Casa cherche un second souffle
Après deux années noires, la deuxième Place d’Afrique du Nord renoue avec la croissance. La consolidation de la bourse de Casa repose sur d’importants projets de cotations et sur le retour des investisseurs étrangers.
Calme plat à Casa. Seulement une centaine de millions de dirhams de titres ont été échangés à la Bourse le 6 septembre. La moyenne de 270 millions de dirhams (environ 24 millions d’euros) par jour depuis la fin juin n’est pas plus encourageante. Installée dans la capitale économique du Maroc, la Bourse a connu des jours meilleurs. L’activité reste très loin des « belles performances » des années d’avant la crise mondiale : 740 millions de dirhams de titres émis chaque jour en moyenne en 2007.
C’est un fait : la deuxième Place d’Afrique du Nord après Le Caire peine à effacer les deux années noires traversées (– 9,3 % en 2008 et – 4,3 % en 2009). Signe d’un passage difficile, aucune introduction n’a ponctué l’actualité économique du royaume l’an passé, alors que la Place tournait, avant la crise, à une moyenne annuelle de dix nouvelles sociétés cotées.
« Plus de 50 % des valeurs ont enregistré une croissance positive en 2009, tempère Widad Ouardi, analyste financière au sein de la société d’intermédiation marocaine Integra Bourse. Ce sont surtout les grosses capitalisations (Addoha, CGI, Managem, BMCE, Attijariwafa, Maroc Télécom…), surévaluées, qui ont encaissé la baisse après le retrait brutal des investisseurs étrangers en 2008. » Une correction du marché qui profite aux petites valeurs sous-évaluées : la Compagnie minière de Touissit, en hausse de 60 % depuis le début de l’année, ou, dans l’informatique, Disway (+ 46 %) ou HPS (+ 36 %).
Dans ce contexte bouleversé et fragile, l’heure est à la mobilisation générale. Pour convaincre les patrons marocains de tenter l’aventure, une caravane de la Bourse s’est élancée dans le pays, depuis juillet, avec à sa tête Karim Hajji, le directeur général de la Bourse depuis le 1er avril. L’objectif à cinq ans : doubler le nombre de société cotées, pour passer à 150 valeurs, et accroître de 50 % la capitalisation (47,4 milliards d’euros le 8 septembre).
« Au regard de l’économie du pays, la Bourse connaît un déficit de sociétés cotées dans l’agriculture, le tourisme, les infrastructures et le textile, observe Widad Ouardi. Introduire davantage d’entreprises marocaines est un chantier prioritaire pour dynamiser la Place, avant même de favoriser les doubles cotations. »
L’année du renouveau ?
Même combativité à l’international, pour convaincre les investisseurs étrangers. Depuis juin, les dirigeants de BMCE Capital Bourse, une des principales sociétés d’intermédiation, ont multiplié les rendez-vous à Paris, Londres, Genève, Abou Dhabi, New York ou Chicago, pour séduire des responsables de fonds d’investissements, de hedge funds, de banques ou de sociétés de gestion privées.
« Les business models des grands groupes marocains nés au lendemain de l’indépendance ont trouvé leurs limites. Ils ont besoin de se réinventer. C’est-à-dire de repositionner leur stratégie, d’investir dans des secteurs à forte valeur ajoutée et à très fort potentiel. Une nouvelle histoire s’écrit et les investisseurs étrangers regardent à nouveau le Maroc », assure Youssef Benkirane, président du directoire de BMCE Capital Bourse.
Il a des chances d’être entendu. L’année 2010 s’annonce comme celle du renouveau. Depuis le 1er janvier, l’indice Masi (Moroccan All Shares Index), composé de toutes les valeurs cotées, affiche une progression de 12 %, soit une capitalisation supplémentaire de 5,4 milliards d’euros. « En 2010, la hausse de la capitalisation ne devrait pas dépasser les 15 % au final et les bénéfices devraient progresser de 10 % », complète Widad Ouardi.
Une croissance à deux chiffres qui démontre la capacité de résistance marocaine. Mais la prudence est de mise. Seule la double cotation, à Tunis et à Casa, du concessionnaire tunisien Ennakl (Volkswagen, Audi, Porsche) a réveillé les investisseurs en 2010. Et l’embellie actuelle porte encore les symptômes de la convalescence, comme le démontre l’atonie des échanges. « Les investisseurs sont très hésitants, beaucoup de valeurs restent très chères, et ils attendent la publication des résultats semestriels des entreprises cotées [avant le 30 septembre, NDLR] pour se décider », commente un analyste.
Ce flou, s’il n’est pas propre à la Bourse de Casa, pénalise son essor. Fin mars, l’annonce de la fusion de deux poids lourds marocains, l’Omnium nord-africain (ONA) et la Société nationale d’investissement (SNI), programmée après leur retrait de la cote, a entretenu l’illusion d’un coup de fouet salvateur. « Elle a fait bondir l’indice Masi à 20 %, et les volumes échangés ont été multipliés par trois. L’opération marque un tournant, elle a permis à la Place de retrouver dynamisme et confiance », assure Youssef Benkirane.
Un pic de courte durée
Mais si l’effet fusion a été réel, son impact a été bref. Le pic du printemps est digéré. Reste qu’un Masi en progression de 12 % est une performance très honorable puisqu’elle intègre le retrait de la cote de l’ONA et de la SNI, intervenu le 19 août, qui a amputé la Bourse marocaine de 9 % de sa capitalisation (environ 1,5 milliard d’euros). Mais un autre événement est venu alimenter l’immobilisme des investisseurs.
« Depuis cet été, explique Youssef Benkirane, il y a eu une nouvelle phase de correction, avec l’annonce de la mise sur le marché par l’État de 8 % du capital de Maroc Télécom. Une opération à 10 milliards d’euros qui a calmé les opérateurs. » Les investisseurs sont dans l’expectative – cette vente absorbera une part importante des liquidités – et attendent le feu vert qui devrait en théorie intervenir avant le 31 décembre.
Ils surveillent aussi les prochaines étapes de la fusion ONA-SNI, bouclée avant la fin de l’année. Dans la foulée, le nouvel ensemble introduira en Bourse ou ouvrira le capital d’une partie de ses filiales. La cession de 20 % à 40 % des actions des sociétés « matures » dans l’agroalimentaire (Cosumar, Lesieur Cristal, Centrale laitière) est attendue au premier trimestre 2011. Une deuxième vague (Attijariwafa Bank et Wafa Assurance) interviendra au second semestre. Et une troisième salve (Marjane, Acima, Bimo, Optorg et Sopriam), non programmée, est envisagée.
Le scénario est prometteur. La cession de 30 % du capital des filiales, selon les estimations de BMCE Capital Bourse, se traduira par l’injection d’environ 2,4 milliards d’euros d’argent frais à la Bourse de Casa. Et comblera les 1,5 milliard d’euros perdus après le retrait de la cote ONA-SNI.
Reste que le sursaut de la Place casablancaise demande à être confirmé. Les investisseurs étrangers, tombés de 8 % à 5 % du flottant en trois ans, retrouveront-ils le chemin du Maroc ? Bouderont-ils l’introduction, en octobre, de 15 % du capital de la compagnie d’assurances CNIA Saada (groupe Saham), préférant se concentrer sur les grosses opérations annoncées ? Comme le rappelle Youssef Benkirane, « la Bourse est un investissement à long terme qui n’exclut pas les surprises à court terme ».
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