Le Maghreb, nouveau terrain de chasse des entreprises turques

Déçu par l’Europe, Ankara se tourne vers les rives sud de la Méditerranée. Mais à Rabat, Tunis ou Alger, la conquérante puissance industrielle inquiète.

Le hard-discounter BIM, à Casablanca. © Hassan Ouazzani pour J.A.

Le hard-discounter BIM, à Casablanca. © Hassan Ouazzani pour J.A.

Publié le 14 octobre 2010 Lecture : 5 minutes.

Le Cola Turka, les chocolats Godiva, la bière Efes Pilsen, l’électronique et l’électroménager de Vestel ou d’Arçelik, les produits d’entretien et d’hygiène Hayat, le prêt-à-porter de Beymen, Koton, Mavi et Collezione… L’offensive commerciale turque dans les pays du Maghreb ne se fait pas à coups de « contrats du siècle » tels que la vente d’Airbus ou de Boeing, de TGV ou de centrales nucléaires. Mais, devenue une puissance économique émergente et une véritable nation industrielle, la Turquie cherche, plus modestement mais avec détermination, à trouver de nouveaux débouchés à l’international pour ses champions nationaux et ses PME.

Avec une croissance moyenne de 7 % par an entre 2000 et 2007, le pays a le vent en poupe. Après un trou d’air en 2009 (+ 4,7 %), Ankara repart de plus belle. Au cours du premier trimestre 2010, son produit intérieur brut s’est envolé de 10,3 %. Porté par cette vitalité, le pays d’Atatürk veut rayonner des bords de l’Atlantique aux rives de l’Euphrate. Et ce d’autant plus que sa perspective d’adhésion à l’Union européenne s’enlise.

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Un volume d’affaires en très forte progression.

(SOURCE : JEUNE AFRIQUE, TUSKON)

De 13 milliards de dollars (9,5 milliards d’euros) en 2004, les échanges commerciaux entre Ankara et les pays arabes ont culminé à 37 milliards en 2008. Seule la crise les a fait retomber à 29 milliards l’an passé. Par sa proximité géographique, culturelle et religieuse, le Maghreb est devenu un terrain de chasse pour les industriels turcs. « Les États du Maghreb constituent un marché potentiel de première importance pour les produits turcs, qui sont souvent de bonne qualité et à des prix nettement moindres que ceux d’Europe ou des États-Unis. Et la soif d’hydrocarbures de la Turquie peut aussi jouer en faveur d’un resserrement des liens avec certains pays maghrébins », analyse Didier Billion, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques.

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L’Algérie, premier partenaire

Pour le moment, toutefois, les relations sont plutôt timides. Anima, l’observatoire des investissements dans le pourtour méditerranéen, n’a répertorié que 17 investissements et partenariats conclus par la Turquie au Maghreb entre 2003 et 2010. Dont sept cette année. « Il y a 1 à 3 investissements turcs par an au Maghreb. C’est peu. Mais assiste-t-on à un décollage ? » s’interroge Jeanne Lapujade, d’Anima. L’avenir tranchera.

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Aujourd’hui, l’Algérie est le premier partenaire d’Ankara en Afrique, avec un volume d’échanges commerciaux qui oscille entre 4 milliards et 5 milliards de dollars, contre 1,5 milliard en 2007. L’objectif turc est d’atteindre les 10 milliards en 2012, en poussant Alger à signer un accord de libre-échange. L’importation par la Turquie de gaz liquéfié pour 2 milliards de dollars par an, après un contrat signé en 1995 et qui s’achèvera en 2014, constitue l’essentiel de leur relation commerciale.

Toutefois, près de 150 sociétés turques sont implantées en Algérie, soit plus de 40 % des entreprises du pays d’Atatürk sur le sol africain. Elles sont surtout présentes dans la commercialisation de biens d’équipement et de produits alimentaires. Côté investissements, les entreprises sont concentrées sur les marchés de la construction. Arrivé en 2003, le fabricant de sanitaires en céramique VitrA est un précurseur. Il a été rejoint par le groupe de construction Özgun, qui a remporté quatre contrats pour un montant de 2 milliards d’euros en 2008. Pour faciliter l’accès des entreprises de BTP turques au programme algérien de construction de 1 million de logements entre 2010 et 2014, les deux pays ont signé un protocole d’accord en mai 2010.

Côté marocain, le bilan est plus mitigé, malgré le coup d’éclat du distributeur Birlesik Magazalar (BIM), à la tête de près de 3 000 magasins de hard-discount et d’un chiffre d’affaires de 2,7 milliards d’euros l’an passé. Rien qu’en 2009, l’enseigne a ouvert 25 supérettes d’une superficie moyenne de 200 m2, dont 11 à Casablanca le 11 avril dernier. Un investissement de 2,35 millions d’euros. Mais le roi des prix cassés ne compte pas s’arrêter là. Pour 2010, il a annoncé l’ouverture de 40 nouveaux magasins pour 4,7 millions d’euros. Et il a programmé d’en gérer 150 d’ici à 2012 au Maroc !

Mis à part l’offensive du hard-discounter, les échanges se situent sous la barre du milliard de dollars par an, malgré un accord de libre-échange depuis 2006. Si le Maroc exporte surtout du phosphate, la Turquie vend au royaume de l’acier, du tissu et des produits manufacturés (automobiles). Pour tenter de stimuler les flux d’affaires, la quatrième édition du Forum de coopération arabo-turque se tiendra au Maroc en 2011.

En Tunisie, la photographie est presque identique. Les 550 millions d’euros investis par l’opérateur aéroportuaire turc TAV Airports depuis 2007, pour la construction puis la gestion du nouvel aéroport d’Enfidha, ne doivent pas faire illusion. Les échanges entre les deux pays ont décollé de 65 % en 2008, grâce à ce projet, pour atteindre le milliard de dollars. Et, là aussi, malgré un accord de libre-échange signé en 2005. Sur le terrain, 13 industriels turcs sont implantés en Tunisie. Ils ont investi 7 millions d’euros et emploient 1 235 salariés, dans les secteurs de l’industrie chimique, de la mécanique, de l’éclairage automobile, de l’électroménager et des textiles.

Une présence diversifiée qui a donné naissance à quelques fleurons locaux : Prokim, le spécialiste de la colle industrielle, le holding Zeytinoglu dans la construction de conteneurs, ou WBS-Winnen Borji, du groupe Yegin, qui fournit depuis Sfax les armées tunisienne et turque en uniformes et en parachutes. Un business favorisé par la présence en Tunisie depuis 1991 de Türk Eximbank, l’une des principales banques turques.

Rouleau compresseur

Mais que ce soit à Tunis, Rabat ou Alger, les pays du Maghreb restent sur la défensive face au rouleau compresseur turc. La puissance industrielle du pays et l’empressement des autorités d’Ankara à faire sauter tous les verrous douaniers les effraient. Autre point de crispation : la concurrence frontale avec la Turquie, qui a aussi l’Europe comme premier client et le secteur textile comme pilier de son industrie. Un « danger » d’autant plus palpable que les produits turcs sont déjà très visibles dans les souks ou les boutiques : biscuits, objets en plastique, habillement… Des magasins de mode s’approvisionnent directement à Ankara. « Les Turcs ont un rapport qualité-prix intéressant et ne font pas du produit chinois », assure la gérante d’un point de vente Zen (prêt-à-porter).

Sauf qu’une partie de ces produits empruntent les circuits de l’informel en transitant, pour la Tunisie, par la Libye. Le « commerce à la valise » occupe de nombreuses Tunisiennes qui font régulièrement du shopping à Istanbul et revendent la marchandise dans leur entourage. Près de 100 000 « touristes » tunisiens se rendent ainsi en Turquie chaque année. En Algérie, ces « importations » turques sont évaluées entre 500 millions et 1 milliard de dollars par an. Un commerce qui irrite au Maghreb, mais indiffère à Ankara.

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