Dov Zerah : « Priorité au continent »
Le haut fonctionnaire de 55 ans à la tête de l’Agence française de développement (AFD), Dov Zerah, préconise de recentrer les subventions sur 14 pays africains. Le point sur sa nouvelle stratégie… et sur les conditions de sa nomination.
Jeune Afrique : Le secrétaire d’État à la Coopération, Alain Joyandet, a démissionné et n’est toujours pas remplacé. Comment gérez-vous cette absence d’interlocuteur ?
Dov Zerah : Par la force des choses, nous faisons sans, mais j’espère que cette situation ne va pas perdurer. Nous travaillons au quotidien avec le ministère de l’Économie et des Finances et celui des Affaires étrangères.
Durant vos auditions au Parlement en mai, après votre nomination par le président Sarkozy, vous avez déclaré qu’il fallait renforcer « les liens de l’Agence française de développement (AFD) avec son pouvoir de tutelle ». Qu’entendiez-vous par là ?
Nous assurer que les décisions de l’AFD soient vérifiées avec toutes nos tutelles, dans le respect des orientations stratégiques qui nous sont données.
Tel n’était pas le cas avec votre prédécesseur, Jean-Michel Severino ?
Depuis cinq ans, l’AFD a connu une forte extension géographique et sectorielle, avec une hausse importante de ses interventions. En 2009, elle a reçu de l’État environ 400 millions d’euros de bonifications et 200 millions de subventions. Avec ces ressources, elle a distribué un dividende à l’État de 200 millions d’euros et assuré 6,2 milliards d’euros d’engagements [dont 5,2 milliards en prêts, NDLR], soit 16 % à 18 % de l’aide publique au développement française. C’est un excellent modèle, mais cette croissance rapide demande à être expliquée et rendue plus lisible.
Allez-vous ralentir la machine ?
Non. Le modèle doit être conforté et stabilisé. Nos opérations dans un certain nombre de pays émergents, au premier rang desquels la Chine, suscitent des interrogations. Nous devons apporter des inflexions. Par ailleurs, même si les arbitrages du gouvernement ont été satisfaisants, les concours budgétaires sont ce qu’ils sont. La concentration de nos interventions est une de mes priorités pour clarifier et rendre toujours plus efficient le modèle de l’AFD.
C’est-à-dire ?
Faire de l’AFD une véritable banque universelle de développement. Je m’explique : dans les pays les moins avancés et les pays à revenu intermédiaire, nous devons répondre aux défis de l’agriculture, de l’agro-industrie, des infrastructures et de l’énergie en nous appuyant sur l’outil prêt, avec plus ou moins de bonification d’intérêts. Quant aux subventions, nous avons proposé à nos tutelles de les concentrer dans les 14 pays prioritaires* et sur les secteurs de l’éducation et de la santé. Hors territoires palestiniens et pays en sortie de crise, la règle selon laquelle 50 % des subventions doivent aller à ces pays pourrait être revue à la hausse. Dans les pays émergents, il faut se concentrer sur la lutte contre le réchauffement climatique, sur le développement urbain et sur la formation professionnelle, avec des prêts moins concessionnels.
Mais peut-on répondre aux défis de la santé et de l’éducation en Afrique avec 200 millions d’euros de dons ?
Oui, en développant des partenariats avec les ONG, les collectivités locales, les fondations privées et les banques multilatérales. On peut aussi travailler dans ces secteurs sous forme de prêts. Nous le faisons au Maroc sur la formation professionnelle dans les métiers de l’automobile, de l’aéronautique. Et bientôt, j’espère, dans ceux de l’énergie.
L’Afrique peut-elle devenir, après le Brésil, la nouvelle « ferme du monde » ?
Très probablement. Un exemple parmi d’autres : le Burkina Faso et le Mali comptent chacun 12 millions de bovins, le Sénégal 30 millions… Pourtant, ces pays importent de la poudre de lait tandis que le lait local n’est pas récupéré. Il y a un travail de valorisation à entreprendre, mais pour installer des laiteries et mettre en place des chaînes du froid il faut de l’énergie.
La production africaine de coton a chuté de moitié en cinq ans. Que pensez-vous, en tant qu’ancien patron de Dagris, de la privatisation de ce fleuron de l’industrie cotonnière ?
La France disposait de plusieurs outils pour mettre en cohérence sa politique de développement. Outre l’AFD et la zone franc, il me semblait important d’avoir un outil entrepreneurial pour créer de la valeur dans un secteur aussi important. La force de Dagris reposait sur l’intégration de toute la filière. Aujourd’hui, il faut renouer avec ce modèle, mais avec des opérateurs privés. Il est intéressant d’observer ce qui se passe au Bénin, où un seul investisseur a repris la filière. Mais cet opérateur doit se soucier des paysans, des pratiques agricoles, des intrants et des rendements pour alimenter ses usines d’égrenage. De la même façon, il doit aussi se préoccuper des huileries : sur 1 kg de coton, il y a au mieux 450 g de fibres, il reste donc 550 g de graines qu’il faut bien valoriser.
À propos du secteur privé, votre filiale Proparco a connu, elle aussi, une forte croissance, avec 1,1 milliard d’euros d’engagements en 2009. Comment passer à la vitesse supérieure ?
C’est l’une des équations que nous avons à résoudre : augmenter les capacités d’intervention de Proparco, en les portant assez vite à 1,3 milliard d’euros, implique un renforcement d’effectifs. Mais il faut trouver un équilibre avec nos autorités de tutelle, qui souhaitent une réduction de nos frais de fonctionnement.
Et une introduction en Bourse ?
C’est une piste de réflexion, mais à échéance 2013. D’ici là, nous devons soumettre ce dossier aux autorités de tutelle et aux actionnaires de Proparco.
Abordons à présent votre nomination. D’aucuns y ont vu une victoire de la Françafrique et de ses réseaux…
Je ne vois pas en quoi mon parcours ferait de moi un homme de réseaux. Je suis un haut fonctionnaire du Trésor, conseiller-maître à la Cour des comptes. J’ai été sous-directeur des affaires bilatérales au Trésor sous l’autorité de Pierre Bérégovoy, puis numéro trois de l’ancienne Caisse française de développement [aujourd’hui AFP, NDLR], j’ai dirigé le cabinet d’Édith Cresson à Bruxelles, avant de présider, sur nomination de Lionel Jospin, l’ex-Compagnie française pour le développement des fibres textiles [devenue Dagris puis Géocoton, NDLR]. J’ai toujours été passionné par les problématiques de développement et cela faisait quinze ans que j’étais candidat à ce poste. J’ai de la constance.
Mais aussi des parrainages encombrants, comme celui de Robert Bourgi, conseiller Afrique officieux à l’Élysée…
J’ai eu beaucoup plus de soutiens que vous ne l’imaginez. Mon passé et mon expérience ont probablement fait la différence. J’ajoute que j’ai travaillé sous l’autorité de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Économie et des Finances, lorsque j’étais directeur des Monnaies et médailles.
Il a aussi pu apprécier votre engagement politique à Neuilly…
Dois-je rappeler que j’étais sur la liste dissidente lors des dernières élections municipales ? Et, franchement, tout cela n’est pas du niveau de la nomination d’un directeur général de l’AFD.
Un poste qui sonne comme une consécration…
J’avais laissé entendre que je ne souhaitais pas d’autres affectations. Mais je ne le vis pas comme un aboutissement, plutôt comme un commencement.
C’était l’AFD ou rien ?
Oui.
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* Bénin, Burkina Faso, Centrafrique, Comores, RD Congo, Ghana, Guinée, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad, Togo.
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