Présidentielle 2011 : pourquoi Gamal Moubarak cache son jeu

Starisé par la presse nationale, poussé par le parti au pouvoir, le fils cadet de Hosni Moubarak briguera vraisemblablement la succession de son père à l’élection présidentielle de 2011. Pourtant, Gamal Moubarak, qui cache bien son jeu, persiste à nier toute ambition de ce type.

Lors de la convention du PND, le 31 octobre 2009, au Caire. © Reuters

Lors de la convention du PND, le 31 octobre 2009, au Caire. © Reuters

Publié le 22 septembre 2010 Lecture : 7 minutes.

D’étranges affiches anonymes ont fait leur apparition, il y a quelques jours, sur les murs de plusieurs villes égyptiennes. Leur message : « Omar Souleimane président ». Après avoir sauvé la vie de Hosni Moubarak, en 1995, en déjouant une tentative d’assassinat contre lui, c’est aujourd’hui à la rescousse de la nation que le puissant chef des renseignements égyptiens est appelé. Un communiqué en ligne des colleurs d’affiches l’exhorte plus explicitement à « sauver le pays de la honte d’une succession qui voit concourir le fils du président ». Rapidement arrachées, ces affiches semblent être une réponse à celles qui fleurissent un peu partout à la gloire du fils de Hosni Moubarak, Gamal, 47 ans, dont la candidature à l’élection présidentielle de 2011 est de plus en plus probable.

La succession du vieillissant président, 82 ans, dont vingt-neuf au pouvoir, alimente bien des spéculations depuis plusieurs années. Un trio de candidats fantômes a même émergé : Omar Souleimane, 74 ans, que l’on encourage, mais qui ne veut pas y aller ; Mohamed el-Baradei, 68 ans, ancien directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), qui veut y aller, mais que l’on empêche de se présenter ; et Gamal Moubarak, qui s’évertue à nier toute ambition présidentielle, mais que personne ne croit.

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Le fils du chef de l’État est poussé par son entourage et starisé par une presse nationale qui, selon les mots de Heba Saleh, du Financial Times, « lui déroule le tapis rouge vers la présidence ». Il est le seul à feindre encore de ne pas penser au poste de raïs. Au début de septembre, il a accompagné son père à Washington, sans y avoir été invité, pour l’ouverture des négociations directes entre Israéliens et Palestiniens. Signe qu’il a déjà obtenu l’imprimatur américain ? C’est vraisemblable.

Encouragé, selon certains, par sa mère, Suzanne, docteure en sociologie, le fils cadet des Moubarak campe parfaitement le rôle du jeune leader occidentalisé. Formé à l’Université américaine du Caire, il a débuté sa carrière à la Bank of America, puis a été un membre important du Conseil présidentiel égypto-américain, créé en 1995 et rebaptisé en 2001 Conseil d’affaires égypto-américain, une instance économique regroupant treize chefs d’entreprise de chacun des deux pays.

Décontracté, anglophone, élégant, Gamal dirige, à partir de 1998, la Fondation pour les générations futures et y promeut l’entrepreneuriat. Grâce à ce tremplin, il entre, en 1999, au Parti national démocratique (PND, au pouvoir) et prend, en 2002, la tête de son Comité d’orientation politique, chargé des dossiers économiques et sociaux. Une fonction qui lui permet de se poser en défenseur des déshérités. « Gamal Moubarak, l’espoir des pauvres », peut-on lire sur les affiches à son effigie.

Un libéral impopulaire

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Mais les Égyptiens ne veulent pas de Gamal. Proche des conceptions libérales du FMI et de la Banque mondiale, ancien banquier d’investissement de 1988 à 1994, il passe pour un bon connaisseur des enjeux économiques. Et c’est justement là que le bât blesse. En 2004, il a fait entrer une dizaine de ses proches, venus notamment du secteur privé, dans le nouveau gouvernement d’Ahmed Nazif. Un an plus tard, une batterie de réformes libérales sont adoptées.

Cette nouvelle orientation économique a amélioré le taux de croissance, mais a aussi conduit à une hausse des prix, creusé les inégalités entre riches et pauvres et fait chuter les salaires. Selon la Banque mondiale, 44 % des Égyptiens sont pauvres, très pauvres ou extrêmement pauvres. Victimes de ces mesures, qu’ils imputent à Gamal, les Égyptiens multiplient depuis les manifestations de protestation.

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Répondant à ceux qui l’accusent de se désintéresser du sort de ses concitoyens, Gamal a égrené, lors d’une interview télévisée en août dernier, des initiatives économiques et sociales du gouvernement. Incrédule, Mahmoud el-Askalani, porte-parole du Mouvement des citoyens contre la vie chère, a rétorqué, dans les colonnes du Daily News Egypt, que les propos du fils du raïs « contredisent totalement la réalité dans laquelle vivent des familles égyptiennes qui meurent de faim ».

« Il n’a jamais eu à faire la queue pour acheter du pain ou de l’essence, souligne le chercheur Samer Shehata, du Centre d’études arabes de l’université américaine de Georgetown. Ses amis sont milliardaires et il n’a aucune idée de ce que vivent ses compatriotes. » Ajoutons à cela que Gamal est un Moubarak. Or les Égyptiens ne veulent pas d’une succession « dynastique » sous des dehors démocratiques. À preuve, la Campagne égyptienne contre la transmission héréditaire du pouvoir, menée de concert avec le mouvement Kifaya ! (« Ça suffit ! ») dès 2004 et qui a martelé à l’envi que l’Égypte de Nasser a aboli la monarchie en 1952…

Amendements sur mesure

Moubarak fils n’est pas populaire, mais ce n’est pas seulement dû à sa filiation. On le dit mauvais orateur en arabe, distant, peu enclin à s’adresser au citoyen lambda. En 2007, il épouse, lui à qui la presse ne parvenait pas à prêter la moindre liaison durable, la belle Khadija el-Gamal, fille d’un magnat du BTP et sa cadette de plus de vingt ans, avec qui il aura une fille, Farida, née en mars dernier. Améliorer ses finances et abandonner le célibat avant une élection sont deux excellentes raisons d’épouser Khadija, persifle alors la rue égyptienne. Le très populaire chanteur pop Amr Diab avait pourtant été invité aux noces…


Gamal avec son épouse, Khadija el-Gamal, en 2008.
© AMR NABIL/SIPA

Gamal est programmé pour gagner depuis une dizaine d’années. « S’il a fait son apparition dans la vie publique, ce n’est pas à force de travail et de ténacité, ou parce qu’il a réussi à gravir les échelons du parti, estime Oussama el-Ghazali Harb, leader du Front démocratique [opposition], mais parce qu’il y a été parachuté. Il croit que c’est naturel. Cela en dit long sur sa conception de la démocratie. »

En outre, Gamal a bénéficié d’une modification « sur mesure » de la Constitution. L’article 76 de la Loi fondamentale, qui édicte les conditions nécessaires pour briguer la magistrature suprême, a été remanié en 2007 pour coller à la jeune expérience de Gamal. Or le candidat du PND à la présidentielle de 2011 – qui sera désigné selon d’opaques procédures, en amont du vote final de la convention du parti – est assuré de l’emporter. C’est donc dans les coulisses que se jouera le scrutin. Les électeurs ne s’exprimeront qu’une fois les dés jetés.

Au sein du parti, le fils Moubarak s’est entouré de ce que l’on appelle « la nouvelle garde », des hommes de sa génération. « Pour la première fois, l’élite des affaires va jouer un rôle dans la succession », estime le chercheur allemand Stephan Roll. « Aucun autre membre du secrétariat général du parti ne s’est taillé un tel profil de présidentiable, constate Amr Hamzawi, directeur de recherche au Carnegie Middle East Centre, à Beyrouth. Le Premier ministre, Ahmed Nazif, aurait les compétences requises, mais le parti pousse Gamal. »

L’armée, l’institution la plus puissante du pays, aura aussi son mot à dire. Depuis le coup d’État des Officiers libres de Nasser, les militaires jouissent d’un statut personnel privilégié. Certains d’entre eux ont même des intérêts dans le milieu des affaires. Mais plusieurs hauts gradés de l’armée ont exprimé, dans les médias, leurs réserves face à la candidature de Gamal, qui pourrait devenir le premier président civil de l’histoire du pays. « L’armée se sent menacée par les hommes d’affaires qui entourent Gamal », analysait, au début de septembre, dans le Herald Tribune, le général à la retraite Mohamed Khadry Saïd, conseiller militaire du Centre d’études politiques et stratégiques Al-Ahram. Mais pour Amr Hamzawi, « tant qu’il [Gamal] défend les intérêts de l’armée, les militaires ne l’empêcheront pas de succéder à son père ». Le deal est clair.

Si Gamal est élu, quel type de président sera-t-il ? La présence d’un civil à la tête d’un pays qui vit sous l’état d’urgence depuis 1981 changera-t-elle la donne ? Réponse sans ambiguïté de l’écrivain Alaa el-Aswany, auteur du célèbre Immeuble Yacoubian, dans une tribune intitulée « Observations sur le projet Gamal Moubarak » : « Quelle serait la valeur d’un président civil dans un régime militaire et un État policier ? »

Un faux joker ?

D’autres craignent plutôt que, pris entre le marteau de l’armée et l’enclume des milieux financiers, il ne soit un président faible. « On en a dit autant de Bachar al-Assad quand il a succédé à son père, en 2000, rappelle l’éditorialiste égyptien Issandr el-Amrani sur son blog The Arabist. Pourtant, il dirige à présent son pays avec beaucoup de fermeté. »

S’il est élu, il y a fort à parier que Gamal assurera la continuité du régime. « Il se rend souvent aux États-Unis, n’évoque guère le sort des Palestiniens et ne s’est pas opposé à la guerre en Irak, souligne Samer Shehata. On peut s’attendre à ce qu’il mène la même politique étrangère que son père. » Sa vision politique, en l’absence d’écrits de sa propre main, se trouve dans le programme du PND, attendu avant les législatives de novembre. Mais personne ne croit que la libéralisation politique sera à l’ordre du jour.

« Il y a une grande différence entre faire de la politique et être président », disait Gamal au début des années 2000. S’estime-t-il capable aujourd’hui d’assumer cette charge, tout en retardant l’annonce publique de sa candidature ? Ou faut-il croire au mythe du jeune homme brillant poussé sur le devant de la scène malgré lui ?

Gamal peut aussi passer pour un faux joker. Peut-être, envisage Samer Shehata, assistera-t-on à un scénario désormais classique. Quand Hosni aura déclaré ne pas être candidat – ou s’il décède avant – « des manifestations “spontanées” appelleront Gamal à être président, et le PND l’adoubera “pour le salut de la nation” ». Une fausse surprise dont les Égyptiens ne seront pas dupes. Ils savent que les candidats de l’opposition n’ont aucune chance de l’emporter et qu’il n’y aura aucun changement notable, quel que soit celui qui défendra les couleurs du PND. Si c’est Gamal, les Égyptiens pourront toujours se consoler en recyclant leurs célèbres blagues (nukat) sur Nasser – un tout autre Gamal…

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