La survie économique au programme des radios
Manque d’investisseurs privés, marché publicitaire restreint… Les 126 stations du pays – un record africain – sont au bord de l’asphyxie. comment sauver les antennes ?
Cent vingt-six stations de radio, 21 chaînes de télévision. C’est ce qu’ont à leur disposition les 15 millions de Burkinabè. En comparaison, la République démocratique du Congo, avec ses 66 millions d’habitants, compte à peine une centaine de radios libres légales. D’abord timide, la floraison des médias privés au Burkina s’est emballée depuis 2003, avec le passage à un rythme de 20 attributions de fréquence tous les ans, contre cinq précédemment. C’est rapide. Très rapide. « Il n’y a pas de place pour tous sur le marché », tranche, réaliste, Moustapha Thiombiano, PDG d’Horizon FM, la première radio privée commerciale créée dans le pays. En effet, l’environnement économique n’a pas subi la même transformation, les sources de financement n’ayant pas été multipliées à l’envi. Les entreprises qui s’en sortent le mieux sont celles qui arrivent à déployer une véritable stratégie de groupe. C’est le cas des trois premières radios en termes d’audience dans les deux principales villes, Ouagadougou et Bobo-Dioulasso.
Adossée aux trois autres entités qui composent le groupe Edifice (l’agence conseil McCann Erickson, la régie d’affichage Edimedia et l’imprimerie numérique Pixel), Ouaga FM annonce un chiffre d’affaires annuel d’environ 100 millions de F CFA (152 500 euros) tiré des recettes publicitaires et de la location de tranches d’antenne. « Les chiffres d’affaires de l’audiovisuel commercial sont loin d’être mirobolants, admet Joachim Baky, PDG d’Edifice. Heureusement, nos filiales drainent à la radio un nombre appréciable d’annonceurs. »
Ses deux poursuivantes, Savane FM et Horizon FM, affichent le même niveau de revenus et appliquent la même recette. Horizon FM s’appuie sur les activités de son pendant télévisuel dans le groupe, TVZ Africa. Et, de son côté, Savane FM peut compter sur les ressources financières d’un groupe de production de films, Savane Production, qui lui reverse à peu près 30 % de son chiffre d’affaires pour la financer. Avec un budget de fonctionnement annuel évalué à quelque 80 millions de F CFA, elle affiche même, selon son dirigeant, une marge bénéficiaire de 1 à 2 millions de F CFA. Ce qui est plutôt louable compte tenu du marché.
Un bonus avec l’étranger
La plupart des radios commerciales du haut du tableau réussissent d’autant mieux qu’elles intéressent les chaînes occidentales. Ces dernières, en échange de la visibilité qu’elles s’assurent dans les endroits les plus reculés du pays en se faisant héberger sur les fréquences des radios locales, versent chacune quelque 5 millions de F CFA, et offrent des programmes « prêts à diffuser ». Dans le cadre de son partenariat avec la Deutsche Welle, La Voix de l’Amérique, RFI et la Radio suisse romande, Horizon FM perçoit 32 000 euros annuels (21 millions de F CFA), soit près du quart de son chiffre d’affaires.
Diffusée dans un rayon de 100 km autour de Ouagadougou, Radio Salankoloto n’affiche pas les mêmes prétentions, et ses difficultés reflètent celles de toutes les radios communautaires. Son statut ne la soumet à aucune obligation de rentabilité, mais son budget de fonctionnement, évalué entre 12 et 15 millions de F CFA annuels, la contraint à des prouesses pour garder la tête hors de l’eau. Car, comme la majorité des petites stations, elle reste tributaire de sources de financement certes multiples, mais surtout aléatoires : aide internationale, cotisations ou dons des adhérents, subvention gouvernementale.
Or, annuellement, l’État ne prévoit qu’une enveloppe globale de 250 millions de F CFA pour tous les organes privés, presse écrite comprise. « Avec l’inflation des créations de radios et de télévisions, la manne se réduit comme peau de chagrin, regrette Roger Nikiema, directeur de Radio Salankoloto. Notre part varie de 0 à 4 millions de F CFA, car il faut être à jour de toutes ses cotisations sociales pour en bénéficier. » Comme les autres, sa radio lorgne alors le marché, fort étriqué, de la publicité locale. Au désespoir des stationss commerciales. Car, suivant leur cahier des charges, les radios communautaires ne peuvent prétendre qu’à un nombre limité d’écrans publicitaires.
Or, en l’absence de dispositifs de contrôle, des abus ont parfois été relevés. De plus, dans un marché de la publicité évalué à quelque 15 milliards de F CFA (selon les données de la Chambre de commerce et d’industrie), elles font du dumping, prêtes à toutes les concessions pour décrocher le moindre contrat. Par exemple, elles bradent 30 secondes de publicité à 3 000 ou 4 000 F CFA, quand le tarif normal est de 10 500 F CFA à la radio et 50 000 F CFA à la télévision. Des miettes, donc. Souvent proposées par les mêmes annonceurs, opérateurs de téléphonie mobile (Telmob, Telecel Faso, Celtel Burkina…) en tête, suivis des vendeurs de motocycles (Yamaha, Sanili, Omaha, Jianshe…) et des entreprises agroalimentaires (Nestlé-Gloria, Unilever, Maya…).
Communiquer avec les morts !
« Nous sommes allés jusqu’à créer l’opération “Menu du jour”, par laquelle des restaurateurs viennent vanter leurs produits, moyennant 10 000 F CFA, indique Moustapha Thiombiano. Pour le même tarif, nous proposons à nos clients un temps d’antenne pour faire passer un message à un défunt. Dix interventions de cette nature nous rapportent tout de même 100 000 F CFA par jour ! »
Mais la solution est ailleurs. Pour être viable, chaque entreprise doit pouvoir déployer plusieurs fréquences à travers le Burkina Faso. Or les autorités limitent le nombre d’émetteurs de manière draconienne. « Cela revient à contraindre un vendeur de jeans à proposer sa marchandise dans un périmètre restreint, regrette Joachim Baky, PDG de Ouaga FM. L’administration a une vue politique, nous, une perception commerciale. Avec des fréquences ailleurs qu’à Ouagadougou ou à Bobo, nous vendrions davantage d’espace. Nous commercialisons de l’audiences. Être limité à Ouagadougou et ses quelque 2,5 millions d’habitants plombe notre chiffre d’affaires. »
Pragmatique, Horizon FM tire avantage de sa grande couverture du territoire, via des stations synchronisées. Mais toutes les radios n’ont pas ces moyens et se sentent bien seules. « Au Burkina, on considère l’audiovisuel libre comme un prolongement du service public, mais sans aucune mesure fiscale d’accompagnement pour faciliter la réalisation de cette mission », conclut Charlemagne Abissi, directeur général de Savane FM et président de l’Union nationale de l’audiovisuel libre du Faso (Unalfa). La guerre des ondes est loin d’être terminée…
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