Bières ghanéennes

Une exposition insolite présente des cercueils aux formes inattendues. Un art funéraire ghanéen populaire, qui a fait des émules en Grande-Bretagne.

ProfilAuteur_SeverineKodjo

Publié le 4 octobre 2010 Lecture : 3 minutes.

Une magnifique Mercedes-Benz blanche, un DC 10 aux couleurs de la Ghana Airways, un majestueux lion… le tout façonné dans du bois. Les reproductions sont fidèles. La Mercedes est livrée avec son antenne radio, sa plaque d’immatriculation, ses jantes chromées ; le lion avec ses moustaches et ses griffes. Ces objets présentés à Besançon, dans l’est de la France, ne sont pas des œuvres d’art… mais des cercueils. Le musée comtois de la Citadelle propose une exposition pour le moins insolite intitulée « Fabuleux cercueils du Ghana et d’Angleterre ».

« Il y a quelques années, explique le commissaire, Lionel François, nous avions l’idée d’organiser un événement sur ce que les Anglais appellent les “crazy coffins”. Ce sont des cercueils aux formes inattendues – une guitare, un chausson de danse, un cerf-volant. En faisant des recherches, nous nous sommes rendu compte qu’il existait un précédent au Ghana, très populaire. » Une coutume qui remonte à l’indépendance.

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Succès garanti

Afin de parader lors des cérémonies du 6 mars 1957, un chef de l’ethnie ga demande au menuisier Ata Owoo de lui fabriquer un palanquin en forme d’aigle. De quoi donner des idées à un planteur de cacao. Il en commande un en forme de cabosse. Hélas, le jour de la livraison, le planteur décède. Et voilà la famille avec un mort à enterrer et une chaise à porteurs un peu particulière sur les bras. Qu’à cela ne tienne, le défunt sera inhumé dans son palanquin. Ata Owoo confectionne un couvercle pour fermer la cabosse. Un succès garanti. Jamais n’avait-on vu de funérailles aussi réussies. Dégourdi, le neveu d’Ata Owoo, Kane Kwei (1922-1992), s’empare de l’idée et fabrique les tout premiers cercueils figuratifs du Ghana.

« Nous n’avons pas de données exactes, mais on estime qu’aujourd’hui près d’un Ghanéen sur dix est enterré dans ce type de cercueils destinés à honorer la mémoire de la personne décédée. Les proches choisissent un symbole de l’activité terrestre qui a fait la réussite et la renommée du défunt. La famille d’une femme réputée comme l’une des meilleures boulangères de “sugar bread”, ces pains de mie sucrés dont raffolent les Ghanéens, a choisi un cercueil en forme de sac de farine, indispensable à la confection de ses pâtisseries », raconte Lionel François.

La tradition britannique remonte seulement à une petite dizaine d’années. En 1999, une retraitée écossaise a demandé pour elle-même un cercueil en forme d’avion. L’idée lui est venue en voyant ceux du Ghana dans une émission télévisée. « Nous sommes devant un phénomène culturel rare, voire unique : l’adoption par des Européens d’une coutume africaine récente, elle-même issue d’un concept introduit en Afrique au XVe siècle par l’arrivée des Portugais, celui du cercueil en bois », explique le photographe Thierry Secretan, auteur d’un documentaire et d’un livre sur cet art funéraire ghanéen. Si les démarches sont similaires, il existe néanmoins une différence de taille : la démarche ghanéenne est toujours post mortem. Pas question de choisir de son vivant dans quel cercueil on s’envolera. En revanche, de nombreux Britanniques bien en vie décident la forme de leur dernière maison. « Nous avons discuté avec certains d’entre eux, raconte Lionel François. Nous pensions avoir affaire à des excentriques. Pas du tout. » Contrairement à sa consœur britannique, l’Église catholique ghanéenne voit d’un très mauvais œil cet art funéraire, qu’elle qualifie d’« animiste ». À tort, puisque cette pratique funéraire n’est liée à aucune croyance particulière.

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Sorties de leur couvent

L’exposition accompagne ces « fabuleux cercueils » d’un discours ethnologique qui permet de mieux les comprendre en les resituant dans leur contexte culturel et social. « Les cercueils ghanéens avaient déjà été présentés lors de l’exposition “Magiciens de la terre” en 1989. Sans qu’aucune explication ethnologique soit apportée, rappelle Lionel François. En fait, ce sont des copies de modèles réalisés par Paa Joe, le menuisier le plus réputé d’Accra, pour des Ghanéens. Il a accepté de les reproduire à la demande de galeristes. Elles sont aujourd’hui la propriété d’une galerie belge qui en possède une vingtaine. D’une centaine d’euros, elles valent maintenant environ 10 000 euros pièce sur le marché de l’art. » Artisan réputé, Paa Joe est ainsi devenu artiste. Un artiste qui attire les foules dans l’est de la France. « Cette exposition connaît un vrai succès. Nous avons eu plus de 150 000 visiteurs, dont certains peu habitués de ces lieux, comme des sœurs sorties exceptionnellement de leur couvent, des employés des pompes funèbres, explique Lionel François. Nous avons donc décidé de la prolonger… jusqu’à la Toussaint. »

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