Les femmes au coeur de la cité
Les études internationales l’attestent : elles sont les plus libres, les plus diplômées et les plus actives de la région Maghreb - Moyen-Orient. Alors que le pays s’apprête à accueillir, en octobre, le 3e congrès de l’Organisation de la femme arabe, le combat des Tunisiennes est-il fini ?
Tunisie : où (en) sont les femmes ?
Loin de constituer un fonds de commerce idéologique ou un miroir aux alouettes, le processus d’émancipation des Tunisiennes est, sans conteste, le fruit d’une histoire spécifique, d’une pensée religieuse d’avant-garde et d’une volonté politique déterminée. La question féminine n’est pas née en Tunisie du jour au lendemain, ni du fait d’un seul homme. Il semble même que ce pays fût placé de tout temps sous le signe des femmes.
De Didon, fondatrice de Carthage, à Saïda el-Manoubia, sainte vénérée dans toute la Tunisie, ce sont des femmes qui ont brillé dans le ciel de cette contrée et à qui l’on doit des usages inédits en terre d’islam, tel que le « contrat kairouanais » qui, au VIIIe siècle déjà, permettait à une femme d’exiger la monogamie.
Fille du mouvement réformiste de la Nahdha (la « Renaissance », au XIXe siècle) et de celui initié, dans les années 1930, par le chantre du féminisme, Tahar Haddad, la Tunisie a su se servir des institutions théologiques comme la Zitouna, des lieux de savoir comme le collège Sadiki et des ruches syndicales, où proliférèrent les idées nationalistes et les valeurs modernistes.
C’est sans doute la raison pour laquelle ce pays deviendra le laboratoire de l’exégèse du Coran au chapitre des femmes.
De la charia au code
Pour preuve, le contenu du code du statut personnel (CSP) promulgué dès 1956 par Habib Bourguiba et dont la teneur moderniste n’a pas d’égal en terre d’islam.
Ce texte fondateur de la libération des Tunisiennes, que l’historien Yadh Ben Achour n’hésite pas à appeler « la véritable Constitution du pays », va opérer une transformation radicale du statut juridique des femmes en ajustant la charia aux aspirations de l’époque, voire en abrogeant certaines de ses recommandations.
Ainsi, alors que le Coran permet d’épouser jusqu’à quatre femmes, le CSP interdit purement et simplement la polygamie. Idem pour la répudiation.
Dans la foulée, le principe islamique de « prééminence » masculine (Coran, sourate IV, verset 34) laisse place au principe d’égalité. Pour exemple, la femme devient témoin à part entière, alors que le droit musulman stipule que le témoignage d’une femme vaut la moitié de celui d’un homme. Il en est de même pour le tutorat. Si l’islam désigne l’homme comme seul tuteur de la famille, la Tunisie désigne la femme comme un être majeur, pouvant assurer le tutorat au même titre qu’un homme et signer pour ses enfants en lieu et place du père.
Convaincu, comme son prédécesseur, que le progrès d’une nation se mesure à l’aune de l’émancipation de ses femmes, le président Ben Ali décide d’une série d’amendements qui, de 1992 à 2005, viennent consolider le CSP : création d’un fonds de garantie de la pension alimentaire et de la rente de divorce, non-discrimination entre l’homme et la femme devant l’emploi, aggravation des sanctions en cas de violence conjugale, répression du harcèlement sexuel et institution du régime de la communauté des biens entre les conjoints… Un mécanisme d’appui aux initiatives économiques favorise par ailleurs l’entreprenariat féminin, renforce le microcrédit et s’oriente, à partir de 2006, vers la promotion de la femme rurale.
Volonté politique
Cette volonté politique s’appuie sur des institutions et organismes dont la mission est de mettre en œuvre les décisions politiques et législatives et de relire et corriger le contenu du code du statut personnel dans le sens d’une discrimination positive. Parmi ces structures, le Conseil national de la femme et de la famille (CNFF), créé en 1993, ainsi que le Centre de recherches, d’études, de documentation et d’information sur la femme (Credif), créé en 1990 afin d’assurer l’évaluation permanente de la condition féminine. Quant à l’Office national de la famille et de la population (ONFP), il fournit une véritable mine d’initiatives et d’interventions – qui ont fait école dans tous les pays arabes et africains – à l’intention des femmes en âge de procréer.
Enfin, diverses associations, parmi lesquelles l’Union nationale de la femme tunisienne (UNFT), créée en 1956 (la plus ancienne structure féminine du Maghreb), l’Association des femmes tunisiennes pour la recherche et le développement (Afturd), créée en 1989, ou l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), assurent la même vigilance quant au maintien des acquis.
Aujourd’hui, l’arsenal juridique et associatif tunisien a presque permis d’achever la féminisation de tous les secteurs de travail et place la Tunisie en tête des pays arabo-musulmans pour ce qui est de la présence des femmes au cœur de la cité. Dans son rapport 2010, The Economist Intelligence Unit – département du groupe de presse britannique The Economist – a classé la Tunisie 44e sur 113 pays et 1er dans le Maghreb et le monde arabe en termes d’opportunités économiques pour les femmes. Avec un indice de 59,7 points, qui traduit les efforts consentis dans plusieurs domaines dont les pratiques du travail, l’accès aux finances, le statut légal et social…, la Tunisie se rapproche des nations européennes les mieux positionnées en la matière.
L’affaire de tous
S’il est vrai que la scène politique, tout autant que l’administration, ne laisse pas assez de postes de décision aux femmes, le président Ben Ali s’est engagé dans un discours prononcé à l’occasion de la fête de la Femme, le 13 août, à hisser à 35 % le taux de présence féminine dans les postes de décision, les commissions paritaires et les conseils d’entreprise au sein des établissements publics d’ici à 2014.
Reste que, si la législation et la sphère économique n’ont cessé d’évoluer dans le sens de l’émancipation des femmes, certaines et certains semblent céder devant la vague de religiosité qui se répand sur le monde arabe depuis une décennie et qui frappe à la porte de la Tunisie via une vague de hijabs sans précédent et un retour à des pratiques interdites, comme le mariage exclusivement religieux.
Moins mobilisées que leurs aînées, plus pragmatiques et plus soucieuses de leur carrière et de leur confort au quotidien, les jeunes Tunisiennes ne semblent pas toujours conscientes des privilèges acquis et de la nécessité de les protéger. Ce qui fait craindre aux militantes les plus pessimistes de s’enfoncer dans le piège d’un monde musulman où les femmes sont sommées de revenir au modèle islamique, tandis que les plus optimistes d’entre elles n’en démordent pas : « Jamais ! Demain, comme hier, la Tunisie restera le pays des femmes ! »
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