Soyinka l’insoumis
Les années n’ont pas tempéré la férocité du tout premier Prix Nobel africain de littérature. Pas plus que la prison ou l’exil. Sa cible favorite : les hommes politiques. Une ténacité et une droiture qui ont fait de lui la conscience morale du Nigeria.
Nigeria, un colosse aux pieds d’argile
Si Wole Soyinka était un animal, il serait un fauve. Il griffe avec les mots. Son art est ancien et l’une de ses premières victimes fut le poète et ex-président sénégalais Léopold Sédar Senghor. « Le tigre ne proclame pas sa tigritude, mais il bondit sur sa proie et la dévore », a un jour lancé l’écrivain nigérian dans une allusion à la négritude et à son chantre, Senghor, qu’il jugeait trop passéiste. Puis les deux monstres sacrés de la littérature africaine se sont réconciliés – Senghor a préfacé le long poème de son camarade, Idanre, en 1967 –, et Soyinka a réservé ses attaques à d’autres de ses bêtes noires : les politiciens mafieux qui saignent le Nigeria depuis son indépendance.
Après la sécession du Biafra, il dénonce une guerre « désastreuse, infamante », et écope de deux années de prison, d’où il sort en 1969. Son séjour entre quatre murs n’étouffera pas le tigre. Trucage des élections, kleptocratie, assassinats… En exil – notamment de 1994 à 1998, pendant la dictature de Sani Abacha – ou chez lui, à Ife, dans son pays yorouba natal, il continue d’épingler haut et fort les mœurs politiques nigérianes.
Aujourd’hui, son abondante tignasse a pâli. Mais, à 76 ans, Akinwande Oluwole Soyinka a gagné en férocité. Lui qui, en novembre 2007, avait dit dans une interview à Jeune Afrique qu’il avait « décidé de ne jamais briguer de mandat » a annoncé, fin septembre, la création de son parti en vue des élections générales en 2011, déclarant qu’il souhaitait combattre la corruption et donner l’espoir aux jeunes électeurs. Il en est le président mais ne compte pas se présenter à la présidentielle. Il espère cependant que le Democratic Front for a People’s Federation détrônera le People’s Democratic Party, au pouvoir depuis 1999, lors la présidentielle de janvier 2011.
Wole Soyinka chef d’État. L’image aurait du panache. Elle consacrerait la littérature, que l’auteur de La Danse de la forêt (pièce de théâtre commandée par les autorités nigérianes pour célébrer l’indépendance, en 1960, et qui s’en mordirent les doigts car le ton, déjà, était iconoclaste) a toujours conçue comme un engagement, tout en se revendiquant comme un homme de lettres « pur ». Quand il est le premier Africain à recevoir le prix Nobel de littérature, en 1986, il déclare en effet : « J’espère que ce prix Nobel ne m’a pas été décerné à cause de mes prises de position contre le régime nigérian ou contre d’autres régimes africains comme celui d’Amin Dada. »
L’élection de l’homme aux petites lunettes cerclées de métal, fils d’un directeur d’école et d’une commerçante, redorerait le blason du Nigeria. Le pays a longtemps été considéré comme un paria par le reste du monde – surtout après l’exécution par la junte de Sani Abacha du dramaturge et militant écologiste Ken Saro-Wiwa, en 1995. Un temps exilé, en Angleterre notamment, où il fit ses études supérieures, puis aux États-Unis, où il enseigne encore à l’Institut Black Mountain (université du Nevada), Wole Soyinka jouit d’une renommée internationale. Ses pièces sont jouées à New York, ses livres traduits, et sa parole est recherchée comme celle de la conscience morale du Nigeria. Étiquette que le fauve conservera, élu ou non.
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