Joe Biden, une grande gueule à la Maison Blanche
Rarement un vice-président américain aura joué un rôle aussi important. Très en phase avec l’Amérique profonde, Joseph Biden ignore la langue de bois et, à l’occasion, n’hésite pas à contredire son patron qu’il côtoie à la Maison Blanche. Tout sauf un béni-oui-oui !
Connaissez-vous cette vieille blague ? Il était une fois deux frères. L’un prit la mer, l’autre devint vice-président des États-Unis. Et personne n’entendit plus jamais parler d’eux. C’était, dit-on, l’une des préférées de Joe Biden, à l’époque où il n’était que sénateur. Mais il est aujourd’hui le 47e vice-président des États-Unis. Et il fait tout, vraiment tout, pour faire parler de lui.
Célèbre pour son franc-parler, Biden est l’un des hommes clés de l’équipe Obama. À un mois d’élections de la mi-mandat qui ne s’annoncent pas sous les meilleurs auspices pour l’administration démocrate en raison de la faiblesse de la reprise économique, de la persistance d’un taux de chômage élevé et de la tumultueuse réforme du système de santé, sa tâche n’a rien d’une sinécure.
Ceux qui le connaissent bien sont formels : Joe Biden est, à la Maison Blanche, un rouage essentiel du processus de prise de décision. Tantôt médiateur, tantôt avocat du diable, il est, comme l’explique l’un de ses collaborateurs, « intrinsèquement incapable d’être un béni-oui-oui ». Dans les grands débats en cours – qu’il s’agisse de l’Afghanistan ou de la relance de l’économie américaine –, il fait entendre une voix souvent discordante.
C’est notamment lui qui, en juin, a contribué au limogeage du général Stanley McChrystal de son poste de commandant des forces américaines en Afghanistan. Lui aussi qui, en août, a défendu le programme de son administration à la télévision. Mais son rôle en coulisses n’est pas moins important. Et là, ses trente-six années d’expérience parlementaire jouent un rôle déterminant. À titre de comparaison, Obama n’a passé que quatre ans au Sénat…
Solide et rassurant
Ce dernier voit, depuis plusieurs mois, sa cote de popularité fléchir dangereusement. Une majorité d’Américains désapprouve notamment sa politique économique. Lors des midterm elections, début novembre, les démocrates pourraient perdre des plumes – et même la majorité – tant à la Chambre des représentants qu’au Sénat.
Dans ce contexte difficile, Biden s’impose comme une figure solide, rassurante, capable de faire le lien avec l’Amérique profonde. Jusqu’à présent, il n’a commis aucun impair sur les dossiers qui lui ont été confiés, qu’il s’agisse de l’Irak ou du Recovery Act, une loi censée rendre plus transparentes les dépenses de l’État. Pourtant, il revient de loin.
En 2007, il avait dit de Barack Obama qu’il était « le premier Africain-Américain à tenir un langage intelligible, à être à la fois brillant, beau et propre sur lui » – propos pour lesquels il avait été contraint de s’excuser. De même, lors de sa première campagne présidentielle, en 1988, il avait été convaincu d’avoir plagié dans un discours un homme politique anglais et obligé, de manière assez humiliante, de se retirer.
Aujourd’hui, beaucoup voient en lui bien autre chose que le mentor d’un jeune président. « Il essaie de donner de cette administration une image heureuse, explique Brian Darling, son ancien collaborateur au Sénat, mais c’est difficile lorsque ses programmes ne fonctionnent pas. »
C’est sous Jimmy Carter, à la fin des années 1970, que le rôle du vice-président s’est sensiblement accru, grâce à Walter Mondale. Depuis, le plus influent a été Dick Cheney, le numéro deux des deux administrations de George W. Bush, qui était parvenu à se ménager une marge de manœuvre considérable. À cette exception près, Joe Biden est, sans discussion, le plus puissant de tous les vice-présidents américains.
En se chargeant d’un petit nombre de dossiers parmi les plus délicats, tout en conseillant le président, il observe ce que certains à Washington appellent la « loi de Mondale » : les meilleurs vice-présidents sont ceux qui ne croulent pas sous les tâches et évitent de se laisser cantonner à un rôle de représentation. « Carter et moi avons changé la vice-présidence, confie Mondale. J’en ai parlé deux ou trois fois avec Joe, au début de son mandat. Il s’agit de conseiller le président et de se saisir de dossiers importants, sans s’encombrer des activités de routine. »
Biden n’a pas la réputation de s’adonner aux délices de la langue de bois. « Dès lors qu’il ne peut être ni promu ni viré, il peut dire au président ce qu’il pense, sans détour », analyse Ron Klain, son directeur de cabinet. Obama, qui fut dans le passé enseignant, est un adepte de la méthode socratique et encourage le débat au sein de son équipe. « Il ne s’offusque jamais d’être contredit, raconte Tom Daschle, l’un de ses conseillers spéciaux. Sur toutes les questions, il veut connaître tout l’éventail des opinions. »
Au cours de ces discussions, Biden joue souvent, par procuration, le rôle d’Obama, tandis que ce dernier préfère écouter. « Le président est décontracté et réfléchi, raconte une ancienne employée de l’administration. À l’occasion, il peut se montrer sarcastique, mais il ne s’énerve jamais. Biden ressemble davantage à Bill Clinton ; il est émotif, animé, volubile. C’est un homme chaleureux, et les gens le sentent bien. »
Né en Pennsylvanie, en 1942, dans la ville ouvrière de Scranton, Joseph Biden, dont le père était concessionnaire automobile, apporte à Obama, dont l’image est plus élitiste, une crédibilité populaire. « Il a une grande capacité d’anticipation, estime un habitué des réunions dans le Bureau ovale. Il pressent la manière dont les gens ordinaires vont réagir aux politiques lancées par l’administration. » Bien sûr, il n’a pas toujours gain de cause. L’an dernier, il s’est même opposé, en vain, à deux décisions majeures prises par Obama : la réforme du système de santé, qu’il trouvait peu judicieux de lancer en pleine période de récession, et l’envoi de renforts en Afghanistan.
Dans l’antre du dictateur
Ce 4 juillet, dans le palais Al-Faw, à Bagdad – l’un des endroits les plus sécurisés au monde –, la température avoisine 55 °C, mais Joe Biden est dans son élément. À l’occasion de la fête de l’Indépendance, il préside une cérémonie de naturalisation de soldats de toutes origines – soixante, au total. « Nous voilà dans l’antre d’un dictateur [Saddam Hussein, NDLR] qui avait assujetti son peuple, lance-t-il. Et nous sommes en train de faire le contraire de tout ce en quoi il croyait. » Dans un sourire, il ajoute : « Et cela me fait très plaisir. »
Sur l’Afghanistan, en revanche, les prises de position du vice-président suscitent davantage de réticences. Tandis que le général Stanley McChrystal, s’appuyant sur une augmentation des effectifs, était favorable à une vaste opération de contre-insurrection, Biden proposait un simple plan antiterroriste amélioré, dans le cadre d’une mission plus resserrée. Malgré son départ, c’est McChrystal qui a eu le dernier mot.
Certains de ses anciens collaborateurs sont un peu frustrés : ils aimeraient que le vice-président ait plus souvent gain de cause. « Biden a souvent l’occasion d’exprimer son opinion, estime son amie Leslie Gelb, du think-tank Council on Foreign Relations, mais les décisions que prend finalement Obama montrent quelle est son influence réelle. »
Dans certains cercles européens et atlantiques, d’aucuns commencent à se dire que, s’agissant de l’Afghanistan, l’approche de Biden était peut-être la bonne, surtout en ces temps d’austérité financière. Pour certains membres de l’administration, le fait que les avis de Biden soient rarement pris en compte ne prouve pas qu’ils sont mauvais. C’est plutôt l’illustration du type d’organisation que le président a mis en place autour de lui. « Obama veut être l’accélérateur et entend faire de Biden un frein, estime Tom Daschle. Si vous avez deux accélérateurs, vous finirez un jour ou l’autre par vous planter. Mais une pédale d’accélérateur et une de frein, ça peut marcher. »
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