Sarkozy : six bonnes raisons de déchanter ou d’espérer
Englué dans les « affaires », lynché par les médias et au plus bas dans les sondages, le chef de l’État voit s’éloigner la perspective de sa réélection en 2012, mais conserve des atouts importants. Trois raisons plaident en sa faveur. Et trois autres en sens inverse.
Sale été pour le président de la République : tout marche de travers. L’affaire Bettencourt n’en finit pas d’étaler les relations adultérines de la première fortune de France avec le pouvoir. L’affaire Woerth et son cortège de conflits d’intérêts affaiblissent jour après jour le ministre chargé de la réforme des retraites, laquelle mobilise dans la rue des centaines de milliers d’opposants.
La charge sécuritaire de Nicolas Sarkozy, avec l’appui de son ministre de l’Intérieur, contre les Roms lui a valu une prise de distance de deux anciens Premiers ministres, Alain Juppé et Jean-Pierre Raffarin, les remontrances du pape et l’opprobre de l’Union européenne et de l’ONU. Une volée de bois vert de la presse anglo-saxonne. En ville et dans la presse écrite, la mode est au « Sarko-bashing », entreprise de démolition dont l’exemple le plus spectaculaire a été la une que lui a consacrée l’hebdomadaire Marianne (« Le voyou de la République »). L’adulation des premiers mois a viré à l’exécration.
Inévitablement, les sondages enregistrent cette dégringolade de la popularité du président. Selon les instituts (Ifop ou Sofres), il est crédité de 32 % à 34 % d’opinions favorables, quand François Fillon, son Premier ministre, compte 49 % de satisfaits. Entre deux coups de colère contre les journalistes ou contre ses propres troupes, trop molles à son goût, il ne dévie pas d’un pouce de sa stratégie. Tout ce hourvari n’est pour lui qu’« écume médiatique », qui n’impressionne que « les milliardaires de gauche » et « les intellos de Saint-Germain-des-Prés ». À preuve, les manifestations contre la retraite à 62 ans ne semblent pas devoir atteindre le paroxysme de 1995. Sarkozy veut voir dans cette modération une acceptation de sa politique de réformes.
Son mot d’ordre a donc le mérite de la simplicité : « tenir ». Tenir sur les retraites, tenir avec Éric Woerth, tenir sur les expulsions de Roms, tenir contre Bruxelles et contre les manifestations. « Si on lâche quoi que ce soit, les Français nous le reprocheront », dit-il à ceux qui lui rendent visite.
Juste avant ou juste après le sommet du G20 à Séoul, les 11 et 12 novembre, Sarkozy veut former un nouveau gouvernement. Il hésite à maintenir à Matignon le trop populaire François Fillon, mais aussi à y nommer les trop chiraquiens Bruno Le Maire ou François Baroin, voire l’incontrôlable Jean-Louis Borloo. Une femme ne lui déplairait pas, mais Christine Lagarde est un peu diaphane et ne tient pas sa langue. Quant à Michèle Alliot-Marie, elle n’épaule pas suffisamment le ministre de l’Intérieur. Osera-t-il confier le gouvernement de combat dont il rêve à son fidèle Claude Guéant, le secrétaire général de l’Élysée ?
Ensuite, il lui faut tenir la « ligne » qu’il a arrêtée, c’est-à-dire mettre en œuvre la politique de sécurité à outrance définie le 30 juillet, à Grenoble, et soutenir la croissance jusqu’à ce que le chômage commence à reculer, à l’approche de l’élection présidentielle de 2012. Avec cette équipe et cette martingale, il ne doute pas de remonter le courant électoral, comme le firent avant lui François Mitterrand, acculé dans les cordes en 1985 et réélu en 1988, et Jacques Chirac, donné battu en 2000 et réélu en 2002.
Alors, Nicolas Sarkozy peut-il vraiment se refaire une santé au point d’être reconduit dans ses fonctions, dans dix-neuf mois ?
OUI, parce que son choix du tout-sécuritaire peut marcher
C’est grâce à lui qu’il a été élu en 2007. Certains estiment même que ce thème fait partie de son « ADN politique » depuis l’époque (1993) où, maire de Neuilly-sur-Seine, il participa au règlement d’une prise d’otages dans une école maternelle. Il entend surfer sur l’exaspération de la majorité des citoyens à l’égard de la montée des incivilités et de la délinquance, qui pourrissent la vie des moins favorisés, ceux qui ne peuvent déménager loin des cités où sévissent les bandes.
En mettant dans le même sac les gens du voyage et les Roms, les délinquants et les personnes issues de l’immigration, il sait qu’il joue sur du velours, même si, ce faisant, il s’expose au reproche d’établir une responsabilité collective, de sinistre mémoire. Mais peu lui chaut : sa base, et même la France, le suit et applaudit les expulsions de Roms, si l’on en croit les sondages. Et tant pis si certains de ses ministres, de ses députés ou de ses électeurs ont des états d’âme.
Le but de la manœuvre est évident. Il s’agit de marcher sur les brisées du Front national et de conserver en 2012 les voix qu’il lui avait prises en 2007. En prouvant qu’il est le meilleur rempart contre la délinquance.
OUI, parce que la croissance peut revenir à temps
La reprise de l’économie sera, en 2010, deux fois moindre en France qu’en Allemagne. Cette dernière en est désormais à l’heure des augmentations salariales, après une décennie d’austérité, quand sa voisine essaie de ne pas perdre auprès des agences de notation sa note AAA, qui conditionne l’accès aux emprunts les moins chers.
Il n’empêche que Sarkozy parie en 2011 sur une croissance plus rapide que le 1,5 % attendu cette année. Ce qui devrait permettre, à l’orée de l’année électorale, de ramener le taux de chômage largement en dessous de la barre des 10 %.
Le pari est jouable, car les prévisionnistes du FMI et de l’OCDE tablent sur une accélération économique en 2012, quoique guère au-dessus des 2 % de croissance annuelle auxquels la France est habituée.
C’est pourquoi le président ne veut pas entendre parler de rigueur. Il n’a pas oublié qu’en 1986 les socialistes avaient été battus pour avoir, trois ans auparavant, contraint les Français à se serrer la ceinture. Ni qu’Alain Juppé avait payé en 1997 les tours de vis de 1995.
Le grand emprunt, qui soutiendra l’an prochain les grands travaux, donc l’emploi, plus le coup de rabot (10 milliards d’euros) sur les niches fiscales voté prochainement par le Parlement suffiront, selon lui, à éviter toute rechute, comme toute débâcle financière.
OUI, parce qu’il est le meilleur candidat
Selon nombre d’analystes, l’actuel président est le pire de toute l’histoire de la Ve République. Mais il est aussi… le meilleur candidat à avoir brigué l’Élysée depuis 1958.
Son absence d’inhibition lui fait adopter les positions les plus contradictoires avec un aplomb qui emporte souvent l’adhésion. Il est pro-israélien à 100 %, mais accueille en grande pompe le « Guide » libyen, Mouammar Kadhafi. Il dénonce les excès de la finance, mais place ses hommes à la tête d’EDF ou de France Télécom. Quand cela convient à sa communication, il invoque Léon Blum et tente de faire transférer au Panthéon la dépouille d’Albert Camus, tout en vitupérant les intellectuels de gauche déconnectés de la réalité.
Flairant le vent avant tout le monde, il adoptera des postures en apparence inconciliables mais qui démontreront qu’il est simultanément l’homme des réformes et de la répression, de la croissance et de la frugalité. Candidat attrape-tout, il devrait mordre sur les électorats de ses adversaires.
Dans Le Point du 26 août, Jean-François Kahn, pourtant peu suspect de sympathies sarkozystes, estimait que son jeu de jambes risque d’être déterminant en 2012 : « À la boxe, un spécialiste des sports de combat a des chances de l’emporter sur une cheftaine évangéliste. »
(cliquer pour agrandir les cotes de confiance des trois derniers présidents français)
NON, parce que le pari de la droitisation est périlleux
Dans une interview à Marianne, en août, Alain Minc, son conseiller officieux, voyait dans la tactique sécuritaire de Sarkozy un « pari faustien » : « Si cela fait baisser le Front national, ce n’est pas cher payé. Si cela le fait monter, c’est embêtant. » Pour l’heure, la tactique ne marche pas, et c’est chez les électeurs du FN que la cote de Sarkozy baisse le plus (– 10 points). Avec un Dominique de Villepin et un François Bayrou qui attireront l’électorat gaulliste et centriste effrayé par son dérapage à droite, le président sortant pourrait vivre en 2012 le même cauchemar que Lionel Jospin le 21 avril 2002 : arrivé en troisième position au premier tour, derrière Chirac et Le Pen, en raison de l’éparpillement des voix de gauche, l’ancien Premier ministre socialiste ne s’était pas qualifié pour le second.
NON, parce que les classes moyennes se dérobent
Ils y avaient cru, les électeurs des classes moyennes, à ses formules chocs : « travailler plus pour gagner plus », ou encore « bâtir un pouvoir irréprochable ». La crise et les « affaires » ont discrédité ce discours.
Le chèque de 30 millions d’euros que le fisc a adressé à Liliane Bettencourt comme solde d’un trop-perçu d’impôt, grâce au « bouclier fiscal » créé aussitôt après son élection, a davantage contribué à faire apparaître Nicolas Sarkozy comme « le président des riches » que toutes les philippiques de la gauche de la gauche. Sans oublier la tentative de nomination de son fils Jean à la tête du quartier d’affaires de la Défense… Sous sa présidence, il se confirme qu’il existe des Français « plus égaux que les autres ». Et que le mérite ne compte pas plus qu’avant.
NON, parce que beaucoup de Français sont las de l’« hystérisation » de la vie politique
À l’instar d’un Silvio Berlusconi, Sarkozy a manié la provocation avec une telle constance qu’il a fini par susciter un climat de guerre civile qui commence à lasser jusque dans son propre camp. Cette « hystérisation » du débat public explique les manifestations de haine à son égard. En se comportant comme dans une cour d’école (« casse-toi, pauv’ con ! »), le président s’est « déprésidentialisé » et risque de se voir refuser la prime au sortant.
Pour lui, l’année 2011 sera bienvenue. Il connaîtra enfin le nom de son challenger socialiste – a priori Martine Aubry ou Dominique Strauss-Kahn – et pourra ajuster le tir contre lui. Mais il va lui falloir encaisser une nouvelle défaite : pour la première fois, le Sénat a de bonnes chances de passer à gauche après les cantonales.
Bref, Nicolas Sarkozy n’a pas encore perdu, mais il va lui falloir se méfier de son pire ennemi : lui-même.
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