Salim Hatubou

Auteur, à 38 ans, d’une trentaine de livres, tous genres confondus, cet écrivain et conteur franco-comorien mène sa barque entre Marseille et son archipel natal.

 © Yohanne Lamoulère/Transit/Picture Tank pour J.A.

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Publié le 21 septembre 2010 Lecture : 5 minutes.

Des yeux qui rient et des joues aussi rondes que celles d’un gamin… Pour qui a lu ses livres, le visage de Salim Hatubou en évoque un autre : celui du héros de Marâtre, son quatrième roman, publié en 2003. Ce n’est pas un hasard si Dendehors, surnommé ainsi à cause de ses dents en avant, lui ressemble un peu. Caustique, malicieux et déchiré, engagé dans une lutte haineuse contre la femme de son père, ce petit frère de Poil de Carotte n’est pas uniquement sorti de son imagination. « Parfois, Dendehors réalise mes fantasmes, par exemple, uriner dans la bouteille de soda de Marâtre », concède l’auteur, qui préfère évoquer ses nouveaux « moteurs de création » : son fils Wissam, 13 ans, auprès de qui il teste ses histoires, et sa fille Aniya-Riama, née au début du mois de juin.

Cela ne l’empêche pas d’entretenir avec soin les fils intimes qui le relient au passé. Aniya-Riama porte ainsi le prénom de sa grand-mère paternelle, emportée par le choléra en 1975. Salim avait 3 ans. L’homme qu’il est devenu cultive le souvenir ébloui d’une jeune femme audacieuse, qui répétait « qu’une identité ne se négocie pas ». « Elle a grandi à Zanzibar. Mais quand on a demandé aux Comoriens de renoncer à leur appartenance d’origine, elle a préféré rentrer aux Comores, un pays qui lui était étranger. »

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À 11 ans, Salim Hatubou connaît à son tour l’exil. « Avec mon père, nous sommes arrivés la nuit. J’étais subjugué par toutes ces lumières, heureux d’être venu dans cette fameuse France. Mais le lendemain matin, j’ai pris en pleine figure le béton et les tours. » Le petit Comorien devient un jeune des quartiers nord de Marseille. Comme un miroir déformant, le regard de ses professeurs lui renvoie l’image qui colle à la peau des « enfants des quartiers sensibles » : « On était synonymes de chômage, de prison. » L’Odeur du béton, son deuxième roman, paru en 1998, raconte la galère de deux jeunes diplômés confrontés au racisme.

Depuis, l’écrivain ne s’est jamais coupé des quartiers de son adolescence. Son association, Encre du Sud, y organise des « ateliers d’imagination et d’écriture » pour les élèves primoarrivants. « Ils viennent d’Irak, de Russie, des Comores, d’Algérie, de Tunisie… Je n’oublie jamais que j’ai été à leur place. » Les émeutes qui ont agité les banlieues en 2005 lui ont soufflé un nouveau roman, « sur l’échec de la politique d’intégration ». « Rien n’a changé depuis que j’ai écrit L’Odeur du béton, sauf qu’aujourd’hui, quand on parle de discriminations à l’embauche, on ne nous traite plus de paranos ! » S’il n’est pas tendre avec la France, il s’interdit toute complaisance envers « un repli identitaire qui sonne creux. Quand un jeune porte un tee-shirt “Fier d’être comorien”, qu’est-ce qu’il y a derrière ? Souvent, rien. Il faut organiser des rencontres sur l’histoire du pays d’origine ».

Salim Hatubou, lui, fait partie de cette génération qui n’a pas coupé le cordon ombilical avec le « bled » et suit au quotidien ses soubresauts. La « communauté » est petite, les informations circulent aussi vite que les rumeurs, et l’on a tôt fait de jauger tel ou tel leader. « On est amenés à faire de la politique », dit-il, avant de préciser : « Je n’ai de carte dans aucun parti. Je fais de la politique à travers mes actions culturelles. J’ai le projet de créer aux Comores des maisons de l’enfance, pour rendre la culture accessible aux enfants des zones rurales. »

C’est également grâce à l’action culturelle que l’écrivain part, depuis 2003, à la rencontre de ses « frères » mahorais, ces Comoriens qui ont préféré, en 1975, que leur île reste territoire français. À Mayotte, il intervient auprès d’élèves plongés depuis leur naissance dans un climat de tensions et un discours de dénigrement des Comoriens des autres îles. C’est là que le charme opère : beaucoup se reconnaissent dans ses récits, qui font référence à une culture et un vécu communs. « Salim Hatubou est l’un des rares auteurs que nos collégiens lisent facilement. Ça marche à tous les coups », commente une enseignante.

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Recueils de contes, romans, albums jeunesse, et bientôt une trilogie fantastique… Hatubou est très prolifique. Certains lui reprochent une qualité de travail inégale, mais cette boulimie d’écriture est aussi une revanche sur les préjugés. Au collège, alors qu’il lui fait part de ses ambitions littéraires, sa prof de français lui rit au nez : « Le jour où tu deviens écrivain, je démissionne ! » Agent de sécurité, son père « disait qu’on ne se nourrit pas en écrivant des histoires. Il me conseillait de devenir réparateur de frigos, “parce que, aux Comores, il y en aura toujours à réparer !” » Après la troisième, il envisage de « quitter l’école », puis poursuit des études en commerce et marketing, pour « apprendre un métier ».

Mais le garçon est opiniâtre. « Je me disais que si Azouz Begag, un gamin issu d’un bidonville lyonnais, était devenu écrivain, alors le petit Comorien que j’étais pouvait le faire aussi. » C’est surtout l’influence de deux femmes qui se révélera cruciale. Sa mère, d’abord : « Elle aimait les livres et nous donnait les mots comme on donne le sein, pour faire grandir l’esprit. » Il assiste aussi aux veillées de sa grand-mère maternelle. « On ne faisait pas qu’écouter, elle nous demandait de raconter. Le lendemain, tout en vaquant à ses occupations, elle me donnait des conseils : “Hier soir, ton diable dans l’histoire, je ne l’ai pas senti ! Quand un sultan parle, tu es sultan, quand un chat parle tu es un chat…” En arrivant à Marseille, j’ai eu la nostalgie de ses contes et j’ai commencé à les noter dans un cahier. »

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À 16 ans, Salim publie sa première nouvelle dans le magazine Amina. Huit ans plus tard, son premier roman, Le Sang de l’obéissance, provoque des remous en critiquant les mariages forcés pratiqués dans son pays natal. Ses héros fustigent la folie d’un peuple qui se déchire (Hamouro, 2005), ou l’abandon par les élites comoriennes de toute une génération d’enfants (Les Démons de l’aube, 2006). « Il n’a jamais raté une occasion d’interroger ses concitoyens sur une société en crise », écrivait de lui Soeuf Elbadawi, journaliste comorien. « Au risque de se faire taper sur les doigts par quelques doyens d’influence. »

Loin de Marseille, mais toujours face à la mer, sur la roche noire vomie par le volcan Karthala, des murs de parpaings attendent, béants, que l’on veuille bien les couvrir d’un toit. Nous sommes à Ngazidja, l’île la plus vaste de l’archipel comorien. C’est là, un peu à l’écart de son village natal, Hahaya, que Salim Hatubou construit son rêve de retour – un rêve précipité par la présidentielle française de 2002. « Quand le Front national est arrivé au second tour, je me suis dit que ma nationalité française pouvait être remise en cause n’importe quand, confie-t-il. J’ai commencé à penser à un retour, mais cela ne veut pas dire que je rayerai la France de mon existence : j’ai eu une enfance comorienne et une enfance française, et je ne sais pas si je peux renier l’une ou l’autre. »

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