Adieu Mohammed Arkoun
Immense figure du dialogue des civilisations, l’historien franco-algérien s’est éteint le 14 septembre, à Paris.
La dernière fois que Mohammed Arkoun était venu nous rendre visite à Jeune Afrique – c’était en novembre 2006 –, ceux d’entre nous qui le rencontraient pour la première fois furent frappés par la prestance de ce Franco-Algérien à la crinière blanche, au regard espiègle et aux connaissances si vastes qu’il fallait une bonne dose de concentration pour ne pas perdre le fil de son discours. En repartant de J.A., Mohammed Arkoun avait laissé l’image, ce jour-là, d’un « grand monsieur ». Ce qu’il fut réellement, comme le prouvent son parcours intellectuel, son œuvre riche d’une quinzaine d’ouvrages et l’admiration sans borne que lui vouent des générations d’étudiants qui se réclament aujourd’hui de son combat obstiné pour un islam des Lumières.
Né en 1928 à Taourirt-Mimoun, en Kabylie, Mohammed Arkoun a suivi des études de philosophie à Alger, puis à la Sorbonne, où il décroche un doctorat, avant d’y enseigner l’histoire de la pensée islamique et d’y obtenir, en 1993, le titre de professeur émérite. Grâce à sa pensée lumineuse et à son talent oratoire, il se taille bientôt une belle réputation. Mais c’est surtout son idée de lancer « l’islamologie appliquée » qui l’imposera comme une grande figure du réformisme musulman. À travers cette discipline pour le moins subversive, Arkoun propose une relecture de l’histoire des courants philosophiques musulmans au moyen d’outils épistémologiques modernes privilégiant la critique par opposition à la notion de précepte immuable. « Je libère la réflexion du musulman contemporain de la fiction de la loi divine », clamait-il. À cette célèbre idée d’une « critique de la raison islamique », il ajoute des concepts tels que « l’impensé musulman » ou la « clôture dogmatique ».
Les relations entre l’islam et l’Europe constituent l’autre thème de prédilection de l’historien. Et c’est parce que la France se distingue à ses yeux de l’Europe dans sa relation avec l’islam qu’il choisit de se tourner vers elle et de lui consacrer nombre de ses travaux, dont le dernier en date, Histoire de l’islam et des musulmans en France, un ouvrage encyclopédique qu’il dirige, paraît en 2006 chez Albin Michel. C’est de la France aussi qu’il attend qu’elle crée une École nationale d’études islamiques afin, explique-t-il, de « fonder un espace d’expression scientifique à l’adresse de tous les musulmans vivant dans ce pays pour qu’ils puissent comprendre les enjeux des caricatures du Prophète ou ceux du hidjab, réagir à ces événements en s’obligeant à y réfléchir, et non pas en descendant dans la rue ».
Las ! Si la France lui accorde, il est vrai, quelques distinctions, comme la Légion d’honneur ou les palmes académiques, les gouvernements français successifs n’accéderont jamais à son souhait de fonder une école d’enseignement de l’islam. En Algérie, les cercles officiels le boudent et les oulémas le fustigent. Ses ennemis se recrutent parmi les Frères, qui n’hésitent pas à le traiter de « dés-islamisé », voire d’impie. Mais celui qui aura le tact de ne jamais recourir au discours vindicatif, ni de se poser en victime a pour seule préoccupation de délivrer les imaginaires des réflexes d’exclusion, de confirmer la culture de dialogue inhérente à l’islam et d’exhumer les preuves d’une Histoire qui ne fut pas forcément conflictuelle entre l’Orient et l’Occident.
Depuis quelques années, Mohammed Arkoun avait choisi de vivre entre la France et le Maroc, où il sera inhumé. Mais il continuait de voyager pour ses conférences ou ses cours dans certains pays arabes ou en Amérique, lorsqu’il n’intervenait pas sur Al-Jazira ou Radio Orient, donnant l’occasion à un plus large public d’accéder à sa lecture, plus nécessaire que jamais, d’un islam aux accents modernistes.
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