Affaire Elf : retour à la case prison
À 66 ans, Loïk Le Floch-Prigent est contraint par la justice à un retour à la case prison pour quelques mois de plus. Malgré les plaintes de son avocat, la justice reproche à l’ancien responsable d’Elf d’avoir triché sur ses « facultés contributives ».
Pour une fois, l’adage aura menti. Le retour en prison pour six mois de Loïk Le Floch-Prigent montre qu’on peut avoir été puissant – au sommet de la puissance – et se retrouver misérable – au fond d’un cachot de banlieue.
Accusé de « détournements gravissimes », l’ex-patron du géant pétrolier Elf (absorbé par Total) avait été trois fois condamné : à trente mois, puis cinq ans de prison ferme, et à quinze mois avec sursis. Il en avait purgé dix-neuf et demi avant de bénéficier d’une suspension de peine pour raison de santé. Me Chouraqui, son avocat, a aussitôt fait appel de sa réincarcération. Il s’indigne de cet « acharnement dévastateur » contre un homme de 66 ans atteint d’un cancer de la prostate et de psoriasis, alors qu’une transaction sur le paiement de ses dettes était intervenue avec son ancienne société.
Cache cash
C’est ce dernier point, pourtant, qui vaut à Loïk Le Floch-Prigent ses nouveaux déboires. La cour d’appel de Versailles puis la Cour de cassation lui reprochent non seulement de ne pas avoir payé l’intégralité des réparations dues à Total, mais d’avoir triché, pour y échapper, sur ses «facultés contributives ». Elles relèvent que, après avoir refusé de toucher sa retraite de crainte qu’elle ne soit saisie, il a reçu une somme de plus de 500 000 euros en provenance d’un compte dont il a affirmé ne pas connaître l’existence.
Il a également assuré travailler bénévolement pour plusieurs chefs d’État africains (au Tchad et au Congo-Brazzaville notamment) sans que la justice en obtienne confirmation. Bref, tout se passe comme si les magistrats le soupçonnaient d’avoir mis quelque part à l’abri, tel un vulgaire braqueur de banque, un magot suffisamment important pour mériter, plutôt que de le rendre, quelques mois supplémentaires de prison.
Une autre figure de l’affaire Elf, Christine Deviers-Joncour, avait fait le calcul inverse. Elle avait intégralement restitué les sommes qu’elle avait perçues pour ses malversations d’intermédiaire. Elle n’en fut pas moins lourdement condamnée. « La justice est une longue patience », avait rappelé Eva Joly lorsqu’elle instruisait le dossier. Il lui aura fallu des années d’investigations inlassables pour débusquer, dans l’écheveau des « bonus » pour l’attribution des forages, les centaines de millions de francs de pots-de-vin et autres bien nommées « rétrocommissions », car une large part en revenait à ceux qui les prodiguaient.
Casse du siècle
Dans ce roman incroyable mais vrai, d’une cupidité jamais égalée, les coupables ont été sévèrement punis, à une ou deux exceptions près. Ils ne devaient sortir de prison qu’après avoir remboursé les 480 millions d’euros réclamés pour leur casse du siècle. Le Floch-Prigent paye aujourd’hui le dernier prix de ce serment des juges unanimement salué à l’époque comme le premier progrès dans la lutte, toujours recommencée, contre la corruption.
Le procès n’a pas réussi, en revanche, à faire la lumière sur les bénéficiaires politiques des caisses noires qui ont permis à Elf d’arroser pendant des années les partis de toutes tendances. Aux dernières heures des débats, en septembre 2003, une avocate camerounaise avait demandé à l’autre principal inculpé, Alfred Sirven : « Pourquoi vous abritez-vous tous derrière les chefs d’État africains ? Pourquoi refusez-vous de livrer les noms des hommes politiques français que vous avez payés ? » Après un moment d’hésitation, l’ancien directeur des affaires générales d’Elf avait fini par lâcher : « On n’oublie pas d’où l’on vient. »
Or, d’où venaient-ils, lui, Le Floch-Prigent et la plupart des autres ? De la politique, pardi ! Et plus précisément de ces officines ministérielles et autres filières paraétatiques qu’Edgar Faure appelait en connaisseur les « technostructures » et dont Elf, longtemps célébré comme un fleuron par les discours officiels, était aussi l’inépuisable pourvoyeur. Entre corrupteurs et corrompus, l’omerta aura tenu jusqu’au bout. Jusqu’au seuil de la prison.
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