France 24, le malaise en continu
Malgré des débuts encourageants – surtout en Afrique –, la chaîne tout info française vit une période de troubles. Alors que les chefs s’affrontent, les journalistes ne savent pas de quoi demain sera fait.
Ce ne devait pas être la voix de la France, mais « un regard français » sur le monde. Une chaîne qui, à ses débuts, il y a quatre ans, s’était donné pour mission de défendre « le sens du débat, de la confrontation et de la contradiction », mais aussi « la tradition de la culture et de l’art de vivre à la française ».
Niveau « art de vivre », on a connu mieux : au sein de la rédaction, certains ne se parlent plus – ou juste pour la forme. La « guerre des chefs » qui oppose Christine Ockrent, la directrice générale déléguée (en somme, la numéro deux de la boîte), à Alain de Pouzilhac, le PDG (le numéro un), a des répercussions à tous les étages. Latente depuis le retour aux affaires, en juillet, de Pouzilhac (qui s’était consacré ces deux dernières années à la réforme de RFI), la crise a éclaté à la rentrée. Vincent Giret, directeur de la rédaction (numéro trois) et proche d’Ockrent, est mis à pied par Pouzilhac. La décision fait suite à une rumeur : Ockrent aurait souhaité licencier Albert Ripamonti, directeur adjoint de la rédaction (numéro quatre) et… proche d’Alain de Pouzilhac. Ripamonti a depuis fuit le navire pour rejoindre i>Télé. Si les véritables raisons de son départ ne sont pas claires, une chose est sûre : l’ambiance est délétère..
Dans l’œil du cyclone
Dans l’entourage de Pouzilhac, on assure que les deux affaires ne sont pas liées. Giret est dans l’œil du cyclone pour d’autres raisons. Depuis quelque temps, des fuites savamment orchestrées – trop selon certains journalistes, qui y voient une intox – évoquent un déficit proche du million d’euros. Le Figaro parle même d’un trou de 5 à 10 millions. Mais aucun document officiel ne l’atteste. « La direction nous a promis de nous transmettre un audit sur les finances. On attend toujours », indique Sabine Mellet, du SNJ-CGT (le syndicat majoritaire). Jeune Afrique aussi, la direction de France 24 n’ayant pas souhaité s’exprimer.
D’autres bruits suggèrent une baisse d’audience sur les deux derniers semestres. La « V2 » (version 2) mise en place par Ockrent et Giret, censée dynamiser la soirée avec des talk-shows, des magazines et des news, serait un échec, avance l’entourage de Pouzilhac. Mais là encore, aucune étude (connue) ne l’atteste. Une source bien informée en la matière assure que France 24 n’a pas connu de baisse d’audience en Afrique. Et ailleurs ? « Nous, on nous donne des chiffres en hausse », insiste Sabine Mellet. Au SNJ-CGT, on s’énerve de voir les quatre autres syndicats relayer les fuites de la direction. Chez ces derniers, on reproche à demi-mot à la CGT de vouloir la peau de Pouzilhac. Ainsi, même les syndicats s’écharpent, sous l’œil hagard des « petites mains » de la rédaction. « Il y a des luttes de clans entre les pro-Pouzilhac et les pro-Ockrent. C’est un vaste foutoir, on a du mal à comprendre ce qu’il se passe », témoigne un « journaliste maison » qui a requis l’anonymat.
France 24 n’en est pas à sa première polémique. Lors de son lancement, en décembre 2006, des parlementaires défendaient une chaîne entièrement publique. Le gouvernement a opté pour un improbable attelage entre la chaîne privée TF1 et le holding public France Télévisions. Deux ans plus tard, TF1 sortait de France 24, non sans avoir tenté de lui soutirer 45 millions d’euros… Les nominations successives de Pouzilhac et d’Ockrent, compagne du ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, n’ont pas arrangé les choses. Pas plus que la divulgation de leur confortable salaire et de méthodes managériales jugées limites par les syndicats. « C’est difficile à accepter quand on voit dans quelles conditions on travaille », reconnaît un journaliste. La rédaction de France 24 fonctionne à flux tendu. Les journalistes se marchent dessus, condamnés selon les syndicats à cumuler les heures supplémentaires, à enchaîner les sujets, le tout à un rythme effréné… « Le pire, c’est qu’on ne sait pas où on va, regrette Sabine Mellet. Comment voulez-vous que l’on arrive à concurrencer CNN ou la BBC ? » CNN, c’est un budget de 650 millions d’euros, 4 000 salariés et 20 bureaux à l’étranger. France 24, c’est 98 millions et 372 salariés, dont une centaine de journalistes…
Malgré ces difficultés, les salariés – anciens et actuels – veulent y croire et enragent de voir l’image de la chaîne, plutôt bonne, ainsi « plombée ». En termes d’audimat, France 24 a fait son trou. En moins de quatre ans, elle a atteint « son cœur de cible », avec une audience hebdomadaire de 6,5 millions de téléspectateurs dits « leaders d’opinion ». En Afrique francophone, elle est rapidement devenue incontournable. Mais le tableau est différent dans les pays anglophones, en Europe et sur les autres continents, où France 24 ne fait pas le poids face à Euronews ou CNN.
Incontournable
La France réussira-t-elle à imposer son « regard » sur le monde ? « Il faudrait, pour y arriver, que l’on règle le problème à la direction, estime un ancien directeur. Si ça avait été géré différemment, on n’en serait pas là. Cette chaîne a les moyens de son développement. Elle possède les compétences, elle propose quelque chose de nouveau : il n’y a aucune raison que ça ne marche pas. » La place accordée à l’Afrique – unique pour une chaîne tout info – explique notamment son succès sur le continent. En outre, « la France a besoin de cet outil, surtout au moment où elle va prendre la tête du G20. Une telle chaîne d’information est incontournable si on veut faire entendre sa voix aujourd’hui ». La Chine l’a bien compris : Pékin a lancé, début juillet, sa première chaîne d’information en continu et en anglais – CNC World. Un nouveau concurrent de taille.
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