Dilma Rousseff, l’héritière de Lula
Contre vents et marées, Lula a choisi pour lui succéder une quasi-inconnue d’origine bulgare, peu charismatique de surcroît. Mais Dilma Roussef est une femme à poigne. Et Lula est en passe de gagner son pari : avec 46,7 % des voix au premier tour, sa dauphine est en bonne voie pour remporter le second tour du 31 octobre.
Elle a déjà un surnom, alors qu’elle n’est pas encore au sommet du pouvoir. Dilma Rousseff, la « dame de fer » du Brésil, sera, sauf catastrophe, la prochaine présidente du géant de l’Amérique du Sud, septième économie mondiale. Première femme à occuper cette fonction, elle n’a cependant pas réalisé l’exploit d’être élue au premier tour de l’élection présidentielle du 3 octobre et devra en disputer un second, le 31 octobre. Pourtant, selon un récent sondage, elle recueillerait 51 % des intentions de vote, contre 27 % à son principal adversaire, le conservateur José Serra (PSDB), ancien gouverneur de l’État de São Paulo.
Dilma Rousseff, 62 ans, revient de loin. Accusant onze points de retard dans les sondages lors de son investiture par le Parti des travailleurs, en février, inconnue du grand public – elle ne s’est jamais présentée à une élection – et souffrant d’un cruel manque de charisme, elle paraissait pâtir de handicaps difficilement surmontables. C’était compter sans l’appui de l’homme politique le plus populaire du monde, le président sortant, Luiz Inácio Lula da Silva.
Ministres houspillés
Ne pouvant briguer un troisième mandat et se refusant, en bon démocrate, à changer la Constitution, l’ancien syndicaliste s’est résolu, en 2008, à faire de Rousseff son héritière politique. Avec pour tâche de poursuivre une politique sociale qui a déjà permis de sortir quelque 20 millions de Brésiliens de la pauvreté. « Pugnace », « très bonne gestionnaire », Lula ne tarit pas d’éloges sur celle dont, en 2005, il fit le chef de sa Maison civile, l’équivalent brésilien de Premier ministre. « Non seulement elle poursuivra mon héritage, mais elle l’améliorera », estime-t-il. Présent dans tous les spots télévisés et lors de tous les meetings de Rousseff, Lula a réussi à transmettre à sa protégée une partie de son immense popularité – 75 % d’opinions favorables au terme de son deuxième mandat. Du jamais vu.
Mais qui est donc cette femme, divorcée et mère d’une fille, que les Brésiliens s’apprêtent à élire presque les yeux fermés ?
Peu amène, elle est connue pour houspiller publiquement ministres et dirigeants. Dure avec les autres comme avec elle-même – d’où son surnom –, elle est loin d’avoir la rondeur et le charisme de son mentor. Mauvaise oratrice de surcroît, elle ne captive pas les foules. Sa vie est pourtant un vrai roman.
Fille d’un immigré bulgare et d’une mère brésilienne, Dilma Rousseff a grandi dans un milieu privilégié à Belo Horizonte, dans le sud du pays. Tout le contraire de Lula, né pauvre dans la très déshéritée région du Nordeste. Dans les années 1960, marquée par ses lectures, elle s’engage dans l’une des nombreuses organisations d’extrême gauche qui prônent la lutte armée contre la dictature militaire (1964-1985).
Arrêtée en 1970, elle passe trois ans derrière les barreaux. À l’en croire, elle aurait été à de multiples reprises torturée à l’électricité. Si elle ne renie rien de son passé d’activiste, elle réfute l’accusation selon laquelle elle aurait, en 1969, participé au vol à main armée de 2,5 millions de dollars dans le coffre-fort du gouverneur de São Paulo. Cette jeunesse mouvementée – et cher payée – conférera à Rousseff une crédibilité idéologique au sein du très militant Parti des travailleurs. Lula ne se fait d’ailleurs pas faute de célébrer les anciens faits d’armes de sa protégée. « Jésus-Christ, aussi, a été torturé », a-t-il lancé dans un meeting à Garanhuns, en avril.
Sa spécialité : l’énergie
Sortie de prison, la pasionaria d’extrême gauche se mue en gestionnaire avisée. Diplômée en économie, elle devient secrétaire à l’Énergie de l’État du Rio Grande do Sul. En 2000, elle rejoint le Parti des travailleurs et, deux ans plus tard, intègre le comité chargé de l’élaboration de la politique énergétique du candidat Lula. Après l’élection de ce dernier, elle devient ministre de l’Énergie.
Dans un milieu très masculin, elle fait rapidement ses preuves et supervise la recapitalisation, toujours en cours, du géant pétrolier Petrobras. Autoritaire, elle réussit à faire du groupe d’État l’unique exploitant des gigantesques gisements offshore découverts sous la couche saline dans l’océan Atlantique – au détriment, donc, des investisseurs privés. Ce qui, à brève échéance, devrait permettre au Brésil de devenir l’un des grands pays exportateurs de pétrole.
Mais cette femme de dossiers va bientôt avoir l’occasion d’apparaître sur le devant de la scène. En 2005, un scandale politique éclabousse plusieurs dirigeants du Parti des travailleurs. José Dirceu, le chef de la Maison civile, est contraint de démissionner. Pour le remplacer, Lula nomme Dilma Rousseff et, habilement, présente cette décision comme une première victoire contre le machisme de la classe politique brésilienne.
Première ministre officieuse, Rousseff soigne sa réputation d’excellente gestionnaire et se familiarise avec les programmes présidentiels de réduction des inégalités, dont le plus populaire, Bolsa Família, permet d’allouer environ 100 dollars par mois à 12 millions de familles parmi les plus pauvres. À condition que celles-ci s’engagent à envoyer leurs enfants à l’école. Elle a également la haute main sur le Programme d’accélération de la croissance (PAC), qui finance de gigantesques investissements dans les infrastructures. Ce qui, à quelques mois de la présidentielle, lui a permis d’entamer en compagnie de Lula une opportune et très médiatisée tournée d’inaugurations de grands travaux.
Chimiothérapie et chirurgie esthétique
Parallèlement, la candidate a entrepris une sérieuse opération de relookage : changement de coiffure, chirurgie esthétique, choix de tailleurs aux tons vifs, lentilles de contact. Elle s’est déridée, a fendu l’armure. Désormais, elle apparaît tout sourire aux côtés de Lula.
En avril 2009, elle annonce qu’elle est atteinte d’un cancer du système lymphatique et qu’elle subit une chimiothérapie. Un choc dans un pays encore marqué par la mort de Tancredo Neves, un homme politique très populaire qui, élu à la présidence en 1985, mourut avant même son intronisation. Les spéculations vont bon train, mais Rousseff tient bon. Coiffée d’une perruque pour dissimuler la perte de ses cheveux, elle multiplie les apparitions à la télévision et jure que son cancer n’est pas plus handicapant qu’une grippe. Elle est aujourd’hui considérée comme complètement guérie. Sa maladie lui a au moins permis d’adoucir et d’humaniser son image.
À présent, rien ne semble plus pouvoir arrêter Dilma Rousseff. Pourtant, le climat de la campagne s’est considérablement alourdi dans la dernière ligne droite. Le 16 septembre, des allégations de corruption ont entraîné la démission d’Erenice Guerra, une ancienne collaboratrice qui lui a succédé à la tête de la Maison civile. Mais elle tient le cap. Le très bon bilan du président Lula l’y aide : malgré la crise, l’économie est en effet en pleine croissance (8 % en 2009), les inégalités ont été sensiblement réduites, et la proportion des Brésiliens vivant sous le seuil de pauvreté est passée de 29 % en 2003 à 16 % en 2008.
Quelle présidente fera Dilma Rousseff ? Pragmatique, rigoureuse, il est probable qu’elle poursuivra la politique sociale conduite par Lula. Elle a d’ailleurs promis d’augmenter le nombre de familles bénéficiant du Bolsa Família. Mais, plus dirigiste que son prédécesseur, elle incline à promouvoir des champions industriels brésiliens. Sera-t-elle en mesure d’éviter les pièges du populisme économique ? Rousseff, qui ne considère pas la baisse des taux d’intérêt brésiliens, actuellement très hauts, comme une priorité économique, pourrait en outre effrayer les marchés. L’opposition la soupçonne quant à elle de vouloir faire main basse sur la future manne pétrolière pour alimenter les caisses du Parti des travailleurs, ce qui, pour l’instant, relève du procès d’intention. Car, pour la dame de fer de la gauche brésilienne, l’heure des bilans est encore bien loin d’avoir sonné.
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