Alassane Dramane Ouattara : « L’élection présidentielle, cette fois, j’y crois »
À quelques semaines de l’élection présidentielle du 31 octobre, l’ancien Premier ministre de Houphouët et candidat du Rassemblement des républicains, Alassane Dramane Ouattara, se dit convaincu que le scrutin, maintes fois reporté, se déroulera de manière libre et transparente. Premier volet de notre série d’entretiens avec les principaux acteurs d’une élection historique.
Si les heureux auspices qui accompagnent le scrutin du 31 octobre se confirment – et il n’y a pour l’instant aucune raison d’en douter –, Alassane Ouattara, 68 ans, participera enfin à sa première élection présidentielle. En 1995, avec le soutien de Laurent Gbagbo et face à son allié d’aujourd’hui, Henri Konan Bédié, il avait refusé de se présenter, estimant que les conditions de transparence et d’équité n’étaient pas remplies.
En 2000, sa candidature avait été invalidée pour « nationalité douteuse ». L’ancien Premier ministre de Houphouët (1990-1993), au cœur de la tempête politique qui balaye la Côte d’Ivoire depuis quinze ans, arrive donc au bout d’un long chemin fait d’épreuves, d’humiliations, de coups de blues mais aussi, et peut-être surtout, de ténacité. Il n’a en effet jamais renoncé à cet objectif présidentiel, même après avoir échappé de justesse à la mort, en septembre 2002, quand son domicile d’Abidjan a été attaqué et incendié.
Pour bon nombre d’Ivoiriens, ADO, comme ils l’appellent, demeure un mystère. Une sorte de Janus, qui ne laisse personne indifférent. Ses adversaires se plaisent à voir en lui le « plus grand diviseur » du pays, le responsable du coup d’État de décembre 1999 ou le deus ex machina de la rébellion de 2002. Pour ses partisans, il est le seul capable de diriger la Côte d’Ivoire après une telle descente aux enfers : brillant, intègre, rigoureux, bon gestionnaire et ami des institutions internationales.
Enfin, pour ceux qui n’appartiennent à aucun de ces deux camps, sa compétence certaine le dispute à une image un peu trop policée, pas assez « les pieds dans la glaise ». La faute à une éducation et à un parcours personnel qui en ont plus fait un homme du monde qu’un « villageois », mais aussi à une relativement longue absence du pays, jusqu’à une période récente.
L’entretien qui suit a été recueilli fin septembre à Ouagadougou, en marge de la septième réunion du Cadre permanent de concertation (CPC), dans sa suite de l’hôtel Laico, où il s’est installé, comme Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié. C’est un homme résolument optimiste, sur la tenue à bonne date de la présidentielle mais aussi sur ses chances de l’emporter, qui a répondu à nos questions pendant plus d’une heure. Avec la volonté d’incarner l’image d’un leader au-dessus de la mêlée, rassembleur et ouvert, plutôt que celle de « simple » héraut du Nord qui lui a longtemps collé à la peau.
Lors de l’entretien, le 20 septembre, à l’hôtel Laico (Ouagadougou).
© D. Bougouma pour J.A.
JEUNE AFRIQUE : Le premier tour de l’élection présidentielle est fixé au 31 octobre. Cette fois-ci, c’est la bonne ?
ALASSANE DRAMANE OUATTARA : Très sincèrement, je pense que oui. La plupart des conditions requises sont remplies. Le plus difficile, c’était la liste électorale. Elle est désormais définitive et acceptée par tous. L’encasernement des Forces nouvelles et la réunification du pays sont en cours et ne posent pas de problèmes particuliers. Reste le démantèlement des milices. Mais nous savons que tout ne pourra pas être réglé avant l’élection. Des élections ont été organisées en Afghanistan et en Irak dans des circonstances beaucoup plus difficiles. Il reste quelques détails techniques à régler, notamment au niveau de la Commission électorale indépendante, mais rien qui puisse remettre en question le respect des délais impartis.
La liste électorale retenue vous semble-t-elle équitable ou n’est-elle que le fruit d’un simple compromis politique ?
Cette liste est équilibrée et consensuelle. Elle est donc, et c’est l’essentiel, de nature à éviter la moindre contestation à l’issue du scrutin.
Avez-vous confiance dans les conditions d’organisation du scrutin ?
Ce scrutin sera équitable et transparent, donc oui.
Cela signifie-t-il que vous pouvez vous engager par avance à reconnaître le verdict des urnes ?
Oui, je m’y engage.
Si vous étiez élu, quelle mesure prendriez-vous en premier ?
Avant toute chose, je commencerais par m’adresser aux Ivoiriens pour les exhorter à la paix et au rassemblement. Puis je traduirais ce discours dans les actes en nommant un gouvernement d’union, rassemblant toutes les composantes politiques et la société civile, pour renforcer la cohésion. Dès le lendemain de l’élection, nous travaillerions à la mise en œuvre de l’intégralité de mon programme. Tout cela depuis Yamoussoukro, où je m’installerais après y avoir prêté serment. Car le transfert de la capitale est un projet qui me tient à cœur.
Ce gouvernement d’union inclurait toutes les formations politiques, sans exception ?
Toutes les formations politiques significatives, en tout cas.
Y compris le Front populaire ivoirien de Laurent Gbagbo ?
Évidemment.
Quel rôle jouerait Henri Konan Bédié à vos côtés ?
Il est mon aîné et l’ancien président de la République. Nous entretenons des relations de confiance, et j’aurais besoin de ses conseils et de son expérience.
Vous pourriez lui confier un poste d’importance ?
Cela ne dépendrait que de lui.
Et si c’est Henri Konan Bédié qui est élu, vous travailleriez pour lui ?
Bien entendu.
Pourriez-vous être son Premier ministre ?
S’il le souhaite, oui.
Avez-vous déjà abordé la question de la répartition des postes gouvernementaux au sein du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix [RHDP, comprenant, entre autres, le RDR de Ouattara et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire – PDCI – de Bédié, NDLR] ?
Nous avons récemment demandé au directoire du RHDP de travailler en ce sens, mais nous n’avons pas encore obtenu les résultats des travaux.
À vous écouter, vous êtes les deux meilleurs candidats. Que se passerait-il si vous vous retrouviez au second tour ?
Nous mènerions tous deux une campagne saine, sereine et civilisée. Les Ivoiriens choisiront.
On dit souvent que le report des voix du candidat Ouattara vers le candidat Bédié fonctionne mieux que dans le sens inverse. En avez-vous conscience ?
Nous verrons bien. Mon intime conviction est que, compte tenu du bon fonctionnement du RHDP, le report sera satisfaisant dans les deux cas de figure.
Pensez-vous vraiment être propriétaire de vos voix ?
Je ne suis propriétaire de rien. Mais je considère que nos militants suivront le mot d’ordre du parti. Je pense d’ailleurs la même chose pour le PDCI et les autres partis du RHDP.
Ce scrutin pourrait tourner la page d’une crise qui, finalement, remonte à la mort de Houphouët. À quoi est due la descente aux enfers qu’a connue la Côte d’Ivoire depuis 1993 ?
(Il réfléchit longuement.) C’est une question difficile…
Mais vous vous l’êtes certainement posée…
Je dirais qu’elle a été due à l’absence de jeu démocratique qui nous a conduits à de multiples crises et, donc, à l’instabilité, mais aussi à beaucoup d’incompréhension.
Pensez-vous que cette décennie n’a produit que des effets négatifs ?
C’est une évidence. Il y a peut-être eu du positif pour quelques individus, mais certainement pas pour les Ivoiriens, qui ont beaucoup souffert de cette crise.
Le mandat présidentiel est de cinq ans. Cela vous semble-t-il suffisant ?
La Constitution prévoit un mandat de cinq ans renouvelable une fois. Je ne vois pas de raison de remettre cela en cause, contrairement à d’autres dispositions qui me semblent être sources de conflit…
Lesquelles ?
Toutes celles qui sont de nature à diviser les Ivoiriens. Il est grand temps, également, de donner plus de garanties aux minorités.
Cela signifie-t-il que vous envisagez de modifier la Constitution ?
Tout à fait.
Pourriez-vous être l’homme d’un seul mandat ?
Je souhaite aider mon pays le plus longtemps possible. Mais je ne me pose pas la question aujourd’hui.
Avez-vous déjà en tête le nom de votre éventuel Premier ministre ?
Non. Tout dépend de la manière dont l’élection se déroulera.
Cela signifie-t-il que, si vous êtes élu, le Premier ministre ne sera pas forcément issu du PDCI ?
Le PDCI pourrait préférer un autre poste.
Comment voyez-vous l’avenir du chef du gouvernement, Guillaume Soro, après l’élection ?
Si tout se passe comme prévu, il aura effectué un excellent travail. Il s’est montré compétent et déterminé. Il a donc un avenir politique certain.
Y compris un avenir de présidentiable ?
Oui, je le pense.
Laurent Gbagbo semble désormais « jouer le jeu ». Cela signifie-t-il qu’il existe aujourd’hui un minimum de confiance entre vous ?
Les choses se sont beaucoup améliorées. Même si j’ai été déçu par ses volte-face et les nombreux obstacles mis sur la route de cette élection, ces problèmes appartiennent au passé.
Ce nouveau rapport de confiance date-t-il de votre tête-à-tête du 17 mai dernier ?
Cela a effectivement été un tournant important.
Quelles relations entretenez-vous aujourd’hui ?
Des relations normales. Nous nous parlons régulièrement au téléphone et nous nous voyons dans le cadre des rencontres du Cadre permanent de concertation [CPC, organe mis en place pour assurer le suivi de l’accord de paix de Ouagadougou, signé le 4 mars 2007 NDLR].
Quel serait son sort si vous étiez élu ?
Il jouirait de tous les droits et avantages dus à un ancien chef de l’État.
Vous pourriez travailler avec lui, lui confier un poste ?
Cela dépendra de lui. En tout cas, je n’aurais aucun problème à le consulter régulièrement.
Et si c’était lui qui l’emportait ?
Très franchement, je ne me pose pas cette question…
Comment envisagez-vous de traiter la question des crimes – charnier de Yopougon, escadrons de la mort, etc. – commis pendant la guerre ?
Je souhaite mettre en place une Commission Vérité et Réconciliation, sur le modèle sud-africain. Il faut nécessairement établir la vérité. Cette commission devra également régler le problème des dédommagements dus aux victimes.
Revenons à l’élection du 31 octobre. Quel type de campagne comptez-vous mener ?
Mon seul souci est de prendre en compte les préoccupations de mes compatriotes. Cela implique une campagne de proximité, être à l’écoute des populations pour pouvoir leur proposer des solutions concrètes. Je me suis déjà rendu dans dix-sept des dix-neuf régions du pays. Le reste, l’invective ou la comparaison avec les autres candidats, si c’est le sens de votre question, ne m’intéresse pas.
À l’issue d’un meeting du RDR au stade de Bouaké, en juin 2009.
© Issouf Sanogo/AFP
Votre programme électoral est certes séduisant, très complet, précis, mais aussi, selon vos détracteurs, utopique et très coûteux : environ 12 000 milliards de F CFA [18,3 milliards d’euros]. Comment comptez-vous financer ces mesures ?
Mon programme est le fruit d’un long travail de terrain et de réflexion. Il est ambitieux mais n’a rien d’utopique compte tenu de mon expérience professionnelle. Je rappelle que la Banque mondiale a préconisé un montant identique pour la Côte d’Ivoire sur cinq ans, après l’élaboration de mon programme. L’amélioration des recettes de l’État, au niveau de l’impôt, de la douane, du secteur pétrolier ou des ressources minières, est un impératif facilement réalisable. L’investissement privé est un autre levier important, que l’on peut estimer à 2 500 milliards de F CFA. Une plus grande maîtrise des dépenses publiques peut dégager des ressources importantes. Enfin, la coopération bilatérale et multilatérale ainsi que l’allègement de la dette constituent également des ressources loin d’être négligeables. La vraie difficulté n’est pas de trouver ces ressources, mais de les gérer pour qu’elles ne s’évaporent plus dans la nature comme par le passé.
Votre programme implique un fort interventionnisme de l’État et de lourds investissements publics. Le libéral que vous étiez se serait-il converti à la social-démocratie ?
J’ai toujours prôné le libéralisme à visage humain. Et la crise financière internationale a rappelé à tout le monde, même aux ultralibéraux, qu’il n’était plus concevable de ne pas tenir compte du social.
Il existe deux filières stratégiques en Côte d’Ivoire : le pétrole et le café-cacao. Êtes-vous pour leur privatisation ou pour leur nationalisation ?
Ni l’un ni l’autre. Le caractère public des établissements de gestion a montré ses limites, mais nous ne pouvons pas tout laisser au privé. Je suis donc pour un partenariat. De même, je préconise un équilibre entre groupes multinationaux et groupes locaux.
Avez-vous confiance dans l’armée ivoirienne ?
Oui. Mais notre armée a trop longtemps été laissée à l’abandon, dans des conditions de travail extrêmement pénibles. Le conflit que nous avons connu a en outre dégradé les relations entre soldats. Nous devons donc désormais faire en sorte que notre armée soit véritablement unifiée, que les militaires se fassent confiance et, surtout, que les Ivoiriens leur fassent confiance. Les forces de défense et de sécurité peuvent compter sur moi pour remplir tous ces objectifs.
Cette armée vous semble-t-elle représentative de la population ?
Non, pas aujourd’hui, en raison des nombreux recrutements parallèles qui, vous le savez, ne reflètent pas la composition sociologique de la Côte d’Ivoire. Il faut se tourner vers l’avenir, faire en sorte que les militaires se sentent véritablement investis d’une mission, celle de protéger leurs concitoyens. Cela passe, entre autres, par l’amélioration de leur formation. Bref, par une vraie réforme.
Êtes-vous pour le droit du sol ou pour le droit du sang ?
Cette décision n’appartient pas au seul président de la République, quel qu’il soit. C’est aux Ivoiriens d’en décider, par voie de référendum ou par la création d’une commission d’experts et de juristes. Gardons cependant tous en tête que l’exclusion et l’injustice sont en grande partie responsables de la crise que nous avons vécue.
Quel rôle joue votre épouse à vos côtés ?
Son rôle est très important. Elle m’accompagne dans ma démarche, y compris sur le terrain. Vous savez également qu’elle a une fondation, Children of Africa, qui fait beaucoup pour les plus démunis. Je suis très fier d’elle et de son engagement.
Que ferez-vous si vous perdez ?
Je poursuivrai ma carrière politique, à la tête de mon parti, et mes activités professionnelles dans le cadre de mon institut, l’Institut international pour l’Afrique. D’autres échéances, législatives ou municipales, nécessitent la poursuite de notre combat. Et, si Dieu me prête vie, j’ai encore beaucoup de temps devant moi…
Comment jugez-vous la médiation de Blaise Compaoré ?
Pas besoin de longs discours : sans lui, nous n’en serions pas là. Je ne peux que lui dire un grand merci.
Réunion du Cadre permanent de concertation, le 21 septembre, dans la capitale burkinabè.
© D. Bougouma pour J.A.
Vous vous entretenez régulièrement avec le président français, Nicolas Sarkozy, dont vous êtes proche. À quand remonte votre dernière rencontre ?
Nous nous sommes entretenus en août dernier. Nous nous parlons à chacun de mes passages en France. Nicolas Sarkozy est mon ami.
Que pense-t-il réellement de la situation de la Côte d’Ivoire ?
Je ne souhaite pas parler à sa place. Posez-lui la question…
Selon vous, la relation entre la France et la Côte d’Ivoire doit-elle être redéfinie ?
La France elle-même a exprimé le souhait de revoir ses relations avec le continent africain dans sa globalité. La Côte d’Ivoire ne fait évidemment pas exception. Je ne vois pas de problème majeur entre nos deux pays, dont les liens historiques sont très étroits.
En quelques mots, que diriez-vous à un électeur ivoirien hésitant pour le convaincre de voter pour vous ?
La situation du pays est catastrophique, les Ivoiriens souffrent, et la soif de changement est inextinguible. Je pense avoir les solutions aux problèmes que rencontrent chaque jour mes compatriotes, dans les domaines de la santé, de l’éducation, des infrastructures… Ceux qui ont plus de 25 ans ou 30 ans se souviennent de ce que j’ai pu faire pour sortir le pays de la crise lorsque j’étais Premier ministre. Mes priorités seront l’emploi des jeunes et l’amélioration du cadre de vie de tous, je dis bien de tous les Ivoiriens, parce que je rêve d’une Côte d’Ivoire unie et prospère.
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