La Vénus noire ressuscitée
« La Vénus noire » est le dernier film d’Abdellatif Kechiche, présenté en compétition pour le Lion d’or à la Mostra de Venise, le 8 septembre dernier. Dans cet opus dramatique, le réalisateur franco-tunisien revient sur la vie de la « Vénus hottentote ».
Vénus noire : l’Afrique violée
Abdellatif Kechiche, réalisateur franco-tunisien habitué des récompenses les plus prestigieuses (quatre césars pour L’Esquive et autant pour La Graine et le Mulet, avec Hasfia Herzi) devrait encore surprendre avec La Vénus noire, présentée à la Mostra de Venise le 8 septembre. Dans ce film, il revient sur l’histoire cruelle de la Sud-Africaine Saartjie Baartman – plus connue sous le nom de « Vénus hottentote » –, qui fut exposée à Londres comme une bête de foire à partir de 1810. Sa morphologie, en particulier l’hypertrophie de ses fesses, attirait les foules venues contempler ce spécimen de ce que l’on appelait alors les « races inférieures »… À sa mort en 1815, les scientifiques, le zoologiste et paléontologue français Georges Cuvier en tête, se prennent de passion pour l’étude de son corps.
Mais pour Kechiche, l’aspect strictement historique n’est pas au centre de La Vénus noire. Pour son premier film en costumes, il n’a pas voulu se perdre dans le décorum ou dans la recherche d’une vérité historique. « Saartjie est un personnage très mystérieux. Finalement, on ne sait pas grand-chose de ses motivations réelles. C’est ce vide d’explications qu’il est intéressant de filmer », explique-t-il.
Thèmes sensibles
Tournée à Nantes et en Île-de-France durant l’automne 2009, La Vénus noire s’attache surtout aux contradictions de son personnage principal. À la fois artiste et bête de foire, consentante et sans cesse violée, Saartjie connut un destin tragique et finit sa vie dans la prostitution et l’alcool. Prisonnière du regard que les Européens posent sur elle, elle ne réussira pas à s’imposer comme artiste. « Je me suis beaucoup identifié à cette dimension du personnage, explique Kechiche. C’est ce que je ressentais en tant qu’acteur, à mes débuts. Je souffrais de ce que l’on attendait de moi, non pas comme acteur mais comme Arabe. Je me sentais dans une prison. Les rôles qu’on offrait aux Arabes étaient à l’époque très limités. »
Pour incarner Saartjie Baartman, il fallait trouver une actrice au physique imposant capable de faire passer cette émotion. Kechiche a choisi Yahima Torres, une actrice non professionnelle d’origine cubaine. « J’ai vu Yahima pour la première fois en 2005. Elle est passée dans la rue, à côté de chez moi. J’ai été saisi par sa présence et des traits qui m’ont fait immédiatement penser à Saartjie. Lorsque je l’ai recontactée quelques années après pour lui faire passer des essais, c’est la légèreté avec laquelle Yahima prend la vie qui a conforté mon choix. J’ai compris que je pourrais la pousser loin dans l’émotion sans qu’elle en soit meurtrie. » L’actrice a appris des rudiments d’afrikaans et s’est initiée aux danses africaines pour aborder son rôle.
En tournant La Vénus noire, Kechiche sait qu’il aborde un sujet polémique. La place de l’Afrique, la vision qu’en ont longtemps eue les Européens, le traitement de la femme africaine sont autant de thèmes sensibles qui traversent le film. Mais Kechiche ne tient pas à prendre position et répète qu’il « préfère laisser les intellectuels africains s’en occuper. Il est malsain d’occulter le passé. En donnant chair à Saartjie Baartman, j’espère avoir contribué à ma manière à mettre un peu en lumière une zone d’ombre de l’histoire de France et à faire que les langues se délient.
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