Le continent en ses archives

Depuis le 10 octobre, France 5 diffuse une série de documentaires retraçant plus d’un siècle d’histoire africaine, de 1885 à nos jours. Un programme exceptionnel.

À Dakar, au début des années 1960. © Roger-Viollet

À Dakar, au début des années 1960. © Roger-Viollet

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 16 octobre 2010 Lecture : 6 minutes.

Un homme politique français a un jour prononcé sans sourciller les mots suivants : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire. » Il a, depuis, reçu plusieurs démentis cinglants. Mais on conseillera tout de même à cet homme pressé, qui n’a sans doute pas eu le temps de lire l’ouvrage dirigé par Adame Ba Konaré (Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy), d’allumer son poste de télévision le 10, puis les 17, 24 et 31 octobre sur la chaîne France 5. Bien enfoncé dans son fauteuil du palais de l’Élysée, il pourra ainsi regarder Afrique(s), une autre histoire du XXe siècle, un documentaire exceptionnel réalisé par Alain Ferrari, et coécrit par l’historien congolais Elikia M’Bokolo et le journaliste, ancien rédacteur en chef de RFI, Philippe Sainteny. Exceptionnel : le mot peut sembler trop fort ou exagérément laudateur. C’est assumé.

Six heures de film consacrées à plus d’un siècle d’histoire africaine, de 1885 à nos jours, ce n’est pas fréquent. Comment résumer plus de cent ans de politique dans cinquante-trois pays aussi divers que différents sans forcer le trait ? « L’idée était de ne pas faire ce qui se fait habituellement. D’avoir une vision plus panoramique permettant de lier les événements entre eux dans le temps et dans l’espace », explique Sainteny, qui a déjà produit, avec Elikia M’Bokolo, le coffret Afrique, une histoire sonore, 1960-2000.

la suite après cette publicité

Un va-et-vient judicieux

Après mûre réflexion, les auteurs se sont décidés pour un découpage chrono­logique et thématique. Le premier épisode (« 1885-1944, Le Crépuscule de l’homme blanc ») traite du partage de l’Afrique entre les puissances coloniales, puis du déclin de l’image du Blanc après les deux guerres mondiales. Le deuxième (« 1945-1964, L’Ouragan africain »), de la longue marche vers les indépendances. Le troisième (1965-1989), du « Règne des partis uniques ». Quant au dernier (1990-2010), il évoque « Les Aventures chaotiques de la démocratie ».

Un va-et-vient judicieux entre passé et présent rythme l’ensemble : les faits évoqués sont commentés par des intellectuels ou des hommes politiques ayant, à l’exception du président cap-verdien Pedro Pires, quitté le pouvoir. « Il n’y a pas de chefs d’État en exercice. Nous voulions éviter la langue de bois ! » lance Sainteny. « On a écarté la question “africain = noir”, complète M’Bokolo. Le continent est d’une grande complexité, d’une grande richesse, et l’essentiel, c’était de plaider pour que l’histoire de l’Afrique soit écrite à partir de l’Afrique. »

S’expriment des personnalités aussi diverses que les anciens présidents Joaquim Chissano (Mozambique), Abdou Diouf (Sénégal), Kenneth Kaunda (Zambie), Émile Derlin Zinsou (Bénin), Alpha Oumar Konaré (Mali), les écrivains Wole Soyinka (Nigeria), Boubacar Boris Biop (Sénégal), Nuruddin Farah (Somalie), Jean-Luc Raharimanana (Madagascar), et bien d’autres comme le roi d’Abomey Houédogni Béhanzin (Bénin) et les Prix Nobel de la paix Frederik De Klerk (Afrique du Sud) et Wangari Maathai (Kenya). Leurs visages sont serrés en gros plan, sur fond noir, afin de donner plus de portée à leurs paroles. « Nous avons choisi de laisser parler les intervenants en évitant de trop polémiquer avec eux, pour ne pas casser un climat de confiance », explique Sainteny.

la suite après cette publicité

La série Afrique(s) se positionne résolument sur le temps long et s’attache à respecter un équilibre géographique d’ensemble – même si, comme le précise M’Bokolo, « l’histoire de l’Afrique du Nord n’est pas abordée directement, mais plutôt au regard de ses retentissements sur le reste du continent ». Bien entendu, il n’était pas techniquement possible d’entrer dans le détail : « Il a fallu faire des choix, qui peuvent être discutés, concède Sainteny. Mais les pays qui devaient être inévitablement traités – la RD Congo, l’Éthiopie, le Nigeria, l’Afrique du Sud… – le sont. »

Résultat : des raccourcis, certes, mais une série de quatre films solides qui dégagent les grands mouvements d’ensemble sans simplifier à outrance ni passer sous silence les particularismes locaux. « Au départ, je voulais faire quelque chose de très ample et très épique, raconter l’épopée d’une Afrique résistante, se souvient le réalisateur Alain Ferrari. Puis je me suis rendu compte qu’on allait plutôt vers une forme romanesque, avec des bons qui deviennent moins bons et des mauvais qui… restent mauvais ! » À ce titre, M’Bokolo regrette un peu l’« absence » du président zimbabwéen dans le film : « Robert Mugabe aurait été un personnage particulièrement intéressant, car il permet de visualiser la transformation du guérillero/prisonnier politique en président, puis en despote-dictateur ! »

la suite après cette publicité

Ni exagérément optimiste ni outrageusement pessimiste, Afrique(s) vaut surtout par la quantité et la qualité des archives qui y sont présentées. « Il suffit de voir quelques minutes d’un entretien de Jerry Rawlings [président du Ghana de 1993 à 2001, NDLR] pour se laisser porter par une histoire d’une grande noblesse », affirme Ferrari. Samora Machel haranguant la foule au Mozambique, Kwame Nkrumah sortant un mouchoir pour essuyer une larme au jour de la première indépendance en Afrique subsaharienne, Lumumba martyrisé par ses bourreaux, les images sont nombreuses qui disent les hauts et les bas d’une histoire mouvementée.

« À ma grande surprise, on s’est rendu compte qu’il y avait beaucoup d’images, raconte M’Bokolo. Mais nous, historiens africains, n’avons pas encore assez travaillé de ce côté-là, et il y a un risque de déperdition réel. Certaines archives sont inutilisables sans dépenser des sommes folles pour les restaurer ! » Alain Ferrari renchérit : « Les archives de la conférence nationale du Bénin, en 1990, sont très dégradées. À Maputo, le centre où les documents sont entreposés ne fonctionne plus vraiment – il n’a pas été possible d’y accéder, même avec l’aide du président Chissano ! »

Ignorance coupable

Parfois, il ne s’agit pas seulement d’une question d’entretien ou de conservation : certaines archives ne sont pas disponibles pour des raisons politiques. Selon Alain Ferrari, « parmi les colonisateurs, les Français se distinguent : ils se sont bien gardés de documenter certaines de leurs exactions. Les Allemands ont photographié le massacre des Hereros, les Belges, la terreur sous Léopold II au Congo… mais on n’a pas une image sur ce qui est arrivé à Thiaroye en 1944 ! » D’autres documents, comme ceux liés à l’assassinat par la France de Ruben Um Nyobe, au Cameroun, en 1958, existeraient, quelque part… « L’image que la République se donnait de la colonisation et voulait donner de la colonisation a rejailli sur la manière de conserver certaines sources », confie M’Bokolo. En ce sens, Afrique(s) se veut une simple introduction à une histoire qui reste à écrire dans ses détails. « C’est une entrée en matière qui donnera envie d’en dire plus, d’en savoir plus », poursuit l’historien. Notamment sur des hommes comme Barthélemy Boganda – père fondateur de la République centrafricaine – ou le « rebelle » congolais Pierre Mulele, deux personnages aujourd’hui mal connus et mis en avant dans ces documentaires.

Introduction, entrée en matière, sans doute. Mais Afrique(s) est aussi, à sa manière, un manifeste contre ceux, Africains ou Occidentaux, qui se complaisent dans une ignorance coupable. « Je trouve inadmissible que mes compatriotes ignorent autant de l’Afrique, s’exclame Sainteny. Plus de 1 milliard d’habitants, cette jeunesse, quelle richesse ! L’avenir de la France se joue aussi à Dakar et à Johannes­burg. » Tout aussi virulent, Alain Ferrari s’emporte, sans lever la voix : « J’habite dans le 18e arrondissement de Paris, rue Damrémont. Comment peut-on, au XXIe siècle, donner encore à une rue le nom d’un colonisateur qui s’est conduit de manière atroce, en particulier dans le Constantinois ? » Historiens, au boulot ! Monsieur Sarkozy, n’oubliez pas, la télé, c’est les dimanches 10, 17, 24 et 31 octobre à 20 h 35, sur France 5.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires