La présidentielle est-elle atteinte du syndrome ivoirien ?

Avalanche de critiques à l’encontre de la Commission électorale guinéenne, difficultés d’organisation de la présidentielle dont la date du second tour n’est toujours pas connue, affrontements entre les partisans des deux candidats à la présidence… Au fil des jours, le climat se détériore et l’on craint un nouveau week-end sous haute tension. Tout cela va-t-il compromettre le scrutin tant attendu ?

Au camp Almamy-Samory-Touré de Conakry, après l’incendie du 16 septembre. © Issouf Sanogo/AFP

Au camp Almamy-Samory-Touré de Conakry, après l’incendie du 16 septembre. © Issouf Sanogo/AFP

Publié le 24 septembre 2010 Lecture : 4 minutes.

La gorge nouée et les traits tirés, le général Sékouba Konaté, président par intérim de la Guinée, s’est résolu, le 15 septembre, à annoncer à la nation un nouveau report du second tour de l’élection présidentielle, qui devait se tenir quatre jours plus tard.

Pathé Dieng, le directeur des opérations de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), chargée de l’organisation du scrutin, venait de lui apprendre que la date du 19 septembre ne pourrait être respectée en raison d’une série d’obstacles techniques. Retard dans la mise à disposition des cartes numériques censées remplacer les récépissés ; découpage électoral en cours, avec la création de nouveaux bureaux de vote ; inachèvement des listes électorales issues de ce découpage… Cellou Dalein Diallo et Alpha Condé, les deux candidats qualifiés à l’issue du premier tour du 27 juin devront donc encore attendre pour être départagés. Aujourd’hui, si la date du 10 octobre a été proposée par le Ceni, elle n’est toujours pas officielle.

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Cafouillage total

Certes, la Ceni n’a pas pu s’acquitter de sa mission comme elle s’y était engagée. Mais, à sa décharge, le climat pesant de ces dernières semaines l’a empêchée de se consacrer à sa tâche avec autant de diligence qu’elle l’aurait voulu. Attaquée de toutes parts et accusée de partialité et sujette à toutes les rivalités, l’institution, déstabilisée et menacée d’implosion, s’est en effet davantage souciée d’organiser sa défense que de préparer le scrutin.

Désignée présidente par intérim de la Ceni après l’évacuation sanitaire vers la France de Ben Sékou Sylla, le titulaire du poste, Hadja Mame Camara a été soupçonnée d’appartenir au Parti de l’unité et du progrès (PUP), qui soutient Cellou Dalein Diallo au second tour. Évincée au profit de Lonsény Camara, un leader de la société civile, elle a refusé de passer le témoin, avec le soutien de ses collègues.

Des affrontements opposant les partisans de « Cellou » et d’« Alpha » ont encore alourdi le climat, faisant un mort et une cinquantaine de blessés, les 11 et 12 septembre. Sur ces entrefaites, Ben Sékou Sylla est décédé, le 14, dans une clinique parisienne. Il avait été condamné quelques jours plus tôt pour « fraude électorale » à un an de prison ferme et à une amende de 2 millions de francs guinéens par un juge de Conakry, qui a pris sa décision sans tenir d’audience ni entendre le moindre avocat. Bref, un cafouillage total, sur fond de règlements de comptes…

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Lésé au premier tour

Le nouveau report de l’élection plonge le pays dans l’incertitude. La réunion du 16 septembre, qui devait amener Jean-Marie Doré – chef du gouvernement de transition –, la Ceni, le Conseil national de la transition (CNT, l’organe législatif provisoire) et les deux candidats à fixer une nouvelle date, a été reportée sine die sans motif officiel. Pour compliquer la donne, un incendie s’est déclaré, le 16, au camp Almamy-Samory-Touré, dans le centre de Conakry, où est stocké le matériel électoral.

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« Sékouba Konaté et Blaise Compaoré, le président burkinabè et médiateur dans la crise guinéenne, insistent pour que le second tour ait lieu au plus tard au cours de la première quinzaine d’octobre », a confié un responsable de la Ceni à J.A. Pourtant, rien n’indique que cette nouvelle échéance sera respectée. Quelque 465 000 cartes numérisées sont en cours de fabrication en Afrique du Sud. Pas moins de 1 613 bureaux de vote, ainsi que le matériel correspondant, attendent d’être installés pour pallier l’éloignement de certains électeurs, qui est en partie la cause du fort taux d’abstention lors du premier tour. Le nouveau découpage n’a pas été introduit dans le fichier informatique de la Ceni. Les enveloppes scellées n’ont toujours pas été commandées. Et les agents des bureaux de vote suivent encore une formation.

Estimant avoir été lésé au premier tour (des agents de la Ceni auraient, selon lui, soustrait des procès-verbaux qui lui étaient favorables), Alpha Condé exige un audit du fichier électoral, l’affichage des listes par bureau de vote, l’intervention du ministère de l’Administration du territoire dans la compilation et l’acheminement des résultats, la nomination d’une personnalité de la société civile à la tête de la Ceni et un doublement des postes en son sein afin que sa famille politique y soit mieux représentée… Selon la coalition Arc-en-Ciel, qui le soutient, « seize des vingt-quatre recommandations du comité ad hoc mis en place pour remédier aux irrégularités constatées à l’issue du premier tour n’ont pas encore été satisfaites ». Autant dire que le second tour n’est pas pour demain et que la Guinée semble gagnée par le syndrome ivoirien.

Pis, les acteurs se radicalisent. Reçu par Jean-Marie Doré au lendemain des affrontements des 11 et 12 septembre, « Cellou » lui a asséné : « Je ne garantis plus que je pourrai retenir mes militants que les manœuvres dilatoires de mon adversaire empêchent depuis plusieurs semaines de voter. » Au même moment, « Alpha » confiait à Konaté : « Je n’irai pas à une élection si les dysfonctionnements du processus ne sont pas corrigés. Si on veut m’imposer une date avant ce préalable, je ne me laisserai pas faire. »

Depuis, le président de la transition multiplie les coups de fil avec le médiateur pour débloquer la situation, tout en veillant à ce que l’armée se garde de faire irruption dans le jeu. Quant à Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations unies, il a dépêché à Conakry Saïd Djinnit, son représentant en Afrique de l’Ouest. Non sans avertir « ceux qui tenteraient de perturber un processus de transition calme et ordonné qu’ils devront répondre de leurs actes ». Sera-t-il entendu ? 

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