Franc CFA : les cinq questions qui fâchent
La célébration du cinquantenaire des indépendances et un euro qui repart à la hausse face au dollar relancent la contestation sur l’arrimage du franc CFA à la monnaie européenne.
Comme tous les ans à cette période, les ministres des Finances de la zone CFA se sont réunis à Paris pour la traditionnelle rencontre avec le ministère français de l’Économie, afin de faire le point sur la situation de la zone monétaire. Fixé cette année au lundi 4 octobre, le rendez-vous s’est déroulé dans un contexte particulier, marqué par la célébration des cinquante ans d’indépendance des pays de la zone. Un anniversaire qui ravive le débat sur l’arrimage du franc CFA à l’euro, considéré, par certains, comme une forme de dépendance de ces pays vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale.
La remontée de l’euro par rapport au dollar, tirant de facto le franc CFA vers le haut et pénalisant ainsi les exportations de la zone, n’arrange rien. « Après cinquante ans d’indépendance, il faut revoir la gestion monétaire. Si nous récupérons notre pouvoir monétaire, nous gérerons mieux », lançait Abdoulaye Wade, le président sénégalais, en avril dernier. Sa sortie avait été précédée de celle du président togolais, Faure Gnassingbé, qui de son côté réclamait un débat sur le sujet pour poser les questions qui fâchent et tenter d’y apporter des solutions.
À qui profite la parité fixe entre le franc cfa et l’euro ?
Quand il s’agit de répondre à cette question, deux écoles se distinguent. La première, minoritaire et à laquelle appartient le banquier d’affaires franco-béninois Lionel Zinsou, estime que la parité fixe est avantageuse pour les États de la zone CFA, avec notamment la maîtrise de l’inflation et la stabilité macroéconomique. « La volonté de rompre avec ce système relève de raisons plus politiques et symboliques qu’économiques », affirme le patron du fonds d’investissement PAI Partners. Il ajoute : « On voit bien qu’aujourd’hui les grandes zones économiques, que ce soit en Asie ou ailleurs en Afrique, recherchent une stabilité de leur monnaie par rapport à celles de leurs principaux partenaires commerciaux. »
Reste que le bilan de plusieurs décennies de cette parité fixe n’est guère reluisant. La croissance, moteur du développement économique, est limitée (elle sera de 6 % pour l’Afrique de l’Est en 2010-2011, contre 4 % pour la zone CFA), et la grande majorité des pays concernés comptent parmi les plus pauvres du monde.
D’où le deuxième courant, issu des milieux intellectuels et économiques africains, qui prône la fin de ce système, estimant qu’il profite plus aux intérêts européens qu’aux pays africains. La parité fixe, selon les partisans de cette école, permet aux pays de la zone euro, mais surtout à la France, de conserver son statut de premier partenaire économique de la zone CFA, malgré la montée en puissance de la Chine.
« À Bercy, il existe un puissant lobby proche des investisseurs français en Afrique (Bouygues, Total, Bolloré, CFAO…), pour qui la suppression de ce système entraînerait d’énormes baisses de leur chiffre d’affaires », glisse un haut fonctionnaire.
Pourquoi les deux francs cfa ne sont-ils pas interchangeables ?
Ils ont certes la même valeur par rapport à l’euro, mais le franc CFA de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) et celui de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) ne sont pas interchangeables. Autrement dit : il est impossible de payer son beignet à Douala, au Cameroun, avec la pièce de 100 F CFA émise par la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) – et vice-versa.
« Certains dirigeants d’Afrique centrale ont voulu cette mesure, à une époque, parce qu’ils pensaient que le franc CFA de leur région, mieux lotie en ressources naturelles, vaudrait un jour plus cher que celui d’Afrique de l’Ouest », explique un économiste ouest-africain.
Il est évident que cette situation, en décourageant les échanges commerciaux – déjà quasi-nuls – entre la Cemac et l’UEMOA, constitue un sérieux obstacle à des « transactions substantielles » entre les deux zones, estime Sanou Mbaye, ancien fonctionnaire de la Banque africaine de développement. Il s’agit là, selon lui, d’une « aberration » qui bloque l’intégration régionale.
Pourquoi les avoirs extérieurs dépassent-ils les niveaux exigés ?
Pour garantir la convertibilité du franc CFA, les États de la zone sont tenus, selon la convention qui régit la gestion de cette monnaie, de déposer 50 % de leurs avoirs en devises sur un « compte d’opérations » auprès du Trésor français. Mais aujourd’hui les montants déposés sur ce compte dépassent largement ce seuil et le taux avoisine même les 100 % pour la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac). Les chiffres avancés dépassent les 8 000 milliards de F CFA pour les deux zones, soit 12,2 milliards d’euros.
« Détenir ces réserves nous engage à servir une rémunération plus favorable que celle de la Banque centrale européenne pour les placements à court terme », justifiait Christine Lagarde, ministre française de l’Économie, dans une interview accordée à Jeune Afrique en mai dernier, affirmant que cela avait même coûté près de 300 millions d’euros à la France entre 2000 et 2001.
Pourtant, les détracteurs de la parité fixe accusent la France de faire main basse sur cette manne, qu’elle gérerait de façon opaque, ont expliqué Abdoulaye Wade et Mamadou Koulibaly, le président de l’Assemblée nationale ivoirienne, qui s’est montré particulièrement virulent sur le sujet. Un argument que réfute Lionel Zinsou. Pour lui, les banques centrales africaines « gèrent en toute indépendance leurs avoirs placés auprès du Trésor ». « Autrement, les scandales de placements toxiques et de détournements de fonds à la Beac n’auraient pas pu se produire », ajoute-t-il.
La parité souple est-elle préférable à la parité fixe ?
La proposition qui revient souvent consiste à raccrocher le CFA à un panier de monnaies. Pour les tenants de cette initiative, il s’agit de prendre en compte les échanges croissants que noue le continent avec la Chine, l’Inde ou le Brésil. « On peut imaginer un système dans lequel nous aurions un taux de change fixe non seulement avec l’euro mais aussi avec d’autres devises internationales », indiquait à la presse le président Faure Gnassingbé, début 2010.
« C’est un peu ce que font les pays du Maghreb, notamment le Maroc, explique Lionel Zinsou. Mais vous remarquerez que les monnaies de ces pays sont fortement pondérées à l’euro. » D’après lui, cette solution n’est pas techniquement soutenable pour les pays, mais elle peut satisfaire certaines ardeurs politiques.
Les État doivent-ils retrouver leur indépendance monétaire ?
Christine Lagarde a été claire : « Ce n’est pas à la France de déterminer si le système actuel est approprié ou non. S’il faut en sortir ou pas. Cette époque est révolue. C’est aux États concernés de prendre leurs responsabilités. » Un haut fonctionnaire français, habitué des dossiers africains, affirme que la question de l’arrimage du franc CFA revient avec acuité lors des rencontres avec les chefs d’États de la zone. Mais, pour l’heure, il n’existe aucune concertation sur le sujet au niveau sous-régional. Et aucun pays n’a le courage de prendre les devants.
Sortir du système actuel pour recréer sa propre monnaie prendrait plusieurs années à un pays. Il risquerait par ailleurs de s’isoler économiquement de ses voisins et de voir les spéculateurs s’intéresser à sa monnaie. Toutefois, certains poids lourds économiques, comme la Côte d’Ivoire – qui représente à elle seule près du tiers de la masse monétaire en Afrique de l’Ouest francophone – ou encore la Guinée équatoriale, peuvent le faire en théorie. Ce qui ébranlerait tout le système.
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