Dounia Hamoutene-Puestow, océanographe à St. John’s
Cette océanographe algérienne installée au Canada étudie les conséquences de l’activité humaine sur des espèces marines comme la morue, le crabe, le homard…
Sa chair est l’une des plus pauvres en matières grasses, et l’huile obtenue à partir de son foie est riche en acides gras oméga 3, essentiels à la prévention des maladies cardiovasculaires. Que vous la prépariez à la créole en rougail, à l’antillaise pour un féroce d’avocat (sorte de guacamole) ou pour des acras, à l’algérienne en beignets ou à l’angolaise en esparregados avec des feuilles de manioc, la morue sait s’adapter à toutes les cuisines. Et ravir nos papilles ! Las, depuis une vingtaine d’années, la belle se fait rare au fond des océans.
Affectionnant tout particulièrement les eaux froides des côtes de Terre-Neuve et de Labrador, la morue est devenue un enjeu économique majeur. À tel point qu’en cinq cents ans elle a façonné le visage de l’Est canadien. Fort longtemps, les pêcheurs basques et bretons ont tenu secret l’emplacement des bancs canadiens et en ont fait un commerce lucratif avant qu’un explorateur français, Jean Cabot, ne révèle au monde entier leur existence. Portugais, Espagnols et Anglais se ruèrent alors vers le Grand Nord. Et fondèrent villes et villages là où n’existaient que falaises et rochers. C’est le début de la colonisation de la côte est de l’Amérique du Nord. L’industrie de la morue fait prospérer des villes entières… jusqu’à ce que la pêche intensive des années 1980 (jusqu’à plus de 510 000 tonnes dans le golfe Saint-Laurent en 1982) décime les stocks. Raison pour laquelle, en 1992, le Canada annonce un moratoire interdisant la pêche au large de ses côtes, réduisant au chômage quelque 30 000 pêcheurs qui n’ont eu d’autre choix que de se mettre à l’aquaculture. « C’est un vrai défi, explique l’océanographe Dounia Hamoutene-Puestow, car la morue est un poisson qui s’adapte très mal à la culture. »
Une fois par semaine, cette fluette et dynamique chercheuse rattachée au département des pêches et océans à l’université de St. John’s, capitale de Terre-Neuve-et-Labrador, traverse l’île pour effectuer des prélèvements le long de la côte sud. L’enfant d’Oran a quitté les eaux chaudes de la Méditerranée pour les courants froids de l’Atlantique, qui drainent, chaque hiver, baleines et icebergs. Mais là comme ailleurs, les problèmes sont les mêmes : l’activité humaine menace le fragile équilibre de l’écosystème aquatique. Diplômée de l’université d’Aix-Marseille en France, Dounia Hamoutene-Puestow a d’abord mené ses recherches en Méditerranée, avant de les poursuivre au Canada. Elle étudie les conséquences des activités gazières et pétrolières, en particulier les effets physiologiques des fluides de forage, de l’eau de puits, du pétrole brut et des agents de dispersion du pétrole, sur la santé de certaines espèces comme le crabe des neiges, les moules, le homard et, actuellement, la morue et le saumon. Et s’attache à améliorer les capacités de production des pisciculteurs tout en réduisant les impacts environnementaux des exploitations. « L’essor de la salmoniculture et ses impacts revêtent une grande importance pour les collectivités de l’Atlantique nord, explique-t-elle avec conviction. À chacun de mes déplacements, les pisciculteurs que je rencontre attendent beaucoup de mon travail. C’est gratifiant, mais quelle responsabilité ! » Un savoir et des connaissances qu’elle aimerait partager également avec les chercheurs de son pays natal. Car l’océanographe n’a jamais tourné le dos à l’Algérie. Bien au contraire. « J’aimerais pouvoir développer un partenariat avec l’Institut des sciences de la mer et de l’aménagement du littoral d’Alger, mais, depuis des années, je dois avouer que je rencontre des résistances. D’une part, en Algérie, il n’y a pas de tradition de coopération ; d’autre part, je ressens une certaine jalousie. Et le fait que je sois mariée à un Allemand bloque au niveau de certaines instances. »
Née à Oran en 1969, la fille de la psychologue et écrivaine Leïla Hamoutene a grandi à Alger, dans un milieu plutôt modeste : « Mon père était économiste, ma mère enseignait le français. J’ai fait mes études jusqu’en maîtrise en Algérie. Puis une bourse franco-algérienne m’a permis d’accomplir un DEA et une thèse en France. Je suis ensuite rentrée chez moi et j’ai enseigné pendant deux ans à la faculté d’Oran, en 1995 et 1996. Mais c’était des années difficiles, en pleine guerre, j’étais à l’affût de tout ce qui pouvait me faire sortir de cet enfer. J’ai réussi à obtenir un poste à l’université de Nice où, le mois de mon arrivée, j’ai rencontré mon futur mari ! Thomas, un Allemand qui finissait ses études à l’université de St. John’s. J’ai laissé le vent me porter : j’ai fait ma demande d’immigration pour le Canada. »
En 1998, la Méditerranéenne découvre alors une île au milieu des brumes hivernales, au climat hostile, froid… et humide toute l’année. Quelques grandes chaleurs en juillet-août : une petite vingtaine de degrés. Rarement plus. Pas de quoi remonter le moral. « Le temps, c’est le plus dur à supporter. Heureusement, l’accueil des Terre-Neuviens est des plus chaleureux. Si j’ai découvert une grande ignorance par rapport à l’Algérie, ça ne veut pas dire pour autant que les gens ont des préjugés négatifs. Contrairement à ce que j’ai connu en France, il n’y a pas de racisme ici. Jamais on ne m’a demandé si j’étais musulmane. Pour autant, il est difficile d’avoir des amis originaires de l’île. Comme on dit, “people are friendly, but they are not friends”. »
Au fil des ans, Dounia s’habitue aux grands espaces. La densité de la province la plus à l’est de l’Amérique du Nord est l’une des plus faibles au monde : à peine 1,4 habitant par kilomètre carré. Un environnement calme. Peut-être trop même. Un vrai décalage avec Alger la bruyante, Alger la surpeuplée. Pendant longtemps, les Puestow hésitent à acheter un bien immobilier. Mais comment ne pas se laisser séduire par l’une de ces jolies petites maisons de pêcheur aux couleurs vives qui font l’originalité de St. John’s ? « Une maison, c’est un lien, un enracinement. Nous avions peur alors de ne plus pouvoir repartir. Mais après tout, une maison, ça se revend. » Si l’océanographe reconnaît que l’ambiance insulaire lui pèse parfois, elle s’empresse d’ajouter qu’après douze années au Canada « il devient de plus en plus difficile de retourner vivre en Algérie ». Des regrets ? Quelques-uns, sans doute, mais les liens avec l’Algérie ne sont pas coupés.
« J’y retourne tous les ans, et mes parents viennent nous rendre visite régulièrement. Depuis sept ans, j’enseigne la danse algérienne à St. John’s. Une autre manière de conserver un lien. Comme moi, mes enfants ont la double nationalité : algérienne et canadienne. Nous leur avons appris aussi bien l’allemand que l’arabe. » En plus de l’anglais et du français, qu’ils pratiquent quotidiennement. Voilà des enfants ancrés dans le monde !
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