André Mba Obame : « Ali, mon frère, mon adversaire »
Oublié le passé. En dépit des liens qui les ont unis, l’ex-ministre de l’Intérieur et candidat malheureux à la présidentielle, André Mba Obame, ne reconnaît pas la légitimité du chef de l’État gabonais, son frère Ali Bongo Ondimba. Et prépare déjà les législatives de 2011.
Sa troisième place à l’élection présidentielle, André Mba Obame ne l’a toujours pas digérée. Peu importe que la Cour constitutionnelle – cette « tour de Pise qui penche toujours du même côté » – ne lui ait pas donné raison. Il en est persuadé, c’est lui qui aurait dû succéder à Omar Bongo Ondimba. Tout comme il est convaincu que c’est l’opposition – dont fait partie l’Union nationale (UN), qu’il a cofondée en février – qui remportera les prochaines législatives. L’homme que nous avons rencontré, au siège de Jeune Afrique, est déjà en campagne : il prend soin d’évoquer, toujours avec déférence, Omar Bongo Ondimba, passe un peu vite sur la conversion tardive – et forcée – du défunt président aux bienfaits du multipartisme et répète à l’envi son attachement aux valeurs républicaines… Rencontre.
Jeune Afrique : Plus d’une année s’est écoulée depuis l’élection présidentielle du 30 août 2009, élection à laquelle vous étiez candidat. Une année occupée ?
André Mba Obame : Les gens s’attendaient à ce que, comme les autres, j’aille à la soupe. On s’attendait aussi à ce que j’aie recours à la violence, on m’a accusé d’avoir recruté des mercenaires en Guinée équatoriale. Beaucoup de bruits ont circulé. Malgré tout, dans l’opposition, nous nous sommes mis au travail. Partant du constat que c’est l’émiettement des forces politiques qui a retardé l’alternance, nous avons mis notre ego dans notre poche et décidé d’agir ensemble.
Il y a quelques mois, vous avez cofondé l’UN, un attelage en apparence improbable dans lequel se trouvent des personnes qui ont eu des trajectoires politiques très différentes, pour ne pas dire d’anciens ennemis. Comment cela fonctionne-t-il ?
Avant, le dénominateur commun, c’était pour ou contre Omar Bongo Ondimba. Aujourd’hui, les choses ont changé. La nouvelle ligne de démarcation, c’est pour ou contre le système républicain, pour ou contre la succession monarchique. C’est pour cela que des gens qui s’opposaient hier peuvent maintenant travailler ensemble.
Avez-vous tenté de convaincre Pierre Mamboundou et son parti, l’Union du peuple gabonais (UPG), de rejoindre votre formation ?
Pour quoi faire ? Nous ne sommes pas pour le monolithisme et nous travaillons de toute façon avec la coalition Alliance pour le changement et la restauration [ACR, une autre coalition de l’opposition organisée autour de l’UPG de Pierre Mamboundou, NDLR].
Quelle est votre stratégie pour les législatives de 2011 ?
Nous nous sommes mis d’accord pour aller ensemble aux élections, c’est déjà beaucoup. Maintenant, nous allons réfléchir à des alliances électorales et à un programme de gouvernement. Mais il y a un point sur lequel nous sommes très clairs : il faut que le scrutin se déroule dans la transparence. Sans garantie de transparence, il n’y aura pas d’élections. Je ne dis pas que nous les boycotterons, je dis qu’il n’y aura pas d’élections, et je pèse chacun de mes mots. Nous avons les moyens d’empêcher leur tenue.
Comment ?
Nous en avons les moyens.
Dans le cas d’une victoire aux législatives, seriez-vous intéressé par le poste de Premier ministre ?
Pas particulièrement. En revanche, le poste devra revenir à l’opposition, comme le prévoit la Constitution.
Quels sont vos rapports avec le président Ali Bongo Ondimba (ABO), dont vous avez été très proche ?
Nous ne nous parlons pas.
Pourriez-vous envisager de reprendre contact avec lui ?
Pourquoi est-ce moi qui devrais le faire ? Quoi qu’il en soit, nous avons tendance au Gabon à trop personnaliser le débat politique. Ali Bongo, que je refuse d’appeler chef de l’État, c’est mon frère. Beaucoup de choses nous lient. Nos différends ne sont pas d’ordre personnel, ils sont politiques. Il y a d’un côté ceux qui pensent que le pays ne peut être dirigé que par la famille Bongo et qui, pour préserver leurs intérêts, sont pour une dévolution monarchique du pouvoir. Et de l’autre, ceux qui, comme moi et comme Omar Bongo Ondimba depuis le milieu des années 1980, pensent que le pouvoir appartient au peuple et sont attachés aux valeurs de la République. Omar Bongo lui-même n’avait pas exclu que son fils arrive au pouvoir, mais à condition que ce soit le peuple qui l’élise.
Vous ne reconnaissez toujours pas la validité de l’élection qui a porté ABO au pouvoir ?
C’est moi qui ai remporté cette élection. Les procès-verbaux le prouvent.
Même si la Cour constitutionnelle, devant laquelle vous avez déposé des recours, vous a donné tort ?
La Cour constitutionnelle est comme la tour de Pise. Elle penche toujours du même côté.
À défaut de contacts avec Ali Bongo, en avez-vous avec sa sœur Pascaline ?
Non plus. Je n’ai aucun contact avec la famille : il paraît qu’elle est fâchée contre moi. Si elle peut refaire son unité grâce à moi, c’est déjà ça !
Vous aviez mis en garde, en mars, contre la possibilité d’un « coup d’État à la nigérienne ». Vous y croyez vraiment ?
Bien sûr ! Que s’est-il passé au Niger ? Mamadou Tandja s’est entêté. Il était tellement sûr d’avoir le soutien de l’armée qu’il n’a écouté personne et, au final, les gens sur lesquels il comptait se sont retournés contre lui. Au Gabon, toutes les conditions d’un coup de force sont réunies. Je dis qu’en politique l’entêtement, l’arrogance, l’aveuglement et la provocation mènent toujours, tôt ou tard, à la même sanction.
Est-ce une menace ?
Non. Moi-même, je ne crois pas aux coups d’État. Mais j’ai été approché par des militaires qui voulaient mon approbation. Je leur ai dit que je m’y opposerais avec la dernière vigueur. Le pouvoir, on ne le quitte que par la démission ou par des élections.
Qui sont ces personnes qui sont entrées en contact avec vous ?
Elles m’ont approché à plusieurs reprises. C’est tout.
Quel bilan dressez-vous de la première année d’ABO à la tête de l’État ?
Il faut faire la part des choses entre les effets d’annonce et les réalisations. Sur le terrain, il n’y a rien. Quant à ce qui a été fait, comme la journée continue ou l’interdiction de l’exportation des grumes, c’est soit désastreux, soit intenable. Sur le front social aussi, cela va mal. Les employés des principaux secteurs sont en grève ou menacent de faire grève.
Quels sont aujourd’hui vos rapports avec Paul Mba Abessole, qui fut longtemps une figure de l’opposition gabonaise ?
Nous étions en relation jusqu’à ce qu’il décide de se rapprocher du Parti démocratique gabonais [au pouvoir, NDLR]. Plus maintenant, même s’il a essayé d’entrer en contact avec moi. Il faudra d’abord qu’il fasse son mea culpa devant tous les Gabonais. On ne peut pas avoir prétendu qu’ABO était incompétent et ensuite se rapprocher de son parti « pour le bien de l’État ».
Le général Ntumpa Lebani est en prison depuis plus d’un an pour atteinte à la sûreté de l’État, mais on en sait très peu sur ce qui lui est reproché. Qu’en pensez-vous ?
Le dossier est vide. S’il y a des preuves, qu’on nous les montre et qu’on le juge ! À la place, on a remis au goût du jour la Cour de sûreté, qui existait à l’époque du parti unique. Le général Ntumpa est un prisonnier politique, et Amnesty International ferait bien de s’en soucier.
En mai, l’annonce de l’acquisition par l’État Gabonais d’un hôtel particulier, à Paris, avait également fait débat…
Le Gabon pouvait-il vraiment se le permettre ? Je ne le crois pas. Ce n’était pas nécessaire, c’est hors de prix et c’est inopportun. Mais chassez le naturel, il revient au galop.
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