Patrick Achi : « Nous voulons créer le premier producteur indépendant d’eau »

L’approvisionnement en eau potable s’est fortement dégradé en Côte d’Ivoire au cours de la dernière décennie. Le gouvernement a lancé des chantiers et mise sur le privé.

Patrick Achi, ministre ivoirien des Infrastructures économique. © Vincent Fournier/JA

Patrick Achi, ministre ivoirien des Infrastructures économique. © Vincent Fournier/JA

Julien_Clemencot

Publié le 7 juin 2013 Lecture : 5 minutes.

Installé au 23e étage d’une tour du quartier du Plateau, à Abidjan, le bureau de Patrick Achi surplombe la ville. La vue pourrait lui donner le vertige, tant les infrastructures dont il a la charge ont été mises à mal par dix années de crise politique. Un constat particulièrement criant en ce qui concerne l’approvisionnement en eau potable. Privé un temps du soutien des bailleurs, incapable de recouvrer normalement les factures dans les zones tenues par les nordistes, l’État a assisté, impuissant, à la dégradation de la situation. Mais loin d’être découragé, le ministre, en poste presque sans interruption depuis l’an 2000, juge le challenge exaltant. Pour J.A., il détaille le plan de bataille qui devrait permettre d’inverser la tendance.

Jeune Afrique : Quelle est la situation ivoirienne en matière d’approvisionnement en eau potable ?

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Patrick Achi : Nous sommes sortis de la crise [postélectorale] en avril 2011 avec un déficit de 30 % pour la ville d’Abidjan et de 50 % pour les villes de l’intérieur et les localités rurales. Cela a été l’un des secteurs d’investissement prioritaires pour le gouvernement, en particulier pour Abidjan, qui représente 70 % de la consommation ivoirienne. Notre capacité de production pour la métropole est de 350 000 m3 par jour [portée depuis à 400 000 m3, selon le président de la Sodeci] alors que les besoins actuels sont de 500 000 m3.

Captage, stockage, distribution : où se situe le problème ?

À tous les niveaux. C’est avant tout un manque d’investissements pendant plus de dix ans. À Abidjan, on constatait déjà une forte pression sur les infrastructures en l’an 2000. Et pendant la crise, le nombre d’habitants a doublé, du fait de la croissance démographique mais également de l’arrivée de populations fuyant les combats et les zones de tensions.

1955
Naissance à Paris

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1981
Diplôme d’ingénieur de Supélec Paris

1983
Début de carrière au cabinet Arthur Andersen, à Paris puis à Abidjan

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1999-2000
Délégué du gouvernement chargé de la réforme de la filière café-cacao

2000
Ministre des Infrastructures économiques, poste qu’il occupe jusqu’en février 2010, puis de nouveau à partir de décembre 2010

Vous qui, au sein du gouvernement, avez été chargé de ce dossier quasiment sans interruption depuis l’an 2000, comment expliquez-vous ce constat ?

Il faut savoir qu’une grande partie des investissements dans ce domaine provient des partenaires au développement. En 2000, le projet d’accroissement de près de 15 % de la production d’eau pour Abidjan, financé par l’Agence française de développement [AFD], a été arrêté après le coup d’État. Et à partir de 2002, notre endettement nous a obligés à stopper notre coopération avec la Banque mondiale et la Banque africaine de développement [BAD]. Pendant une décennie, nous n’avons obtenu que quelques financements de l’Union européenne pour traiter les déficits d’approvisionnement de grandes villes comme Daloa ou San Pedro. Sur un besoin estimé à environ 500 millions d’euros pour Abidjan sur les dix ans de crise, moins de 50 millions ont été investis. À la sortie, l’urgence était décuplée.

Disposez-vous désormais de l’argent nécessaire pour résorber le déficit en eau potable ?

Ces besoins sont en train d’être couverts. À Abidjan, nous avons un chantier financé par la Banque islamique de développement [BID] pour produire 40 000 m3 d’eau potable par jour, qui devrait être achevé à la fin de l’année. Nous avons également un projet pour 20 000 m3 supplémentaires, appuyé par la Banque arabe pour le développement économique en Afrique [Badea], qui va se terminer en 2014. Sans oublier l’approvisionnement de la capitale économique à partir de la nappe de Bonoua – celle d’Abidjan est surexploitée – dont les travaux, financés par les Chinois, seront terminés l’an prochain. À cela s’ajoutent les financements de l’AFD pour un projet d’approvisionnement de 40 000 m3 à Songon [en périphérie d’Abidjan] prévu en 2014.

La plupart de ces projets ne seront achevés qu’à moyen terme. Qu’avez-vous fait pour répondre aux besoins immédiats ?

Le gouvernement a initié en 2011 un plan d’urgence de 48 milliards de F CFA [73,2 millions d’euros], financé à hauteur de 29 milliards par le secteur et de 10 milliards par le programme présidentiel d’urgence, le reste demeurant à trouver. Cela concerne des forages et des infrastructures de stockage, comme le château d’eau dédié aux communes d’Abobo et d’Anyama [district d’Abidjan], dont la première pierre a été posée le 23 avril.

Avec l’augmentation des besoins, les forages ne constituent pas des solutions pérennes.

Et dans les zones rurales ?

Ce sont les premiers besoins auxquels nous nous sommes attaqués. À la fin de la crise, plus de 70 % des pompes villageoises étaient en panne. Aujourd’hui seulement 15 % d’entre elles sont encore hors d’usage, et toutes seront réparées fin 2013.

Les besoins futurs sont estimés à 8 000 nouvelles pompes et il faudra réhabiliter les infrastructures des chefs-lieux de région, de département, et des sous-préfectures. Sans compter les 245 nouvelles sous-préfectures, ainsi que 108 localités de plus de 10 000 habitants à équiper entièrement. Cela représente entre 400 et 500 millions d’euros à réunir dans les trois ou quatre prochaines années.

Comment comptez-vous trouver cette somme ?

Nous préparons pour fin juin une conférence des bailleurs sur le thème de l’eau. L’objectif est de réunir au moins 50 % des fonds nécessaires pour débuter les travaux en 2014.

La Côte d’Ivoire a-t-elle assez de ressources en eau pour satisfaire ses besoins ?

Oui, mais on se rend compte qu’avec l’augmentation des besoins, les forages ne constituent pas des solutions pérennes. À l’avenir, nous prévoyons d’alimenter la Côte d’Ivoire grâce aux trois plus grands cours d’eau du pays, les fleuves Sassandra, Comoé et Bandama. Sur ce dernier, l’objectif de production est de 600 000 m3 par jour. Cela passe par la mise en place d’un partenariat public-privé. L’objectif est de créer le premier producteur indépendant d’eau, comme on a des producteurs d’électricité.

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En Afrique, le secteur équilibre rarement ses finances. Trouver un partenaire privé qui investisse ne sera pas facile…

En Côte d’Ivoire, l’eau a toujours été gérée de manière privée, et l’État n’a jamais failli à ses engagements. Par ailleurs, nous sommes l’un des pays africains où vous trouverez le plus de contrats de concession et d’affermage : l’électricité, le téléphone, le secteur aéroportuaire, les chemins de fer. Nous avons donc un historique relativement bon. Et puis les investisseurs recevront des garanties sur les volumes : si la consommation réelle est inférieure, l’État compensera la différence.

En milieu rural, vous souhaitez offrir l’eau gratuitement aux communautés alimentées par des pompes manuelles. N’allez-vous pas aggraver les difficultés du secteur ?

Non, car c’est moins de 5 % de la consommation du pays. Cette mesure tient compte de la fragilité de ces populations. L’entretien est théoriquement du ressort des comités villageois. Mais l’expérience montre qu’ils ne fonctionnent pas bien. S’il faut payer 2 milliards de F CFA par an pour que les 19 000 pompes du pays fonctionnent, on considère que dans cette période où la pauvreté est grande, l’État doit le faire. Une fois la situation financière de ces populations améliorée, on pourra envisager un mécanisme payant.

À terme, est-ce que la Côte d’Ivoire pourrait vendre de l’eau à ses voisins ?

Tout à fait. Nous le faisons déjà pour l’électricité. Nous en avons le potentiel.

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Propos recueillis par Julien Clémençot

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