Le boulanger de l’Élysée
Le boulanger d’origine sénégalaise Djibril Bodian fabrique la « meilleure baguette artisanale de Paris ». À ce titre, il est pour un an le fournisseur officiel du Palais de l’Élysée.
« Les lames doivent être régulières. La croûte caramélisée doit attirer l’œil, être croustillante et odorante, cacher une mie couleur crème… » Djibril Bodian est intarissable sur les secrets de fabrication de sa désormais célèbre baguette de pain. Depuis qu’il a reçu, le 22 mars dernier, le Grand Prix de la meilleure baguette artisanale de Paris, les clients se pressent plus encore qu’à l’accoutumée dans sa boulangerie, Le Grenier à pain, à deux pas de la butte Montmartre, dans le 18e arrondissement parisien. D’ailleurs, une coupure de presse accompagnée de la photo du jeune lauréat de 33 ans est fièrement exposée dans la vitrine de sa boutique de la rue des Abbesses. « C’est avant tout une reconnaissance de la part du métier, mais ce sont les clients qui sont ravis », s’amuse Djibril Bodian, époussetant la farine sur son tablier. Il reçoit à l’heure du déjeuner, dans son antre, à savoir ses cuisines, au milieu des fours qui tournent à plein régime.
C’est ici, il faut le dire, que se préparent les baguettes de pain servies sur les tables de l’Élysée, puisque la boulangerie est jusqu’à l’année prochaine le fournisseur officiel de la présidence française. « Je suis très fier pour lui et pour l’entreprise. Et je suis heureux de l’avoir embauché, commente Michel Galloyer, président et fondateur du groupe Grenier à pain, qui compte une vingtaine de boutiques. Ce garçon est un subtil mélange d’ambition et de modestie. La récompense n’a rien changé. Il a la chance d’avoir été très bien élevé ! » C’est d’ailleurs grâce à une réelle discipline que ce Sénégalais d’origine (Dakar) est parvenu à toucher du doigt l’excellence de la tradition française. « Je suis un artisan. J’ai beaucoup appris. Je suis méthodique et très autocritique. Tout est question de respect, à la fois des personnes et du travail. » Il n’a gardé du Sénégal que quelques souvenirs, dont celui de « vastes étendues », et il confie que beaucoup lui ont été racontés. « Tôt ou tard, j’y retournerai. Je suis 100 % français et 100 % sénégalais, ce sont deux parties de moi que l’on ne peut pas dissocier. »
Arrivé en France à l’âge de 6 ans (« Mon père est parti pour s’installer et réussir »), Djibril Bodian a grandi à Pantin (Seine-Saint-Denis) et reconnaît avoir reçu une éducation très stricte. « Mes parents m’ont serré la vis. Petit, c’était 20 heures tapantes à la maison, pas question de traîner dehors ! » se remémore-t-il avec un franc sourire, installé dans un bar du quartier. Si son père est boulanger et son frère aîné pâtissier, ce sont la mécanique et les voitures qui l’attiraient. Mais, avant son entrée au lycée de Pantin, il doit faire un choix concernant son orientation. Il règle ses pas sur ceux de son père et opte pour la boulangerie. En septembre 1996, il rejoint le centre de formation et d’apprentissage de Pantin, où il consacre deux années à la pâtisserie et une à la boulangerie. Fraîchement diplômé, il est nommé dans la foulée meilleur apprenti de Paris. « J’ai eu une adolescence paisible, j’étais calme et réservé. Mes amis habitaient le même immeuble que moi, je ne me suis jamais retrouvé dans de mauvais coups. Mon énergie, je l’ai dépensée au travail. » Et ça fonctionne, puisqu’en 2005 il est embauché par Michel Galloyer pour rejoindre l’équipe du Grenier à pain. Confronté à une nouvelle méthode de travail, artisanale cette fois, Djibril Bodian revoit sa copie et ne compte plus ses heures.
Sur le thème de l’intégration, l’homme n’est pas très bavard. Cela lui donne l’impression de « ne pas [se] sentir intégré ». Il insiste néanmoins sur le fait qu’il n’a jamais rencontré de problème pour se faire une place dans la société française. « OK, je viens du 93 et je suis noir. Mais les seules difficultés que j’ai rencontrées c’est pour entrer en discothèque dans le sud de la France. » Ses origines sénégalaises ayant été fortement mises en avant par la presse lors de l’annonce de sa distinction, en mars, il reconnaît « avoir eu un peu de mal avec ça au début ». Jamais auparavant ce prix n’avait fait l’objet d’une telle couverture médiatique. Son père a d’ailleurs été sceptique, avant de le féliciter d’une tape sur l’épaule. « Même s’il ne le dit pas directement, la fierté se lit dans ses yeux. » Pour autant, Djibril Bodian ne veut pas être un énième exemple du mec de banlieue qui a réussi. « Les jeunes des cités vivent dans des endroits délabrés, sans perspective d’avenir. Ils doivent batailler pour s’en sortir. Leurs parents doivent les éduquer dans ce sens. » Et d’ajouter : « Il y a des Africains bons dans tous les domaines. Avoir les projecteurs sur soi ne signifie pas que l’on est le meilleur. » Il déplore d’ailleurs le comportement des joueurs de l’équipe de France lors du Mondial de football, en Afrique du Sud. « Ils auraient dû défendre le maillot. Ce qui est regrettable, c’est que l’on a jugé les joueurs et non l’équipe. Leurs origines ont été mises en avant, et ça a joué en leur défaveur. Cela a contribué à stigmatiser les jeunes issus de la diaspora. » Il regrette également que les Noirs aient été critiqués pour ne pas avoir chanté La Marseillaise. « On ne devrait pas les y forcer ; s’ils ne le font pas, cela ne signifie pas pour autant qu’ils ne se sentent pas français. Par exemple, les joueurs de l’équipe d’Algérie ne chantent pas tous, et on n’en parle pas autant. »
Si Djibril Bodian en est là aujourd’hui, c’est, martèle-t-il, à force de travail et d’acharnement. Alors pour prendre le large et oublier ses horaires infernaux, il se plonge dans les livres. Le roman policier In Tenebris, de Maxime Chattam, repose sur sa table de chevet. Mais ce qui le transporte vraiment, ce sont les voyages. Il rêve de Bali, du Vietnam, du Mexique aussi. « Partir à la découverte de l’inconnu, faire des excursions. » Il s’est bien assagi depuis ses vacances festives en Espagne, en 2004. C’était la première fois qu’il quittait la France. « J’ai découvert un autre rapport à l’intégration, une autre vision de la vie. Je n’avais aucun problème pour entrer en discothèque ! »
Aujourd’hui, il rêve aussi de la maison familiale, à Dakar, où vit une partie de sa famille. Quant au cinquantenaire des indépendances africaines, il préfère ne pas s’emballer. « L’Afrique sera indépendante quand elle gérera ses ressources. Elle a tout à faire et recèle un potentiel énorme. Le continent est certes de plus en plus convoité, mais il ne faut pas le brader. » Mais avant de faire ses valises, il prépare une nouvelle aventure. Dans quelques mois, il prendra la gérance de la boulangerie ; il espère même la racheter, plus tard, et se mettre à son compte. « Mon but, c’est d’avoir les mains libres. Les horaires seront encore plus contraignants, mais pour le moment pas question de déléguer. J’aime le travail bien fait. » Au-delà, son plus grand rêve reste une chose très simple : « Fonder une famille. »
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