’ambassade de France pour une résidence d’auteur chez nous. On lui a refusé son visa car il vient de passer trop de temps en Belgique où il a effectué une résidence d’artiste. » Raison pour laquelle Marie-Agnès Sevestre dit vouloir entrer en résistance. Pour que les artistes qui osent dénoncer les situations extrêmes dans lesquelles ils vivent et créent puissent ne pas être interdits de séjour en France. 

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